Avec des amis occidentaux comme Michel Gally, Bernard Houdin, Albert Bourgi ou Me Jean Balan (bravo à eux !), nous luttons, chaque jour, pour la fin du F CFA, ainsi que, pour la fermeture et le départ des bases militaires étrangères présentes dans certains pays africains ; nous désirons jouir des richesses de nos sols et sous-sols ; nous ne voulons plus que nos matières premières soient pillées ou achetées à vil prix ; nous souhaitons que l’ancienne puissance coloniale arrête de décider à notre place aux Nations-Unies et de nous dire ce qui est bon/mauvais pour nous ou qui doit nous diriger.
Tous ces légitimes combats risquent de ne jamais aboutir s’il nous manque cette chose essentielle qui fait que la France ne pourra jamais faire en Corée du Nord, en Inde ou en Russie ce qu’elle se permet si facilement dans ses ex-colonies : une force militaire égale ou supérieure à celle des Occidentaux qui ne comprennent que le langage de la force. Saddam Hussein, Mu’ammar Kadhafi, Laurent Gbagbo, pour ne citer que ces trois-là, sont tombés parce qu’ils ne disposaient pas de cette force. Bachar al-Assad, lui, a pu tenir et sauver sa peau parce que la Russie de Poutine lui a donné cette force et parce qu’elle la lui a donnée jusqu’au bout.
Le 23 novembre 2017, le Nord-Soudanais, Omar el-Béchir, a, ouvertement, demandé la protection de Vladimir Poutine contre les Etats-Unis (notre photo). Depuis onze mois, le Centrafricain, Faustin Archange Touadéra, et le même Poutine se sont engagés dans une coopération militaire, économique et politique. Béchir et Touadéra ont-ils pris une bonne décision ? Faut-il les encourager ? Sans hésiter, je répondrai “oui”. Premièrement, parce que même si l’aide de la Russie à ces deux pays n’est pas gratuite (chacun de nous comprendra aisément que l’ouvrier mérite son salaire), la Russie ne recevra pas plus que ce qui est prévu dans l’accord signé par Poutine et les deux présidents africains. Deuxièmement, parce que ça n’intéresse pas du tout le maître du Kremlin de contrôler un pays africain, de lui imposer quoi que ce soit ou de s’ingérer dans ses affaires internes. Troisièmement, parce que, contrairement, à la France, la Russie possède d’immenses ressources naturelles (plus de 20 % des stocks mondiaux). Quatrièmement, parce que, sans le soutien d’un allié puissant et craint, se débarrasser de ceux qui lui pourrissent la vie depuis six décennies sera une chose difficile, voire, impossible, pour l’Afrique francophone. Enfin, parce qu’il est temps que les ennemis de nos ennemis deviennent nos amis. Personne n’ignore, aujourd’hui, que Poutine est haï, dénigré et combattu par ceux qui n’ont jamais voulu notre bien. Ils lui en veulent, entre autres, parce qu’il a soutenu, militairement, le président syrien contre les rebelles et djihadistes de Daesh. Ce Poutine qui a montré de quoi il est capable en Ukraine et en Syrie, nous devons faire de lui notre ami et notre allié parce que nous avons, actuellement, les mêmes ennemis.
Certains pourraient penser que les pays africains d’expression française, en faisant alliance avec la Russie, courraient le risque de se mettre sous sa coupe. Ce risque existe, c’est vrai, mais, si on se fonde sur les raisons que j’ai données plus haut, on peut douter que Poutine ait envie de mener en Afrique la même prédatrice et inhumaine politique que tous les présidents français de la Cinquième République. En d’autres termes, demander l’aide de la Russie pour chasser ceux qui ne nous ont apporté que la pauvreté, l’assassinat des résistants, les coups d’état, rébellions et bombardements, ne signifie pas que nous quittons un ancien maître (La France) pour un nouveau maître (la Russie).
Dans une interview accordée de juin 2015 à février 2017 au réalisateur américain, Oliver Stone, Poutine condamnait, clairement, “l’attitude agressive et intrusive” des pays occidentaux, comparait l’intervention de l’OTAN en Libye, en 2011, à “une croisade de l’époque médiévale l’OTAN [car, pour lui], la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ne donnait pas le droit d’intervenir dans une affaire interne et de défendre un des deux camps”.
Je peux me tromper sur l’homme fort et intelligent de Moscou mais que perdrait l’Afrique francophone à suivre l’exemple du Soudan du Nord et du Centrafrique ? A contrario, que gagnerait-elle à poursuivre sa coopération avec un pays qui prétend l’aimer mais la poignarde continuellement dans le dos ?
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à Temple University (Etats-Unis).