Après la visite, cet été, du président de la CAF, le Malgache, Ahmad Ahmad, au Cameroun, visite pendant laquelle il a rencontré le président, Paul Biya, et qu’à l’issue de cette audience, il avait déclaré que «La CAF ne disposait pas d’un Plan B » pour la CAN 2019, les Camerounais n’avaient plus de doute quant à l’organisation de cette compétition sur leur terre. Paul Biya, lui-même, lors de ses rares sorties publiques, avait tenu à rassurer l’opinion africaine en disant qu’il en faisait une affaire (rigoureusement) personnelle et que « La CAN serait organisée au jour dit », et dans d’excellentes conditions. Mais, une fois de plus, le président de la CAF a déjoué les pronostics. Il change de position comme le vent du désert change de direction. Il rend triste, cette fin d’année, tout un pays qui n’avait les yeux que pour cette CAN 2019.
Certains au Cameroun sont, déjà, en train d’envisager de porter cette affaire devant le tribunal sportif de la Fifa (TAS) car, au départ, la CAF, elle-même, n’a pas respecté sa signature : le Cameroun avait signé pour organiser une CAN à 16 et non à 24 équipes. Après avoir, unilatéralement, augmenté de 50% le nombre d’équipes en allongeant les délais d’organisation de la compétition de six mois, le Cameroun, contrairement, à ce qu’attendait Ahmad Ahmad n’a pas jeté l’éponge. Le gouvernement a indiqué qu’il avait la (pleine) capacité d’organiser une compétition à 24.
La CAN, ce ne sont pas seulement les stades (pour lesquels il y avait des retards au niveau, surtout, des stades Japoma de Douala et Paul Biya de Yaoundé construits respectivement par les Turcs et les Italiens). Mais, il n’y avait aucune crainte à avoir d’autant plus que ces retards sont en train d’être résorbés. La CAN, c’est aussi les hôtels, les routes, les aéroports, les avions, les plateaux techniques dans les hôpitaux sur tous les sites choisis, la sécurité. L’Etat ne pouvant pas tout faire, les opérateurs économiques nationaux se sont beaucoup investis (notamment dans des hôtels, des restaurants, des appartements meublés, des commerces de toutes sortes à Yaoundé, à Douala, à Garoua, à Bafoussam, à Buéa, à Limbe) pour être à la hauteur de l’événement, pendant les 4 ou 5 semaines que devrait couvrir la CAN. Ces milliers d’opérateurs économiques nationaux ont eu recours à des emprunts auprès des banques et des tontines. Depuis la décision de retirer la CAN prise, vendredi, 30 novembre, soir, à Accra, ce n’est pas seulement la colère et la tristesse dans leur milieu, mais, c’est la panique générale qu’on constate chez cette catégorie d’investisseurs. Et le mot est faible. C’est (vraiment) le ciel qui tombe sur la tête du Cameroun. Car il faudra rembourser l’argent emprunté. Mais comment le faire pour des travaux entamés, parfois finis, et qui ne seront plus rentables faute de CAN ?
Côté pouvoirs publics, le Cameroun, comme on sait, est sous ajustement structurel. Mais la CAN étant une manifestation d’intérêt continental, le FMI avait marqué son accord pour que le Cameroun emprunte les 1.500 milliards de F CFA (3 milliards de dollars) nécessaires à la construction et à la mise à niveau des infrastructures afin de répondre, de façon stricte, au cahier des charges de la CAF. Le problème n’était donc pas au niveau de la capacité du Cameroun à construire les infrastructures, le problème était celui des délais. Car au 30 novembre 2018, les stades de Japoma (2e stade de Douala), d’Olémbé (2e stade de Yaoundé), et de Garoua n’étaient pas (encore) prêts comme exigeait la CAF, le début des travaux ayant connu un grand retard. Mais, l’argent étant là en totalité, toutes les infrastructures à commencer par les stades devaient être prêtes pour la compétition. Le retrait de la compétition au Cameroun est donc, finalement, une question d’appréciation personnelle.
Le Cameroun, comme le voulait le président de la CAF, n’a pas pu innover dans ce monde des organisateurs de grandes compétitions où des retards ou des questions de sécurité ne sont pas un défaut africain : la coupe du monde au Brésil en 2014 avait démarré alors que certains chantiers étaient loin d’être terminés. La Coupe du monde de Russie a bien été tenue alors que la Tchétchénie est en guerre. On n’a opposé ni l’argument du retard au Brésil ni celui de la sécurité à la Russie parce qu’il n’y avait pas un problème d’homme à la base. Au niveau de la CAF, il ne faut pas se le cacher, le problème de fond est entre Ahmad Ahmad et son prédécesseur le Camerounais Issa Hayatou. Ce dernier avait retiré une CAN de jeunes à Madagascar, après avoir refusé d’écouter les doléances du président de la Fédération malgache de football de l’époque, un certain Ahmad Ahmad, qui prêchait une certaine indulgence. Entre ces deux hommes, c’est « oeil pour oeil dent pour dent ».
Il faut dire que si Hayatou était resté président de la CAF, le Cameroun aurait, sans aucun doute, organisé la meilleure CAN masculine d’Afrique de tous les temps (comme l’avait d’ailleurs annoncé Paul Biya), et comme le Cameroun avait pu organiser la plus belle CAN féminine de tous les temps en 2016 à Yaoundé, alors que les mêmes problèmes de retard étaient posés à l’époque. Mais le Cameroun étant le Cameroun (comme ils disent souvent à Yaoundé), tout s’était très bien passé, avec les félicitations de la CAF à la clé.
Ahmad Ahmad, pour devenir président de la CAF, avait bénéficié du soutien décisif du Maroc et du discret appui du président de la FIFA qui voulait un renouvellement des dirigeants à la tête de la CAF (notre photo). Hayatou qui n’avait même pas fait campagne pensant avoir une réélection assurée avait été le premier à être surpris par sa défaite. Dès le début, peut-être pour renvoyer l’ascenseur à son bienfaiteur marocain, Ahmad Ahmad avait souhaité le retrait du Cameroun de l’organisation de la CAN 2019, pensant qu’il n’aurait jamais la capacité d’organiser une CAN à 24. Ce retrait volontaire n’étant pas venu (le Cameroun disant avoir toute la capacité financière requise pour tenir une CAN à 24 équipes), Ahmad s’est focalisé sur le retard des infrastructures et le strict respect du cahier des charges et des délais. Le Cameroun – c’est vrai – a fauté au niveau des délais. Mais après avoir rencontré Paul Biya en août, à Yaoundé, et lui avoir envoyé un message de félicitation le 23 octobre après sa victoire à l’élection présidentielle du 7 octobre, ce qui est une première dans les annales de la CAF qui en théorie ne fait pas de politique, Ahmad Ahmad savait (et sait très bien en son for intérieur) que le Cameroun a (toute) la capacité d’organiser une excellente CAN 2019, Paul Biya le lui ayant dit les yeux dans les yeux.
On se souvient même que pendant sa conférence de presse, à la suite de cette audience au palais d’Etoudi, Ahmad Ahmad s’en était pris à la presse camerounaise qui est, selon lui, le premier démolisseur de l’image du Cameroun dans le monde. Il s’était dit agréablement surpris qu’il ait vu le contraire de ce qu’il lit, tous les jours, dans les journaux camerounais, généralement, très critiques à l’endroit du pouvoir local. Il avait, à cette occasion, invité les journalistes camerounais à être responsables par eux-mêmes avant de demander aux autres de respecter leur pays. Une bonne leçon de chose qui n’est pas totalement fausse.
Le Cameroun aurait gain de cause en portant cette affaire devant toute juridiction, qu’elle soit sportive ou civile. Mais, le Cameroun n’étant pas un pays belliqueux, qui aime des problèmes, il faut recommander aux autorités sportives de Yaoundé de savoir accepter un mauvais arrangement avec l’organisation de cette CAN 2021, au Cameroun, qu’on leur propose, au lieu de mettre l’accent sur un bon procès, bien qu’il ait toutes les chances de le gagner.