Nous avons le droit d’écrire notre histoire nous-mêmes pour situer les faits dans leurs contextes aux fins de restituer la vérité. A la vérité, Gbagbo est à l’origine de l’état d’ébriété de la gauche ivoirienne.
En 1990, Gbagbo a saboté la volonté de la gauche comme il a saboté la réunification de son camp à son retour de prison. En 1990, la gauche décide de ne pas participer à l’élection présidentielle, ayant conscience que Houphouët Boigny gagnerait cette élection présidentielle de 1990 avec ou sans sa participation.
Ce refus répondait à une exigence classique : « ne pas donner une caution à cette élection pour légitimer la dictature du PDCI ». Les quatre grands leaders de l’opposition d’alors, c’est-à-dire, Gbagbo, Wodié, Zadio Zaourou et Bamba Moriféré, ont acté cette volonté unitariste. La Convention de Korhogo. Cette convention s’est déroulée à Khorogo en 1990 quelques mois avant la présidentielle.
Les quatre grands, en signant ce document qui matérialise un accord et un pacte entre eux, exprimaient leur engagement à ne pas se trahir quelles que soient les circonstances avenantes.A la fin des festivités de la convention, ils se sont retrouvés chez Maître Lanciné Gon pour se promettre de ne jamais désobéir à l’esprit et l’acte écrit de cette convention. De retour à Abidjan, Gbagbo réunit le secrétariat général du FPI pour annoncer sa volonté de se présenter contre Houphouët, rompant ainsi unilatéralement le pacte qu’il a passé avec les autres partis politiques de la grande gauche ivoirienne (sur notre photo Laurent Gbagbo rencontre Félix Houphouët-Boigny). Commencent alors les rancoeurs et les dribbles. Ces rancoeurs qui se sont accentuées avec les problèmes de femmes entre eux selon la rumeur persistante.
Entre-temps, Houphouët, sachant que quelqu’un se présenterait contre lui, a décidé d’instaurer une caution de 20 millions de F CFA (30.000 euros) pour tout Ivoirien nourrissant le désir de briguer le poste de président de la République. Gbagbo est pris au rabais par cette mesure d’Houphouët. Il décide de lancer une quête citoyenne pour le candidat de la gauche afin de réunir cette somme imposée par le régime du PDCI. Gbagbo obtint la solidarité de certains de ses concitoyens. Sur une période de 7 jours, le FPI a pu récolter cette somme pour permettre à Gbagbo de faire acte de candidature.
Une frange du parti dirigée par Bamba Maurice claque la porte du FPI pour protester et dénoncer cette imposture du chef. Après les élections, un quota de 18% des votes a été attribué par arrangement à Laurent Gbagbo, lui permettant, désormais, d’être le chef historique de l’opposition et de facto l’interlocuteur privilégié du régime PDCI. Plus tard, d’autres figures emblématiques tels que Guei Valère, Don mélo Tapé Kipré et bien d’autres, quittent le FPI pour créer un parti dénommé La Renaissance. Ayant jamais tiré les leçons de sa roublardise et ses volte-face, Gbagbo, libéré par la CPI après plus de dix ans de prison et de procès, rentre en Côte d’Ivoire.
Plutôt que de réunifier cette frange de la gauche à lui restée fidèle pour consolider son instrument de reconquête du pouvoir d’Etat, non, il crucifie tout et agit à l’effritement absolu de cette gauche. Une gauche pourtant porteur d’un nouvel espoir pour le peuple ivoirien après le séisme socio-politique de 2010. Gbagbo est historien. Mais je me demande très souvent s’il lit ces événements qui se déroulent avec les yeux d’un historien aguerri.
Malheureusement, j’ai bien l’impression que sa volonté à tout ramener à sa personne est tellement aveuglante qu’il oublie qu’il est porteur d’un espoir pour tout un peuple.
Doyen Jean-Marie Dekpai II