Pour beaucoup d’Ivoiriens, Alassane Ouattara caresse, secrètement, l’espoir d’un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. La (nouvelle) constitution le lui permet mais il avait, déjà, dit, très officiellement, qu’il était en train d’effectuer son deuxième et dernier mandat. Cela dit, il y a ce qu’on déclare en public et ce qu’on pense en privé avec sa femme. Seuls les comportements permettent de faire des supputations. Pour éviter tout piège, le PDCI a, clairement, manifesté son désaccord pour la création, dans l’urgence, du « parti unifié » (RHDP) expliquant qu’il n’y avait pas le feu à la maison. Parallèlement, il a demandé que le RDR accepte le principe d’une candidature unique du PDCI à la prochaine présidentielle de 2020, question de lui renvoyer l’ascenseur, lui qui avait soutenu l’actuel président en 2010 et 2015. Alassane Ouattara et le RDR ont refusé cette proposition de leur allié et souhaité qu’il y ait plutôt des primaires. Le PDCI a pris acte. La rupture semble donc consommée, et l’entente entre les deux leaders (Ouattara et Bédié) n’est plus au beau fixe. On se rend bien compte que la haine que se vouent les deux hommes d’Etat depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993, n’a, jamais, disparu, même si, ces dernières années, Henri Konan Bédié avait su (accepter) comment avaler les couleuvres de Ouattara sans que cela cause trop de tort au PDCI. La limite de cette stratégie s’étale aujourd’hui au grand jour et à nouveau, les couteaux risquent de sortir des gandourahs.
Le « parti unifié » voulu par le président ivoirien, Alassane Ouattara, en vue de l’élection présidentielle de 2020 doit être, officiellement, lancé ce lundi, 16 juillet, à Abidjan. Toutefois, ce grand lancement sera au rabais car il se fera sans son principal allié de la coalition au pouvoir, le PDCI-RDA,qui redoute un marché de dupes.
L’assemblée générale constitutive du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) se tiendra lundi après-midi dans un grand hôtel de la capitale économique ivoirienne, une semaine après la nomination d’un nouveau gouvernement avec des personnalités toutes favorables à ce parti unifié.
Serpent de mer de la politique ivoirienne depuis une dizaine d’années, le parti unifié avait, initialement, l’ambition de rassembler la formation du président Ouattara, le Rassemblement des Républicains (RDR), et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dirigé par l’ancien président (1993-1999), Henri Konan Bédié, pour retrouver l’unité perdue lors du coup d’état que Alassane Ouattara organisa, avec succès, en décembre 1999, pour chasser Henri Konan Bédié du pouvoir.
Le PDCI est le parti historique de la Côte d’Ivoire. Fondé par le père de l’Indépendance Félix Houphouët-Boigny, premier président ivoirien (1960-1993) et encore aujourd’hui figure tutélaire, il fut longtemps le parti unique du pays, jusqu’à l’avènement du multipartisme en 1990. Le RDR est né en 1994 d’une dissidence du PDCI après la mort d’Houphouët.
Créé en 2005 comme coalition électorale du RDR et du PDCI, essentiellement, pour affronter le président Laurent Gbagbo et son FPI, le RHDP a permis la victoire d’Alassane Ouattara aux élections présidentielles de 2010 puis 2015. Sa transformation en véritable parti unifié en aurait fait une machine de guerre quasi imbattable pour les élections locales (municipales et régionales) prévues cette année, et surtout, pour la présidentielle dans deux ans, face à une opposition affaiblie et divisée.
Laurent Gbagbo est, en effet, emprisonné et en procès devant la Cour pénale internationale à La Haye, accusé de crimes contre l’humanité lors de la tragique crise post-électorale de 2010-11. Son parti est, désormais, divisé en deux tendances rivales : les Pro-Pascal Affi Nguessan et les Pro-Abdourahmane Sangaré.
Au moins, 20.000 personnes sont attendues ce lundi après-midi pour l’assemblée générale du RHDP, dont 1.500 « militants statutaires », c’est-à-dire, des responsables des différents partis, selon un responsable de l’organisation. Ces 1.500 responsables désigneront un président pour le nouveau parti, ainsi qu’un bureau. Le RDR, qui comptera 500 délégués statutaires, a demandé à Alassane Ouattara de se porter candidat pour présider le mouvement. Ouattara, pour le moment, réserve sa réponse, mais il peut bien s’agir d’une première étape visant à sa candidature pour un troisième mandat. Le PDCI n’a pas tort de redouter un piège. Bédié a, déjà, à plusieurs reprises, été accusé de se faire marcher sur les pieds par Ouattara, pour accepter cette énième concession. Dans une deuxième étape, d’ici à la fin de l’année, un « congrès constitutif » entérinera la création du RHDP.
Le PDCI a dit non au parti unifié en juin. Il exigeait comme préalable à l’union qu’une personnalité issue de ses rangs soit le candidat unique du RHDP, soutenu par le RDR, à la prochaine présidentielle. Le RDR a refusé.
En conséquence, Henri Konan Bédié a enjoint à ses militants de ne pas participer à l’assemblée générale du RHDP, dans un communiqué vendredi, 13 juillet.
Le président Ouattara a, néanmoins, réussi à débaucher des élus et des personnalités du PDCI. Une douzaine de ministres du nouveau gouvernement sont, en effet, encartés au PDCI, ayant fait allégeance au parti unifié. Le PDCI se réserve le droit de les expulser du parti. Mais cela pourrait créer un grand désordre au sein du PDCI que, visiblement, chercherait d’ailleurs Ouattara.
Parmi les petits partis, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI – six députés) s’est prononcée pour le RHDP. Son président, Albert Toikeusse Mabri, a, du coup, hérité du quatrième portefeuille du gouvernement, l’Enseignement supérieur et la Recherche.
La situation est confuse pour trois autres petits partis, l’Union pour la Côte d’Ivoire (UPCI, 3 députés), le Mouvement des forces d’avenir (MFA) et le Parti ivoirien des travailleurs (PIT). Leurs congrès se sont prononcés contre l’union avec le RHDP, mais, des dissidences sont apparues ensuite, avec des tentatives de putsch en interne, qui font l’objet de procédures en justice. Des manoeuvres téléguidées par le pouvoir, accusent les dirigeants de ces partis, ce que réfute le RDR. Certains de ces « dissidents » ont été nommés au gouvernement.
Enfin, Guillaume Soro, le président RDR de l’assemblée nationale, sera absent à l’assemblée générale du RHDP, pour cause de déplacement au Canada. Réputé en froid avec Alassane Ouattara, l’ex-chef de la rébellion (2002-2011) et ex-premier ministre, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, s’est placé en retrait, depuis plusieurs mois, avec l’objectif de se donner une posture de rassembleur. De manière sibylline, il s’est dit favorable au RHDP, mais, sans rompre avec le PDCI. Ce qui est un exercice d’équilibrisme que seul peut réussir Guillaume Soro.