Trois journalistes russes présents depuis quelques jours en République centrafricaine (RCA) pour une enquête sur l’implication de mercenaires russes dans le pays, ont été, froidement, abattus par des inconnus. Depuis, l’enquête piétine et fait craindre le même sort qui fut réservé à Camille Lepage, cette photojournaliste qu’on assassina, en mai 2014, alors qu’elle se trouvait avec les miliciens anti-balaka, dans le maquis, pour effectuer son travail de journaliste. Son enquête n’a, depuis lors, donné lieu à aucune avancée. Ni en France, ni en Centrafrique. Reporters sans frontières (RSF), la police de la presse, tire, à juste titre, la sonnette d’alarme. L’organisation demande aux gouvernements centrafricain et russe de tirer cette affaire au clair.
Orhan Djemal, célèbre reporter de guerre indépendant, Kirill Radtchenko, caméraman, et Alexandre Rasstorgouïev, documentariste (notre photo), ont été assassinés par un groupe d’hommes armés non-identifiés, dans la nuit du 29 au 30 juillet, près de Sibut, une ville située à 300 km au Nord de Bangui, la capitale de la RCA.
Mardi, 31 juillet, soir, Ange Maxime Kazagui, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a indiqué sur TVCA (Télé Centrafrique) que neuf “ravisseurs enturbannés” ne parlant “ni le français ni le sango”, la langue nationale, avaient confisqué le véhicule des journalistes, à 23 km de Sibut, avant d’exécuter par balles, les trois ressortissants russes. L’un d’entre eux serait mort sur place, les deux autres un peu plus tard des suites de leurs blessures. Ces précisions ont été fournies grâce au témoignage de leur chauffeur, blessé, lui aussi, mais, ayant réussi à s’échapper d’après le ministre.
Selon les informations obtenues par RSF, les trois journalistes se trouvaient sur le territoire centrafricain, depuis quelques jours, pour enquêter sur la présence et le rôle de mercenaires appartenant à Wagner, une société militaire privée russe, également, connue pour ses activités en Syrie. D’après le ministère de la Communication du Centrafrique, ils ne disposaient pas d’accréditations. Tous portaient, cependant, des cartes de presse selon le ministère russe des Affaires étrangères qui précise, de son côté, que son ambassade à Bangui n’a pas été informée de leur présence dans ce pays. Vrai ou faux ? Les trois confrères ne sont hélas plus là pour témoigner et contredire tout ce qui sera déversé sur eux.
“Plus de quatre ans après la mort de la photojournaliste française, Camille Lepage, ce triple assassinat vient rappeler à quel point il reste, extrêmement, dangereux pour les journalistes de témoigner du conflit en Centrafrique, estime Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Nous condamnons, avec la plus grande fermeté, ces assassinats et exhortons les autorités centrafricaines et russes à mener une enquête sérieuse et approfondie pour en identifier les auteurs”.
TsOuR, un média d’investigation en ligne appartenant à Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-magnat du pétrole devenu l’un des principaux opposants au président russe, Vladimir Poutine, a confirmé avoir commandé le documentaire aux trois journalistes. Ceci explique-t-il cela ?
La Russie a, considérablement, renforcé sa présence militaire en RCA depuis le retrait de la Force française, Sangaris, en octobre 2016. La sécurité du président, Faustin-Archange Touadéra, est, désormais, assurée par des militaires russes. Ces derniers dispensent, également, des formations aux Forces armées centrafricaines (FACA) et d’importants stocks d’armes russes ont été livrés à l’Etat centrafricain entre décembre 2017 et février 2018.
La RCA traverse un conflit armé depuis le renversement, en mars 2013, du président, François Bozizé, (aujourd’hui exilé à Kampala en Ouganda) par la Seleka, un rassemblement de milices, principalement musulmanes. Des groupes armés chrétiens d’auto-défense, appelés anti-Balaka, se sont, ensuite, constitués, plongeant le pays dans une spirale de violences.
C’est lors d’un reportage avec l’une de ces factions que Camille Lepage, photojournaliste française de 26 ans, fut, froidement, assassinée le 12 mai 2014. A l’époque, certaines sources accusèrent les Services français d’avoir commandité son ‘assassinat, qui jusqu’à aujourd’hui, n’a donné lieu à aucune avancée, malgré l’insistance de sa famille. Dans le meurtre des trois journalistes russes, les Services russes sont, aussi, pointés du doigts. RSF aura de la peine à avoir la vérité recherchée sur ces quatre meurtres. La raison d’Etat ?
Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, venait, justement, de participer au Sommet CEDEAO/CEEAC sur le terrorisme et l’extrémisme violent, lundi, 30 juillet, à Lomé, pendant lequel son pays, le Centrafrique, était, parfois, au centre des débats des chefs d’Etat. A l’issue de ce Sommet, il a été convenu que la CEEAC et la CEDEAO devaient saisir l’Union africaine afin que la question de l’arrêt de l’embargo sur les armes qui frappe le Centrafrique, soit réexaminée afin de permettre au président, démocratiquement, élu du Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra, de se donner les moyens légaux à sa convenance pour bâtir une nouvelle armée capable de combattre, efficacement, les rebelles qui prennent, actuellement, 80% du territoire national, en otage.