L’école ivoirienne, qui va du primaire à l’université, vient d’être classée avant-dernière en Afrique francophone. Il fallait s’attendre à un tel rang puisque, depuis quelques années, aucune université ivoirienne ne figure dans les 100 ou 200 meilleures universités africaines pendant que le Burkina est cité.
A qui la faute si nous avons abouti à ce désastre ? A ceux qui ont fait, ces dix dernières années, des recrutements clientélistes en enrôlant dans le primaire et le secondaire, des gens dont le seul mérite est d’avoir pris les armes pour combattre un président, démocratiquement, élu, en faisant entrer dans nos universités des individus n’ayant pas obtenu la mention « Très honorable » le jour de la soutenance de leur thèse.
Je suis toujours estomaqué de voir des professeurs de français, d’histoire-géographie, de philosophie, de psychologie, de sociologie ou de droit, malmener le vocabulaire et la grammaire. On peut ne pas partager les choix politiques de Franklin Nyamsi, ne pas aimer ses outrances verbales ni sa propension à trop parler de lui et de ses diplômes, mais, on devrait, au moins, lui reconnaître qu’il est cultivé et qu’il écrit bien. En outre, il a, déjà, publié et continue de publier. A Bouaké ou à Abidjan, des gens se croient importants parce que le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) leur a décerné le titre de professeur titulaire, de maître de conférences ou de maître-assistant, alors que leur thèse de doctorat reste leur seule production intellectuelle.
Harris Memel Fotê, Georges Niangoran Bouah, Bernard Zadi Zaourou et d’autres, devaient leur notoriété non pas au CAMES mais à leurs travaux. Ce sont leurs publications et convictions qui les ont imposés. Pour eux, il fallait, non seulement, “dénoncer l’injustice [mais] donner sa vie pour la combattre” (Albert Camus dans ‘Les Justes’). Difficile que ces poids lourds se laissent impressionner par les titres ronflants mais creux du CAMES et ils avaient bien raison car six professeurs titulaires et agrégés originaires de Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo et du Burkina Faso, furent sanctionnés par la 36e session du CAMES organisée, à Cotonou, du 27 au 28 mai 2019, soit, pour avoir profité de leurs positions pour favoriser certains collègues par des promotions imméritées et pour recaler d’autres qui mériteraient d’être promus, soit, pour avoir plagié leurs collègues. Et puis, peut-on vraiment fanfaronner avec le titre de prof. titulaire ou de prof. agrégé quand on est l’auteur d’une thèse “truffée de copie malhonnête d’une tierce personne”? Bref, pour revenir à l’école ivoirienne, confier le ministère de l’Enseignement supérieur au RDR, de 2003 à 2010, fut une faute aussi grave que garder pendant une décennie l’inculte, Kandia Camara, à la tête de l’Education nationale (sur la photo ci-dessous, le premier ministre Hamed Bakayoko soulève le bras de Kandia Camara : médiocrité oyé !).
Je pourrais parler aussi de ces notes de complaisance données par certains enseignants à des filles qui n’ont pas d’autre atout que la beauté physique, des notes offertes et des taux d’admission inventés pour faire croire qu’on a travaillé mieux que l’ancien régime, de ces fescistes interrompant les cours ou bastonnant les enseignants ou de ces parents prêts à graisser la patte à tel ou tel examinateur pour que le fainéant fiston puisse passer en classe supérieure. L’échec du système éducatif ivoirien n’a donc pas commencé avec le régime actuel.
Que faire pour sauver notre école ? Nul ne contestera le fait que c’est Ouattara qui a aggravé les choses en injectant dans l’enseignement primaire et secondaire des gens incapables d’écrire, correctement, leurs propres noms. Par conséquent, il ne faut rien attendre de lui. Celui qui viendra après lui devra revenir à des critères simples qui, ailleurs, ont accouché de systèmes performants et respectés : la rigueur, la compétence, la construction d’écoles, de bibliothèques et de laboratoires, obliger les élèves et étudiants à lire, sanctionner ceux qui préfèrent les raccourcis à l’effort, renvoyer de l’université les enseignants qui ne publient pas, améliorer les conditions de vie et de travail du corps enseignant, etc.
Au lieu de se préoccuper de cette école qui ne vaut plus rien, certains Ivoiriens se sont fait avoir, une fois de plus, en se jetant goulûment sur un os jeté, il y a quelques jours, par « Le Monde ». L’os, c’est le divorce que Laurent Gbagbo aurait proposé à Simone Ehivet. Celle-ci, selon le quotidien français, serait favorable à accepter la proposition à condition que lui soit cédée la gestion du Front populaire ivoirien (FPI).
On jette un os à un chien pour l’occuper et tourner son regard ailleurs. Celui ou celle qui est en difficulté use de ce stratagème pour se tirer d’affaire. La France est, aujourd’hui, en très mauvaise posture en Centrafrique parce que le président de ce pays a fait appel à la Russie, qui n’a pas tardé à déployer d’importants moyens militaires pour écraser les groupes armés soutenus par la même France. Certains pensent même que l’ancienne puissance coloniale est en train de perdre son ex-colonie dont elle n’a fait que piller les richesses minières et qu’elle craint l’effet domino dans les autres pays de l’Afrique francophone.
En faisant circuler de fausses informations sur l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, la France espère-t-elle nous empêcher de suivre ce qui se passe en République centrafricaine et d’en tirer des leçons ? Probablement mais c’est peine perdue car un grand nombre d’Africains ont bien compris son jeu trouble, hypocrite et malsain. Ils ont, surtout, compris que c’est l’avenir de l’Afrique dite francophone qui se joue en République centrafricaine et que c’est une habitude chez les dirigeants français de nous jeter des os pour détourner notre attention des vrais sujets qui sont les bases militaires françaises installées en Afrique, le F CFA qui ne profite pas aux Africains, le pillage de nos ressources naturelles, le soutien apporté aux dictateurs, qui briguent un 3e mandat (comme Ouattara), l’échec de l’Opération Barkhane au Sahel, etc. Nous voulons un débat sur ces questions-là et non sur un divorce imaginaire entre Laurent et Simone (notre photo ci-dessous), qui se sont battus 4 décennies durant pour une Afrique libre et souveraine.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).