Les Justin Koné Katinan, Damana Adia Pickass, Stéphane Kipré, rentrés d’exil, font des tournées et des meetings dans le pays sans problème et c’est une bonne chose. Charles Blé Goudé a reçu son passeport et c’est une bonne chose. Hanny Tchelley, qui a récemment regagné la Côte d’Ivoire, peut accorder des interviews sans difficulté et c’est une bonne chose.
Sidiki Bakaba, acteur et auteur de nombreux documentaires et films à succès dont « Les guérisseurs » (1988) et « Le Nord est tombé sur la tête » (1985-1998) semble avoir un traitement différent. Certes, il s’est déjà rendu 3 fois à Abidjan sans être inquiété et c’est une bonne chose. N’empêche que, depuis qu’on parle de réconciliation et de cohésion sociale à Abidjan, le grand cinéaste attend d’obtenir réparation et justice pour ses biens (maisons, véhicules et appareils) pillés pendant la crise postélectorale. Qu’est-ce qui coince pour que Bakaba ne soit pas dédommagé ? Aux yeux du régime d’Abidjan, serait-il plus coupable que Laurent Gbagbo pour qui Ouattara a demandé, le 6 août 2022, qu’il « soit procédé au dégel de ses comptes et au paiement de ses arriérés de rentes viagères » ? Le fait d’avoir été nommé ambassadeur par décret présidentiel en octobre 2010, c’est-à-dire, avant l’élection présidentielle, est-il un crime ? Lui reproche-t-on la réalisation en 2002 du documentaire « La victoire aux mains nues » ? Lui fait-on payer sa présence à la résidence présidentielle en avril 2011 ?
Pour mémoire, Sidiki Bakaba a gagné en 2016 le procès que lui a intenté à Paris la justice ivoirienne pour « crimes contre l’humanité ». Le procureur, Richard Adou, et ses comparses avaient été déboutés parce que la justice française ne comprenait pas comment on peut perpétrer des tueries avec une simple caméra.
Bakaba n’a plus de caméra, plus de salaire en tant qu’ambassadeur, plus de toit à Abidjan. Il n’a plus rien pour acheter les médicaments de son épouse, Ayala, qui est hospitalisée depuis 5 ans et qui n’est pas inconnue de Me Emmanuel Altit.
Cet homme ne peut pas continuer à être ignoré par son pays pendant qu’il est célébré au Cameroun et au Sénégal. Il ne peut pas continuer à vivre dans la galère alors qu’il a travaillé durement pour vivre décemment.
Il est temps de rendre justice à Sidiki Bakaba pour que la réconciliation ne soit pas un vain mot.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).