COTE D’IVOIRE : Ayons le triomphe modeste et continuons à mener le combat de la souveraineté !

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Après la libération des prisonniers politiques (Soul to Soul, chez qui on saisit des tonnes d’armes, en faisait-il partie ?), certaines personnes n’ont pas tardé à affirmer que ladite libération était le fruit de notre résistance, intransigeance et détermination. Certes, nous avons toujours soutenu que nos frères ne méritaient pas d’être incarcérés pour leurs opinions ou pour leur appartenance au parti de Laurent Gbagbo; certes, nous n’avons jamais cessé d’exiger leur libération (bravo à chacun de nous pour cette constance!) mais, il ne me semble ni vrai, ni honnête de nous attribuer la fin des souffrances de nos camarades, même si nous nous réjouissons tous qu’ils soient, enfin, sortis (dans quel état ?) de cet enfer car, si nous étions, aussi, combatifs que cela, si nous étions aussi déterminés, aussi intransigeants que nous le prétendons, Simone Ehivet, Moïse Lida Kouassi, Assoa Adou, et les autres n’auraient pas attendu 7 ans (je dis bien 7 ans) avant de recouvrer la liberté.

Non, ce n’est pas nous qui avons fait plier Ouattara (notre photo). Celui-ci a été obligé de mettre fin au calvaire de nos frères parce que l’Union européenne (UE) le lui a demandé après avoir (peut-être) compris que le climat socio-politique tendu depuis le 11 avril 2011 risquait à la longue de nuire à ses propres intérêts et qu’elle s’était lourdement trompée sur un individu qu’elle a soutenu contre tout bon sens, après avoir réalisé que la Côte d’Ivoire n’était pas aussi démocratique, aussi respectueuse des droits de l’homme, aussi propre que les thuriféraires internes et externes de Ouattara veulent le faire croire. En cela, Konan Bédié a vu juste et a raison de ne pas féliciter son ex-allié car le fait de rendre la liberté à des personnes injustement arrêtées et détenues pendant 7 ans sans jugement, n’est pas une faveur qui leur est accordée. Celui qui a osé arrêter et emprisonner des innocents, est un brigand et on ne remercie ni ne félicite un brigand. Ce que l’on fait, en pareille circonstance, c’est de porter plainte. Les victimes, qui ont droit à des dédommagements et à des soins, devraient déposer une plainte contre le régime Ouattara pour ces 7 années perdues.

Je suis content pour les camarades qui vont retrouver leurs familles. Ce qui m’attriste, en revanche, c’est le rôle joué par l’Occident dans cet élargissement. Les Occidentaux ne font rien pour rien. Or “ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait contre nous”, avertissait Nelson Mandela. N’oublions pas que ce sont les mêmes Occidentaux qui ont libéré Jean-Pierre Bemba pour qu’il soit candidat à la prochaine présidentielle de la RDC (République démocratique du Congo). Quel deal ont-ils fait avec lui ? Que leur a-t-il promis en échange de sa libération ? Joseph Kabila, qui a travaillé avec la Chine ces dernières années, ne faisait-il plus l’affaire de la Belgique, de la France et des Etats-Unis ? En tout état de cause, l’Affaire Bemba montre clairement que l’Occident continue de s’ingérer dans nos affaires et d’être le maître du jeu.

Depuis quelque temps, nous voulons que l’Afrique soit aux Africains et nous réclamons à juste titre la création d’une monnaie africaine, le départ des bases militaires françaises des pays africains, la non-immixtion des pays occidentaux dans les choses qui nous concernent mais, si ce sont les autres qui doivent libérer nos prisonniers ou chasser nos dictateurs, le changement que nous voulons risque de ne jamais arriver et nous ne serons jamais maîtres ni de notre destin, ni des richesses de nos sols et sous-sols. L’Algérie peut décider elle-même aujourd’hui de ce qui est bon pour elle parce qu’elle a accepté de mener jusqu’au bout le combat de la souveraineté entre 1954 et 1962. Idem pour l’Inde et les Etats-Unis contre l’Angleterre. Un jour, un aîné de plus de 80 ans qui milita jadis dans la FEANF et lutta contre le régime Houphouët me dit ceci : Les Africains au Sud du Sahara luttent mais ils ne mènent pas la lutte jusqu’au bout; ils s’essoufflent vite; ils abandonnent vite. S’ils intégraient l’idée que l’indépendance ne se donne pas mais s’arrache et que rien de grand ne s’obtient sans sacrifices, s’ils avaient un peu de la détermination dont firent preuve les Bush et Sarkozy pour détruire l’Irak, la Libye et la Côte d’Ivoire, nous n’en serions plus là.

Le jour où nous ferons montre de plus de détermination, le jour où nous chasserons tout seuls Dramane Ouattara et ceux qui l’ont imposé aux Ivoiriens (car cet objectif reste d’actualité, pour moi) comme les Burkinabè chassèrent Blaise Compaoré fin octobre 2014, alors nous pourrons nous autocongratuler et bomber le torse. Pour l’heure, ayons le triomphe modeste; laissons aux vestiaires arrogance et suffisance; rangeons dans les tiroirs anathèmes et condamnations; avec les autres partis politiques, faisons bloc pour sauver la Côte d’Ivoire qui est plus grande et plus importante que nos partis politiques !

Jean-Claude DJEREKE
Professeur de littérature francophone à Temple University (Etats-Unis)

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