Cela fait plus d’une décennie que la Somalie souhaite intégrer la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Ayant perçu son adhésion à ce bloc régional comme étant une solution potentielle à ses nombreux problèmes domestiques, cette nation située sur la Corne de l’Afrique est plus que jamais décidée à en devenir le huitième membre d’ici le prochain Sommet de décembre.
S’il est évident que la candidature somalienne présente de réels atouts, notamment, avec les perspectives économiques résultant de l’accès vers le Moyen-Orient et au-delà, par le biais de la Mer rouge et de l’Océan indien, elle est, également, assortie d’un éventail de défis auxquels sont imputables la longue période d’évaluation du dossier d’adhésion de Mogadiscio par les sept capitales des pays de l’organisation sous-régionale, depuis la manifestation d’intérêt du président, Hassan Sheikh Mohamud, en 2012.
La première famille de défis est liée à la gouvernance. Sur ce plan, la Somalie est loin d’être un exemple en Afrique. En effet, ne disposant d’aucune Constitution, le pays a touché le fond lorsqu’il a été désigné comme étant le plus corrompu au monde en 2022 selon un classement réalisé par Transparency International. Cette triste distinction n’est que le reflet de l’absence de l’état de droit, donnant ainsi libre voie à toute forme de corruption, jusque dans les plus hautes institutions du gouvernement somalien, sans aucune crainte d’une quelconque rétribution pour les crimes commis.
Pour intégrer la CAE, Mogadiscio devra inévitablement changer la donne, afin de crédibiliser ses institutions aux yeux des Somaliens et des investisseurs étrangers. C’est d’ailleurs dans cet esprit que les autorités ont instauré une nouvelle carte d’identité digitale, plus de trente ans après l’effondrement du système national d’état civil. Le lancement du nouveau système d’identification est un signe encourageant pour les changements à venir en matière de gouvernance, puisqu’il permettra aussi de résoudre d’autres problématiques majeures de longue date, telles que l’accès aux services publics (éducation, santé) et les enrôlements nécessaires à la tenue des élections. Il est important que les progrès réalisés soient suffisants pour être harmonisés avec les règles de bonne gouvernance définies dans le règlement du bloc régional.
La seconde famille d’obstacles est d’ordre sécuritaire. Faisant face à la menace terroriste sur ses terres issue des rebelles extrémistes, al-Shabab, d’une part, et à la piraterie le long de ses côtes maritimes, d’autre part, la Somalie présente un risque significatif pour ses voisins, et par ricochet, pour ses éventuels futurs partenaires de la CAE. S’il est vrai que le djihadisme a beaucoup reculé, ces derniers temps, dans le pays, il n’a, cependant, pas été totalement éradiqué. Le soutien apporté par la Mission de l’Union africaine de transition en Somalie (AMISOM) dans la lutte antiterroriste a été d’une aide providentielle pour l’armée somalienne. Arrivée en fin de mandat, l’AMISOM retirera ses troupes à la fin de l’année, laissant les forces armées somaliennes poursuivre les efforts de sécurisation de leur territoire.
Alors que certaines voix au sein de la CAE redoutent un éventuel regain des attaques terroristes en Somalie, et une propagation de ces violences dans le bloc après le départ de l’AMISOM, d’autres estiment les capacités armées de la force régionale plus que suffisantes pour éteindre toute reprise des mouvements extrémistes d’al-Shabab. Si les militaires de la CAE essuient les critiques du président, Félix Tshisekedi, depuis leur déploiement, il y a de cela un an, dans l’Est de la RD Congo dans le cadre du conflit avec le groupe armé, M23, ce n’est pas à cause de leur incompétence, mais plutôt, de leur vocation à protéger les populations civiles congolaises. Préférant éviter de se livrer à une guerre sans merci avec les rebelles du M23, dont les griefs à l’endroit de Kinshasa sont fondamentalement complexes, la force régionale devrait plier bagage au cours du mois de décembre. Mais, s’il fallait solliciter son intervention pour garantir le bon fonctionnement du climat des affaires dans la communauté face à des groupes terroristes, comme al-Shabab, son engagement serait total.
Malgré l’existence de risques non négligeables, l’adhésion de la Somalie à la CAE sera une excellente nouvelle pour l’Afrique. Elle permettra aux pays membres d’effectuer une meilleure coordination dans la lutte anti-terroriste, et renforcera les partenariats existants entre l’Afrique et le Moyen-Orient en termes d’échanges commerciaux.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)