« L’argent ou la mort! »: mécontents après l’annonce télévisée faite par un groupe de militaires sur le « renoncement » à leurs revendications financières, les soldats qui avaient ébranlé la Côte d’Ivoire en janvier, ont repris les mutineries, ce vendredi, 12 mai, en tirant en l’air et en paralysant plusieurs villes du pays.
Dans le quartier du Plateau à Abidjan, les mutins (notre photo) se sont positionnés autour du vaste camp militaire Gallieni où est situé l’état-major des armées. Kalachnikov à la main, bonnets ou bandeaux de camouflage sur la tête, ils tiraient, sporadiquement, en l’air, bloquant les routes autour du camp. Aux dernières nouvelles, ils se sont emparés de ce camp militaire.
Un mutin exhibe, fièrement, un lance-roquette, un autre porte une mitrailleuse avec une impressionnante ceinture de balles sur l’épaule, rappelant le célèbre film « Rambo ».
« Notre réponse à l’annonce d’hier, c’est ça », explique un mutin sous couvert d’anonymat.
La veille, une cérémonie en présence du président, Alassane Ouattara, d’un sergent mutin et plusieurs soldats, avait acté la fin des contestations.
Organisé sans la présence de la presse et diffusé en différé après montage, l’événement se voulait, visiblement, un point final à la protestation de l’ensemble des forces de sécurité, alors que le pays est, durement, touché par l’effondrement des cours du cacao vital pour son économie et dont il est le premier producteur mondial.
« On devait payer +la suite+ maintenant et un groupuscule se lève et dit qu’il ne veut plus l’argent. Le sergent Fofana-là (le nom du sergent à la cérémonie), on le connait d’où ? », souligne un mutin.
Les mutins avaient réclamé 12 millions de F CFA de primes (18.000 euros) et obtenu le versement, dès janvier, de 5 millions (7.500 euros). On leur avait promis de payer les 7 millions restants par tranche à partir de ce mois de mai.
Les soldats mutins sont des anciens rebelles qui avaient aidé Ouattara à réaliser ses multiples tentatives de coup d’état quand Laurent Gbagbo était au pouvoir, et, finalement, à prendre ce pouvoir après la crise post-électorale de 2010-2011 lorsque le président Laurent Gbagbo avait refusé de reconnaître sa défaite électorale, et que le président français, Nicolas Sarkozy, avait ordonné l’assaut de la résidence présidentielle.
« On restera, 2 jours, 2 mois, 2 ans », assure un autre mutin, montrant une photo de sa maison inachevée achetée avec la prime des 5 millions. « Pour le reste, je vais où pour l’emprunt ? ».
Les nombreux tirs effrayent les passants faisant, aussi, s’envoler des milliers de chauves-souris habituées à dormir dans les arbres du Plateau.
Des femmes passent en courant. Les mutins les calment : « Ne courez pas : on n’a pas de problème avec vous ». Mais avec Alassane Ouattara en personne !
« Les populations n’ont pas à payer. On ne leur veut pas de mal. On tire en l’air pour qu’elles partent et ne soient pas blessées », promet un mutin, qui refuse les explications sur la pauvreté générale du pays : « Si Ouattara est au pouvoir c’est pour l’argent. Lui, il en a. Il a promis, il paie ».
« Ce n’est pas bon pour le pays. On ne sait pas ce qui va se passer, on a très peur », raconte un professeur venu retirer un document à la Cité administrative, à côté du camp Gallieni.
« S’ils veulent tirer, ils n’ont qu’à aller tirer à la présidence, c’est là-bas que cela se passe », lance un badaud.
Un important dispositif militaire encadrait la présidence, située à quelques centaines de mètres du camp Gallieni.
A Akouedo, à l’Est d’Abidjan, les militaires ont, aussi, tiré en l’air alors que les mutins ont investi le centre de Bouaké, deuxième ville du pays et épicentre de la mutinerie de janvier.
La plupart des commerces, écoles et l’université et même un commissariat et la préfecture de police, ont fermé alors que des balles tirées en l’air retombent, régulièrement, dans des concessions de maisons, selon plusieurs témoins. La situation était semblable à Korhogo et Odienné (Nord).
Début janvier, la mutinerie avait paralysé plusieurs villes, notamment, Abidjan. Des affrontements avaient fait quatre morts à Yamoussoukro. Le président Ouattara a rappelé, jeudi, que la « stabilité de la Côte d’Ivoire a été mise à mal » et les événements avaient « effrayé les Ivoiriens, ceux qui veulent investir et visiter le pays ».
A quelques trois ou quatre années de son départ (définitif) du pouvoir après une dizaine d’années passées à la tête de l’Etat, Alassane Ouattara se rend compte que ses réformes économiques visant à faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020, sont un échec, car plombées par la baisse des cours des matières premières. Au même moment, il a ré-endetté la Côte d’Ivoire à la Vitesse V, après avoir fait annuler la dette qu’il avait trouvée quand il arrivait au pouvoir. Beaucoup d’infrastructures ont été construites générant des surfacturations énormes qui ont profité à ses parents et amis politiques, essentiellement.
Quant à la réconciliation, elle a raté, le chef de l’Etat ayant été incapable d’assurer (même) l’unité du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix), qui lui avait permis, d’accéder au pouvoir en 2011, et à s’y maintenir cinq ans plus tard. Le RHDP a implosé, il y a quelques mois, et Ouattara a renvoyé du gouvernement les présidents des deux partis frères qui en faisaient l’ossature (l’UDPCI et le MFA) en dehors du PDCI-RDA dont les militants ne sont pas d’accord avec la gestion de ce mouvement qui profiterait beaucoup plus aux cadres du parti présidentiel, le RDR.
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé en prison à la CPI, alors que tous les tueurs froids du camp de Ouattara se la coulent douce, juchés à des postes juteux à faire pâlir un Grec de jalousie, on comprend les mécontentements qui sont latents dans la Côte d’Ivoire de Ouattara, qui a cessé d’être le pays de paix qu’avait façonné le père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, on en est très très loin.