Depuis qu’il a accordé une tonitruante interview en deux temps au bimensuel Afrique Education (numéros 149 et 150), interview qui, conjuguée à celle de l’opposant tchadien Ngarlejy Yorongar dans le numéro double 147-148 du 1er au 31 janvier 2004, a sérieusement mis à mal François Bozizé au niveau de son opinion publique, Ange-Félix Patassé n’hésite plus à donner de la voix, conscient que son prochain retour au pays n’est plus virtuel. La présence à Bangui de Jean Bertrand Aristide lui a donné une occasion supplémentaire pour se faire à nouveau entendre par l’intermédiaire de son bouillant et tonitruant porte-parole Prosper Ndouba, qui est vite monté en première ligne pour dénoncer la façon dont le président haïtien, démocratiquement élu, a été chassé du pouvoir comme un malpropre, et surtout, la manière qui a été utilisée pour le faire atterrir de force chez François Bozizé. Aux putschistes de Bangui qui osent comparer Ange-Félix Patassé à Jean-Bertrand Aristide, Prosper Ndouba répond : » En dix ans de régime Patassé, aucune censure de presse, aucun journaliste emprisonné, aucun Centrafricain inquiété pour délit d’opinion, aucun homme politique arrêté arbitrairement. La liberté de pensée et de parole a été donnée aux Centrafricains qui en ont usé et abusé « . D’autre part, contrairement aux autres chefs d’Etat qui camouflent leurs biens, Patassé n’a jamais eu une relation conflictuelle avec l’argent : « Il n’a jamais détourné un seul centime de l’Etat sinon ça se saurait. Il a créé des entreprises avec ses propres deniers qui payaient régulièrement leurs impôts et faisaient travailler des Centrafricains. C’est avec son argent propre qu’il finançait la vie de son parti « , ce qui n’est pas le cas de l’actuel régime qui est » un régime de dictature « .
On se souvient que quelques jours après son arrivée au pouvoir, François Bozizé avait accusé son prédécesseur d’un détournement de 70 milliards de f cfa (106 millions d’euros) et promis que des preuves seraient données sur les lieux de planque de ce magot. Depuis cette fracassante annonce, silence radio à Bangui. Alors qu’on s’attendait à ce qu’il se fasse tout petit les accusations de Bozizé à son encontre étant d’une extrême gravité, Ange-Félix Patassé a pris les devants en saisissant le 30 septembre 2003 le président du Conseil de sécurité pour lui demander la mise en place d’une commission d’enquête internationale comprenant des juristes et des financiers de premier rang dans le but de faire la lumière sur le bien fondé de cette accusation, et d’enquêter sur la provenance des dits fonds (s’ils existent) ainsi que les banques où ils seraient domiciliés. Les contacts préliminaires du Conseil de sécurité avant l’ouverture d’une éventuelle enquête n’ayant rien donné de palpable, le dossier semble avoir été purement et simplement classé aux Nations-Unies. De son côté, François Bozizé a fini par avaler sa langue. La preuve, il n’en a plus jamais parlé alors que chef de l’Etat, il a toute la machine politique, diplomatique, administrative et judiciaire pour confirmer son accusation à moins qu’il ait trop vite parlé comme tout nouveau venu au pouvoir.
Par contre, il ne se comporte pas comme un enfant de chœur. En l’espace d’une année seulement à la tête du pays, il en a déjà beaucoup mis de côté : la valise diplomatique tourne à plein régime pour la commercialisation du diamant en Europe et dans les pays du Golfe. Ce n’est un secret pour personne que l’argent recueilli n’entre pas au trésor centrafricain mais va directement dans les poches de Bozizé qui s’en sert, en partie, pour payer les salaires des zaghawa, des » libérateurs » et des mercenaires, supposés garantir la pérennité de son régime. Sa fortune ne provient pas uniquement de la vente des diamants, mais aussi des aides personnelles de certains chefs d’Etat généreux. En décembre 2003, par exemple, un chef d’Etat de la sous-région de l’Afrique centrale lui avait remis en cash une somme de 6 millions de dollars. Le trésor centrafricain n’en a jamais vu la couleur. Pourtant, il est en train de prescrire autoritairement une baisse de salaire de 30% à tous les fonctionnaires de l’Etat et agents de l’administration. Un salaire pour lequel il accuse quatre mois d’arriérés pour seulement douze mois passés au pouvoir. D’autre part, du pétrole centrafricain dont il a accepté l’exploitation seule du Tchad pendant dix ans, en contrepartie de son accession au pouvoir dans les conditions qu’on sait, il n’en a jamais parlé, encaissant sans broncher les accusations à la fois de son prédécesseur et surtout de l’opposant tchadien Ngarlejy Yorongar. Le pays entier attend toujours les éclaircissements de son président dans ce domaine. Pour les Centrafricains, ce pétrole qui est à cheval sur les deux frontières, ne doit pas être exploité par les seuls Tchadiens au regard de la grande pauvreté qui sévit dans leur pays. Sans détour, Patassé accuse Bozizé d’avoir bradé les intérêts de la RCA. Une accusation gravissime qui ne semble pas émouvoir le CNT (Conseil national de transition qui fait office de parlement) et les partis politiques centrafricains. Quand on évoque à Bozizé ce dossier en privé, il reste muet comme une carpe. On se demande jusqu’à quand ?