Arnaud Djoubaye Abazène, ministre de la Justice, n’a pas su calmer le jeu. Au contraire, il est accusé d’avoir personnellement allumé le feu, dès son arrivée à Bangui, dimanche, 3 mars, en ordonnant le maintien de Me Crépin Mboli Goumba en cellule alors que son épouse avec qui il devait effectuer le voyage de Douala a, elle, été libérée hier soir même. Le communiqué du Bloc républicain pour la défense de la constitution du 30 mars 2016 (BRDC) dont Me Crépin Mboli Goumba est le coordonnateur n’a pas fait fléchir le gouvernement. Signé par le porte-parole, Martin Ziguélé, il a juste été considéré comme un chiffon de papier, poussant les avocats à leur dernier retranchement.
Ce matin, 4 mars, les avocats du Barreau du Centrafrique ont cherché à rencontrer le ministre de la Justice. En vain. En tête du cortège, le bâtonnier, Emile Bizon, a trouvé portes closes au niveau du cabinet du ministre, Arnaud Djoubaye Abazène ayant opposé une fin de non recevoir ferme à la corporation. Le bras de fer est, donc, engagé ; les avocats ont décidé de boycotter toutes les audiences dans tous les tribunaux du pays. Une grève illimitée. Il en est de même des audiences de la CPS (Cour pénale spéciale) qui est une juridiction des Nations-Unies dont le rôle est de juger les crimes nés des crises militaro-politiques en Centrafrique. Elle est composée de magistrats internationaux, qui, par instinct de solidarité, s’associent au mot d’ordre des avocats du pays.
Comme acte supplémentaire de provocation, Arnaud Djoubaye Abazène a autorisé qu’un individu proche de ses services, en l’occurrence, Daniel Nzewe, filme Me Crépin Boli Goumba à l’intérieur de sa cellule, afin de diffuser l’image dans les réseaux sociaux. Alors que la même autorisation de visite est refusée aux confrères de Me Crépin Mboli Goumba. L’acte de Nzewe n’est pas anodin. Il s’agit de la mise en route de la machine judiciaire (corrompue) destinée à le broyer. Car ce « photographe » de Nzewe affirme que Mboli Goumba est aux arrêts depuis dimanche, 3 mars, à 13 heures (12 heures GMT) parce qu’il voulait fuir le pays, dit-il. Alors que « ma plainte en diffamation et injures publiques (contre lui) est déposée depuis vendredi, 1er mars, au parquet », soutient Daniel Nzewe. Une déclaration faite dimanche, 3 mars, qui a poussé le procureur à sortir un communiqué à charge, ce lundi, 4 mars. Quelle rapidité ! Visiblement, tout a été, minitieusement, préparé pour emmerder Me Mboli Goumba, que les magistrats considèrent comme un gros emmerdeur. L’institution judiciaire lui en veut et met la machine en marche pour le punir. Mais, ses collègues avocats jurent de le protéger jusqu’à la victoire finale, sinon, plus de plaidoirie dans aucun tribunal en Centrafrique. Le président, Faustin Archange Touadéra, doit le savoir. Lui qui cherche les investisseurs étrangers avec la torche. Pour les séduire, il faut une justice indépendante et sereine. Pas avec les individus comme Djoubaye à sa tête. On verra bien qui aura le dernier mot dans ce bras de fer qui démarre. Finalement, c’est Touadéra qui perd avec une pitoyable image de sa justice.
Quel est cet état de droit où les avocats constitués pour la défense de Me Mboli Goumba, n’ont pas le droit de rencontrer leur client, le véto des autorités judiciaires chargées de l’affaire étant systématique ?
Rappelons que Me Crépin Mboli-Goumba s’en est pris à la justice centrafricaine qu’il a qualifiée de corrompu, le ministre de la Justice, en personne, étant le porte-drapeau de ce fléau qui gangrène le pays. Son image n’est pas du tout bonne, et il ne cherche pas à l’améliorer. Il est accusé de hanter les couloirs du pouvoir comme un spectre sinistre. Son parcours semé d’ombres, d’alliances troubles et d’actes controversés, éclaire la face sombre de ce système judiciaire dont les tares sont dénoncées par les avocats et la société civile.
Qui est-il exactement ? Né à Birao, dans la Vakaga, Arnaud Djoubaye Abazène est de confession musulmane comme ne l’indique pas son prénom (Arnaud). Il avait connu les géôles du régime du président, François Bozizé, enfermé dans l’enfer de Bossembélé. Libéré pour des raisons médicales, il s’est mué en éminence grise, tirant les ficelles dans l’ombre et propulsant son frère, l’ancien président de transition, Michel Djotodia, à la tête de la rébellion Séléka, qui s’empara de Bangui en 2013. On connaît la parenthèse Djotodia et l’arrivée de Cathérine Samba Panza, qui réussit à sortir le pays de la transition en organisant une élection présidentielle dont le vainqueur fut Faustin Archange Touadéra.
Intronisé ministre de la Justice par Touadéra (qui fut premier ministre de Bozizé pendant cinq ans avant de le battre à la présidentielle), Arnaud Djoubaye Abazène n’avait qu’un seul objectif : étouffer les dossiers judiciaires le visant et protéger son frère, Michel Djotodia. Sa (totale) mainmise sur l’appareil judiciaire s’est traduite pas la création d’une milice familiale et le financement de groupes armés comme le PRNC et l’ARCAN-CIELS.
La ville de Bria serait l’épicentre de son réseau de trafics de toutes sortes où il aurait réussi à infiltrer la gendarmerie, la brigade minière, les eaux et forêts et la police. Homme tout puissant du régime en place, il étend son influence jusqu’à la gestion des munitions entre Bangui et Bria. Comme quoi, il n’est pas que ministre de la Justice. Il s’adonnerait aussi à des trafics qui font de lui un ministre de l’injustice, ce qui explique sa relation houleuse avec les avocats du barreau dont les célèbres Mes Crépin Mboli Goumba et Nicolas Tiangaye.