Ce matin, j’ai regardé, dans les journaux abidjanais, le compte-rendu de la conférence de presse animée hier par Abou Drahamane Sangaré (le représentant de l’aile du FPI qui a pour président Laurent Gbagbo, ndlr). Alors que je pensais y trouver quelque chose de nouveau, je me suis aperçu que le conférencier reprenait simplement une ancienne demande de Bédié : le report des élections municipales et régionales du 13 octobre 2018 à une date ultérieure et la réforme de la Commission électorale. Une demande à laquelle Dramane Ouattara avait, déjà, opposé une fin de non-recevoir.
A quoi rime la répétition ici ? A quoi sert-il de vouloir discuter avec quelqu’un qui refuse de dialoguer ? Pourquoi continuer à lui demander une chose qu’il a d’autant moins envie de faire qu’elle pourrait le conduire à sa perte ? Que recherchent, en définitive, ceux qui semblent se complaire dans des répétitions stériles et nous engager sur des “chemins qui ne mènent nulle part” (Martin Heidegger) ? Nous faire croire qu’ils ne sont pas inactifs et silencieux face à un individu qui n’est pas à son premier reniement de promesse et chez qui le mépris de l’opposition est devenu une seconde nature ? Les Ivoiriens ont une expression triviale : ce sont les femmes qui parlent trop. On pourrait citer, aussi, la fameuse phrase de Wolé Soyinka : “Le tigre ne proclame pas sa tigritude ; il bondit sur sa proie et la dévore”. En 1992, quand Houphouët refusa de sanctionner les militaires ayant bastonné des étudiants et violé des étudiantes en pleine nuit à la cité universitaire de Yopougon (la sanction avait été demandée par ceux qui avaient enquêté sur lesdites violences), que firent l’opposition et la société civile ? Je ne crois pas qu’elles multiplièrent les conférences de presse pour s’indigner et prendre à témoin l’opinion nationale et internationale. Leur obsession n’était pas d’aller aux élections mais de prendre la défense des étudiants. C’est pourquoi elles descendirent dans la rue avec les Ivoiriens épris de liberté et de justice et arriva malheureusement ce qui ne devrait pas arriver dans un état de droit. 27 ans après, les étudiants de l’Université d’Abidjan sont en grève pour protester contre l’arnaque des frais d’inscription. Pendant que ces étudiants sont bastonnés et blessés, le PDCI, le FPI, le PIT, l’UDPCI, le MFA, Lider et les autres partis, ont le regard rivé sur les élections comme si c’était la chose la plus importante pour eux. Or, pour que les gens puissent voter pour les candidats, il faut qu’ils soient en vie. Pour le dire autrement, c’est le peuple qui vote, qui porte les gens au pouvoir, qui peut contraindre un tyran à reculer sur une décision ou à quitter le pouvoir démocratiquement ou par un soulèvement. C’est donc lui, en un sens, qui fait l’Histoire, pour reprendre la belle formule de Salvador Allende dont c’était le 45e anniversaire de la mort hier. Certains de nos leaders donnent, quelquefois, l’impression d’être nombrilistes, c’est-à-dire, de ne se soucier que de leur carrière, des postes qu’ils auront et des avantages attachés à ces postes. On ne s’engage pas en politique d’abord pour cela mais pour apporter un peu de bonheur au peuple, pour améliorer ses conditions de vie et de travail. Un vrai politique s’intéresse, donc avant tout, au sort des populations ; il a à cœur de satisfaire leurs besoins. En France, La Gauche et La Droite se sont, temporairement, mises ensemble pour faire partir Laurent Gbagbo et reprendre la main en Côte d’Ivoire. Pour le salut de notre pays, est-il si difficile aux partis de l’opposition de constituer une sorte d’union sacrée afin de dégager celui qui a pris notre pays en otage et nous pourrit la vie depuis le 24 décembre 1999 ? Les mots d’ordre promis ne seront-ils lancés que quand Ouattara aura fini de nous exterminer ?
En un mot, on dit chez nous que “trop parler donne dagbê”. On a trop parlé. Il est temps d’agir. Et agir veut dire que nous devons, momentanément, laisser nos petites querelles d’Ivoiriens au vestiaire pour nous mettre ensemble, pour réfléchir ensemble à comment chasser le dictateur. Car, pour sauver la patrie en danger, nous n’avons pas besoin d’attendre les élections de 2020 dont rien ne nous dit qu’elles ne seront pas truquées.
Le prof. Sangaré a beaucoup fait en empêchant Ouattara de vider le FPI de sa substance, en faisant en sorte que la page Laurent Gbagbo ne soit pas tournée, en redonnant aux militants l’espoir et l’envie de se battre. Et on ne le remerciera jamais assez de ce qu’il a donné et apporté à la lutte pour une Côte d’Ivoire libre et souveraine. Je souhaite, maintenant, qu’il passe à une autre étape de cette lutte : s’ouvrir aux autres partis de l’opposition, l’unir, rassembler tous les enfants de la Côte d’Ivoire et libérer notre pays (sur notre photo le professeur Sangaré avec d’autres leaders de l’opposition avec qui le combat peut être valablement mené). Les Ivoiriens pourront alors mettre en place une transition qui, entre autres tâches, préparera des élections pacifiques et propres.
Jean-Claude DJEREKE
Professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)