» République centrafricaine : réfugiés en fuite, discrimination ethnique et coupables impunis « , ce n’est pas un titre qui relève des » affabulations » d’Afrique Education, comme l’affirment de temps en temps, les dirigeants centrafricains mécontents de nos analyses. Mais une enquête de deux mois menée par deux collaborateurs d’Amnesty International et qui leur a par ailleurs permis de rencontrer le président Ange-Félix Patassé en personne. A le lire, le terme d’ » épuration ethnique » pour qualifier les tueries ciblées des tenants du pouvoir à Bangui, n’est nullement un abus de langage, mais une réalité que la population a vécue et qui a poussé au moins 80.000 personnes à s’expatrier dans des pays voisins. Comme quoi, Afrique Education, par respect pour le peuple centrafricain souffrant, n’a pas succombé aux thèses du régime sérieusement battues en brèche par le présent rapport.
Alors que le pouvoir avait dressé une courte liste d’une soixantaine de noms de personnes mortes après la tentative de coup d’état des 27 et 28 mai 2001, Amnesty International, vient de sortir un rapport suite à deux mois d’enquêtes effectuées sur place en Centrafrique, dans lequel l’organisation des droits de l’homme fait état, pour sa part, » des centaines de civils non armés (qui) ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires imputables aux forces de sécurité centrafricaines « . » Des centaines de civils non armés victimes d’exécutions extrajudiciaires » ! Ni plus ni moins. Afrique Education l’avait déjà dit (lire les numéros 87, 90, etc.). D’autre part, dans les mois qui ont suivi cette tentative de coup d’état, une succession d’arrestations arbitraites et de détentations illégales a eu lieu tout au long de l’année, la plupart des détenus étant accusés de participation à la tentative de coup d’état. Cette façon de faire des autorités de Bangui a entraîné la fuite de plusieurs dizaines de milliers de Centrafricains (plus de 80.000 personnes en toute vraisemblance) vers les pays voisins. La plupart des victimes étaient visées en raison de leur appartenance ethnique, note le rapport. En outre, le retour des exilés ne pouvait se faire sans les garanties de sécurité de la Communauté internationale. Il y a aussi lieu de s’inquiéter de la détention des prévenus, accusés d’avoir participé à la tentative de coup d’état ou de » désertion en temps de crise » et arrêtés sur ordre de la Commission du très contesté procureur Bindoumi. Créée le 8 juin 2001, cette fameuse Commission a entrepris une série d’arrestations arbitraires et totalement illégales. Généralement membres de l’ethnie yakoma à laquelle appartient le désormais » soldat de deuxième classe » André Kolingba, des centaines de Centrafricains innocents ont été accusés de participation à la tentative de coup d’état le plus souvent sans aucune preuve. Très partiale et sous les ordres du régime, la Commission Bindoumi a été coupable de graves violations des droits humains : arrestations sur la base de fiches anonymes, dénonciations voire délations, non-respect du délai de garde à vue, perquisitions illégales, violations des droits de détenus, entraves à la liberté de circulation.
Depuis le mois de juillet 2001, le gouvernement a répété à plusieurs reprises que les personnes civiles ou militaires, ayant fui en exil pour des raisons politiques et non pour des raisons criminelles, pouvaient revenir sans crainte d’être arrêtées. Amnesty a condamné le fait qu’en plusieurs occasions, le rapatriement des réfugiés ait été encouragé par le gouvernement centrafricain et le Haut commissariat pour les réfugiés, sans que les garanties de sécurité n’aient été confirmées. Ces encouragements ont amené un certain nombre de réfugiés à retourner à Bangui où ils ont été arrêtés, généralement, sur la base de leurs origines ethniques. Voici un échantillon des dégâts humains causés par le régime de Patassé et qui a failli être occulté :
Dans la nuit du 27 au 28 mai, on a enregistré des morts des deux côtés y compris au niveau de la garde présidentielle où il y avait 14 tués. Le 6 juillet, le général François Bedaya Djadder, chef de la gendarmerie nationale, est tué à son tour par un soldat loyaliste. Un meurtre sur ordre. Quant au colonel Abel Abrou, chef d’état major de l’armée de terre, il a aussi été tué le même jour par un homme non identifié avec son chauffeur et le commandant Yambi. Ce n’est pas la première opération du régime. Déjà le 28 mai 2001, le colonel Alphonse Kongi, colonel de gendarmerie, ancien chef d’état major de la gendarmerie chargé de mission au ministère de la Défense, a été abattu puis mutilé dans les locaux de la gendarmerie alors qu’il venait se mettre à la disposition du haut commandement de la gendarmerie nationale.
Le 29 mai 2001, alors qu’il voulait lui aussi rejoindre son unité, le sergent Emery Konguende a été torturé et exécuté par des membres de la garde présidentielle. Il s’apprêtait à rejoindre l’armée après une période de congé.
Le 30 mai 2001, des éléments de la garde présidentielle ont aussi exécuté à son domicile situé à proximité de la résidence du président Patassé, Léon Bangazoni, âgé de 68 ans. Cadre retraité du ministère des Finances, Bangazoni n’avait rien à se reprocher et encore moins ses deux fils qu’on a également tués au même moment. A noter que tous avaient la malchance d’appartenir à l’ethnie yakoma.
Autre meurtre qui a choqué non seulement en Centrafrique mais aussi en Afrique et en Europe : député de Bangui régulièrement élu de façon incontestée dans sa circonscription, leader de l’opposition à l’Assemblée nationale, le professeur Théophile Touba a été arrêté chez un ami le 29 mai 2001 par des éléments de la garde présidentielle et accusé d’avoir participé à l’organisation du coup d’état manqué. Effroyablement torturé et mutilé (voir photo), il a été assassiné avec son neveu de 9 ans ainsi qu’avec deux autres membres de sa famille. Un acte d’une cruauté inqualifiable comme celui qui a mis fin aux jours de Bangazoni et de ses fils.
Bref, le pouvoir s’est livré à une véritable épuration ethnique qui a failli emporter même certains de ses dignes serviteurs. C’est ainsi que Maître Jean-Jacques Demafouth, ancien ministre de la Défense, et avocat du président Ange-Félix Patassé dans le civil, a été écroué pour avoir profité de ce flottement pour attenter à son tour à la vie du chef de l’Etat. Comme à son habitude, Demafouth qui avait la chance de ne pas être un haut officier de l’armée, a néanmoins perdu l’essentiel de ses droits de citoyen au point qu’il a fallu lutter et ameuter la communauté internationale pour que son avocat puisse lui rendre une simple visite en prison. C’est comme si redoutant les talents de cet homme de droit, la Commission Bindoumi et le régime n’étaient pas très sûrs des accusations avancées contre lui, craignant d’être ridiculisés par la solidité de la plaidoirie de la défense.
Accusé aussi d’avoir fomenté son coup d’état, le général François Bozizé a dû fuir le pays avec une centaine de partisans pour se réfugier au Tchad, ce qui a jeté un coup de froid dans les relations entre les deux pays. Patassé a fait rétrograder François Bozizé au grade de » soldat de deuxième classe « . Commandant de son état, le député Charles Massi a également été rabaissé au grade de » soldat de deuxième classe « . Il a fui le pays et, comme Jean-Paul Ngoupandé, ancien premier ministre de Patassé, il fait partie de l’opposition en exil qui n’arrête pas d’interpeller les pays occidentaux et ceux de la CEMAC sur le danger d’avoir livré la Centrafrique aux Libyens. Dès le 29 mai 2001, Kadhafi, en effet, avait envoyé une centaine de paras pour sauver le fauteuil de Patassé. Mais voyant que son intervention militaire était difficilement acceptée non seulement par les pays africains mais aussi et surtout par l’opposition et la société civile centrafricaines (syndicats, associations d’étudiants, églises, barreau, etc…), le colonel libyen, très malin, a favorisé le concours de l’OUA pour avaliser son action en Centrafrique. Résultat, de 100 au départ, ses soldats sont passés à 200. Plus grave, ils ne sont plus seuls à défendre Patassé, mais accompagnés par un contingent de soldats soudanais, en attendant ceux du Mali et du Burkina Faso déjà annoncés.
Ce rapport est le résultat des recherches effectuées en janvier et février 2002, par deux collaborateurs d’Amnesty International, à savoir, la Française Véronique Aubert et le Britannique d’origine ougandaise Godfried Byaruhanga .Il fait état des préoccupations des Africains et de la communauté internationale quant à la discrimination ethnique institutionnalisée en Centrafrique malgré les dires du pouvoir. La plupart des victimes et atteintes aux droits humains sont des civils non armés, visés en raison de leur appartenance ethnique.