S’exprimant dans le cadre du 64ème Sommet de la CEDEAO, le président du Nigeria, Bola Tinubu, a appelé les Etats membres à privilégier la bonne gouvernance et à travailler dans l’intérêt des peuples. Une déclaration, qui sonne comme une prise de conscience du dirigeant du Nigéria après les quelques démêlés qu’il a récemment eus avec les juntes de la sous-région depuis sa nomination à la tête de la présidence de l’organisation ouest-africaine en juillet dernier.
Instrumentalisé dès le départ par ses voisins va-t-en-guerre, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal, Bola Tinubu a bien failli déclencher un conflit armé en Afrique de l’Ouest, alors même que la légitimité de sa victoire aux élections présidentielles de février 2023 n’était pas encore établie. Quelle entrée en la matière cela aurait-il été pour cet homme jusque-là connu pour son sens des affaires ! Précisons que Ouattara et Sall sont considérés, par l’opinion africaine, comme les hommes de la France en Afrique, ou si on veut, les girouettes de l’ex-métropole sur le continent. La France ferait d’eux ce qu’elle veut et quand elle le veut. Bola Tinubu, malgré ses propres relations avec le président français, l’a compris très vite en se rangeant derrière la traditionnelle position du Nigeria sur ces questions. Sa réputation est donc sauve !
Fort heureusement pour lui et, surtout, pour les vies africaines qui auraient été perdues, il a su écouter, faire marche arrière, et en est aujourd’hui à dénoncer les principales causes des renversements démocratiques devenus fréquents sur le continent. Car des coups d’état constitutionnel via les modifications des constitutions pour mettre le compteur des mandats à zéro comme Ouattara l’a fait (il va se présenter pour un quatrième mandat en octobre 2025) ainsi qu’Alpha Condé avant de se faire balayer par la junte, la CEDEAO n’en parle jamais (jamais). Une politique de deux poids deux mesures ! Bola Tinubu qui a succédé à un président qui a respecté ses deux mandats avant de partir, a su mettre les points sur les i. Que Ouattara ne vienne pas divertir les Africains alors qu’il est le premier putschiste de l’Afrique de l’Ouest : c’est lui qui a chassé Henri Konan Bédié du pouvoir en décembre 1999, par les armes, avant de modifier la constitution en 2018 pour se présenter de façon discontinuée à l’élection présidentielle jusqu’à ce que Dieu (Allah le Très Miséricordieux) le rappelle à lui. Le président du Nigeria et en exercice de la CEDEAO a donc bien compris que son homologue de Côte d’Ivoire se moquait de la CEDEAO en poussant à une intervention militaire au Niger pour cause de coup d’état. Ouattara grand putschiste devant l’éternel qui condamne un putsch au Niger, c’est l’hôpital qui se moque de la charité.
Le discours de Bola Tinubu ne pouvait pas mieux tomber, surtout, après que le président de la Guinée-Bissau ait, unilatéralement, décrété la dissolution du Parlement sur fonds de coup d’état militaire (imaginaire). Candidat à sa propre réélection au scrutin de novembre 2025, Umaro Sissoco Embalo vient d’asséner un gros coup à la démocratie puisque l’article 94.1 de la Constitution bissau-guinéenne interdit l’acte qu’il a posé. En renvoyant le gouvernement sous contrôle de l’opposition, Umaro Sissoco Embalo espère regagner la majorité perdue au Parlement cet été, et accroître ses chances de gagner les prochaines élections présidentielles.
Ayant vu clair dans le simulacre de son homologue, Bola Tinubu l’a, subtilement, rappelé à l’ordre lors de sa prise de parole devant les autres chefs d’Etat régionaux. Il a, d’ailleurs, renchéri en citant dans son propos l’exemple de Georges Weah, candidat malheureux à sa réélection au Libéria, mais bon perdant, pour illustrer le genre de comportement, qui permettra de prévenir les coups de force militaires à l’avenir.
Mais pas sûr, néanmoins, qu’Umaro Sissoco Embalo, qui s’est lancé dans une véritable traque aux opposants, ait compris le message.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)