COTE D’IVOIRE : LE COUP DE GUEULE DE LAURENT DONA FOLOGO

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A la lecture de son interview, on sent que Laurent Dona Fologo en a marre. Il en a ras-le-bol, après avoir tant vu, tant avalé les couleuvres. Grand disciple de Félix Houphouët-Boigny qu’il se plaît à citer régulièrement, il assène des vérités sur la crise qui secoue la Côte d’Ivoire et qui n’est que le résultat de la machination de certains Ivoiriens mal famés. Il salue comme il se doit la médiation de Thabo Mbeki que personne, ni en France, ni ailleurs, ne peut réussir à influencer. Il va même jusqu’à proposer une solution interne de sortie de crise au cas où les ennemis visibles ou tapis dans l’ombre réussiraient à bloquer cette médiation. Laurent Dona Fologo qui n’a pas l’habitude de se répandre dans la presse, fait très mal dans cette interview. Chacun en prend pour son grade. Mais qui, en réalité, peut lui jeter la pierre ?

Afrique Education : Quelle appréciation portez-vous sur les résultats du Sommet de Libreville où le CPS de l’Union Africaine a reconnu que le référendum pouvait être l’une des options – qui n’est pas exclusive – que le président Laurent Gbagbo pourrait utiliser à condition qu’il respecte l’esprit des Accords de Marcoussis et d’Accra III ?

Laurent Dona Fologo : Dès que le président Thabo Mbeki a été désigné par l’UA comme médiateur dans la crise ivoirienne, je suis de ceux (et ils sont nombreux en Cote d’Ivoire) qui n’ont pas hésité à affirmer que l’arrivée de Monsieur Mbeki dans notre crise devait être considérée comme la main de Dieu. Le président Gbagbo a dit, « Monsieur Mbeki doit être notre dernier médiateur » et je pense la même chose. La crise ivoirienne a connu beaucoup de circuits, beaucoup d’étapes et ses tentatives de règlement ont beaucoup circulé : Lomé, Paris, Marcoussis, Accra, Abuja, Libreville et j’en passe. On pourrait même dire que le Sommet de la Francophonie à Ouaga a aussi été l’une de ses étapes qui ne dit pas son nom. C’est dire que notre problème est difficile et complexe mais c’est dire aussi que beaucoup d’amis et de faux amis l’ont rendu encore plus compliqué.

Au lendemain de Marcoussis-Kléber, en prenant connaissance de ce fameux Accord, le négociateur de Lomé que j’étais, n’a pas hésité à affirmer que l’Accord de Marcoussis était un mauvais Accord et qu’il serait difficile à appliquer sur le terrain ivoirien. Je constate que je ne m’étais pas trompé car les faits m’ont donné raison sinon il n’y aurait eu ni Accra II, ni Accra III ni Libreville et les autres étapes d’interminables discussions. On fait du sur-place dans cette crise en Côte d’Ivoire parce que ses tentatives de règlement à Marcoussis en particulier, ont été faussées, injustes, inacceptables et méchantes. Les sentiments qui ont habité les participants à la fameuse table ronde de Marcoussis, n’avaient pour objectif que de dépouiller le président élu de ses pouvoirs constitutionnels, de l’humilier ou pour certains, de se venger. Et toutes les difficultés de la crise ivoirienne partent de là, de ces « mauvais sentiments », comme aurait dit Houphouët-Boigny. Il s’agit de savoir si Gbagbo a été élu président de la République de Côte d’Ivoire ou pas. Or, les résultats de l’élection d’octobre 2000 confirmés par la sortie massive du peuple ivoirien à Abidjan, l’ont reconnu comme président de la République. Il a prêté serment sur la Constitution. Il a gouverné deux ans en faisant trois gouvernements successifs, avant d’être en cette aube de septembre 2002, attaqué par ce qu’on appelle aujourd’hui, les rebelles alors qu’il ne s’agissait que purement et simplement d’un coup d’état manqué qui a causé beaucoup de dégâts en Côte d’Ivoire.

Où en est-on aujourd’hui ? Pour nous, les décisions de Libreville nous paraissent tout à fait acceptables et applicables en Côte d’Ivoire. Parmi toutes les étapes qu’on a connues jusqu’à présent dans le règlement de la crise, je considère que ce document est le plus clair, le plus équilibré et le plus juste pour régler la crise ivoirienne. Le président Thabo Mbeki remplit les conditions qu’aucun autre médiateur ne remplissait avant lui. Il est loin de la zone ouest-africaine, il n’est donc pas mêlé aux manœuvres de leadership que nous avons constaté dans l’Ouest-africain entre certains chefs d’Etat à propos de notre crise. Il n’est pas francophone et il échappe donc à l’emprise de la France génitrice malheureuse de Marcoussis et Kléber. Monsieur Thabo Mbeki est avec le président Mandela, un grand combattant pour la liberté et la justice. Ensemble, ils ont su vaincre l’apartheid, régime abject et raciste que leur pays a connu. Ils n’ont donc aucune leçon ni de nationalisme, ni de patriotisme, à recevoir de qui que ce soit en Afrique, même pas des « patriotes » ivoiriens. Enfin, le président Mbeki est à la tête d’un pays africain puissant qui n’a rien à envier à certains pays européens sur le plan ni du développement encore moins sur le plan militaire. Pour toutes ces raisons, ce médiateur peut être libre et neutre. C’est pourquoi nous n’avons pas été surpris des avancées rapides et concrètes qu’il a pu obtenir par sa médiation en Côte d’Ivoire. Je souligne à cet égard que c’est lors de sa visite en Côte d’Ivoire et à l’issue de sa rencontre avec les différents protagonistes de la crise que les textes de loi les plus difficiles et les plus importants sortis de Marcoussis, ont été votés par l’ensemble des députés ivoiriens. C’est par exemple le cas du fameux article 35 qui a trait aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République ivoirienne. Je note aussi que le président Mbeki est au demeurant le seul médiateur qui a parlé aux représentants du peuple à l’Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas surpris de la qualité du texte adopté par le Sommet de Libreville sur notre crise.

Comme l’article 35 concerne essentiellement la personne d’Alassane Ouattara, y aurait-il réellement un intérêt à le réviser s’il n’est pas admis à se présenter à la présidentielle d’octobre 2005 ? Car je rappelle que, à moins que les choses aient changé, le FPI n’est pas seul à refuser la candidature de Ouattara. Le PDCI qui a lancé la notion d’ivoirité et l’UDPCI de feu Robert Gueï, lui refusent également une telle possibilité.

La candidature de l’ex-premier ministre Alassane Ouattara à la présidence de la République de Côte d’Ivoire, a été rejetée deux fois : d’abord en 1995, lors de l’élection du président Henri Konan Bédié et puis, en l’an 2000, à l’issue de la transition du général Gueï. La Cour suprême a rejeté cette candidature par deux fois et pour les mêmes raisons : « l’identité douteuse » de ce candidat. Aujourd’hui, il est clair pour tout le monde que la fameuse table ronde de Marcoussis demande de modifier la Constitution en son article 35 pour que cet homme et d’autres qui pourraient être placés dans les mêmes conditions que lui, deviennent éligibles. Ce qui est grave, c’est que les géniteurs de cette idée ont réussi à entraîner avec eux non seulement, l’Union Africaine mais aussi et surtout, aujourd’hui, toute la communauté internationale. C’est pourquoi, nombreux sont les Ivoiriens au jour d’aujourd’hui qui pensent que si cette révision constitutionnelle devrait être le prix à payer pour le retour à la paix en Côte d’Ivoire, alors cela devrait être examiné de près. Le récent vote de la révision constitutionnelle, c’est-à-dire, l’article 35 par plus des 2/3 des députés à l’Assemblée nationale, députés qui, je le rappelle, sont essentiellement constitués des élus FPI et PDCI (le RDR n’est pas représenté à l’Assemblée nationale) entre dans ce cadre de recherche de la paix. La révision de cet article dépasse la personne de Monsieur Alassane Ouattara. Le nouvel article 35 révisé concerne tous les Ivoiriens dont les parents ne seraient plus tous les deux nécessairement ivoiriens. Connaissant le peuplement de la Côte d’Ivoire où grâce à la politique d’ouverture du président Houphouët-Boigny, ce pays de 16 millions d’habitants compte plus de 28% d’Ivoiriens de souche étrangère en raison du brassage avancé, véritable intégration sous-régionale réalisée par le premier président de Côte d’Ivoire, ces personnes qui sont de père ou de mère de nationalité ivoirienne, sont concernées par cet article qui ne résout pas uniquement le cas de Monsieur Ouattara.

Monsieur Ouattara sera-t-il candidat en 2005 ? C’est son affaire. Mais l’article 35 révisé, comme proposé par Marcoussis, le rendrait éligible. Lui comme tout autre Ivoirien de même origine.

A condition qu’on dise Oui au référendum !< /i>

Dans la Constitution ivoirienne d’aujourd’hui, Constitution qui a été adoptée par référendum en août 2000 sous la transition et à la rédaction de laquelle toutes les forces vives du pays y compris le RDR avaient participé, il est en effet disposé que : article 126 : « toute question touchant à l’élection présidentielle ou concernant l’exercice du pouvoir présidentiel, ne peut être modifiée que par référendum après avoir été adoptée par les 2/3 des députés. C’est ce que dit la loi. Logiquement donc, si le pays était dans une situation normale, cette disposition ne souffrirait d’aucune discussion parce que la loi fondamentale est sacrée. Si l’on fait de cette procédure aujourd’hui un problème, c’est que la Côte d’Ivoire n’est pas en situation normale depuis le 19 septembre 2002, c’est-à-dire, depuis le coup d’état manqué transformé en rébellion et qui coupe ce pays en deux parties. C’est cette situation d’anormalité due à la rébellion qui a déjà amené le viol de la Constitution depuis Marcoussis. Par exemple, le premier ministre n’est pas désigné librement par le président de la République élu, ce qui est une violation de la Constitution ivoirienne. Ce même premier ministre imposé au président de la République, ne peut être remercié par ce dernier et il doit demeurer en exercice jusqu’aux élections. De même, que sont imposés au président de la République, des quotas de ministres par parti politique y compris des rebelles non encore désarmés, bref, tout cela constitue ce que j’ai appelé des « violations négatives » de la Constitution, c’est-à-dire, des violations qui n’apportent rien à notre pays. Celle que j’ai appelée « violation positive » serait celle qui pourrait amener et garantir le désarmement immédiat et la réunification de notre pays pour nous permettre d’aller directement à des élections ouvertes, propres et transparentes. C’est pourquoi, je suis de ceux qui pensent que si le référendum reste normal et serait même la meilleure voie pour obtenir la réunification de notre pays et la paix, il n’est pas interdit, comme le notent les décisions de Libreville, qu’on puisse imaginer d’autres voies. Car Libreville dit que le recours au référendum n’est pas exclusif à condition que le peuple vote « Oui » (dans l’esprit de Marcoussis). Or comment peut-on obliger les citoyens à voter sans libre arbitre ? Personnellement, je suis d’accord mais si on ne peut garantir que l’obstacle qui bloquerait le référendum serait levé pour permettre son organisation et ensuite les élections, alors il faut proposer d’autres solutions, comme le sous-entend le texte de Libreville. C’est pourquoi en ce qui me concerne, mes amis et moi, continuons à réfléchir à une solution possible qui viendrait des Ivoiriens eux-mêmes et qui permettrait au président Mbeki d’en finir avec cette médiation. J’envisage, si je constate que, après Libreville et malgré ses avancées, la Côte d’Ivoire devrait continuer à faire du sur-place, prolongeant ainsi les souffrances des populations ivoiriennes, et la descente progressive du pays aux enfers, je propose, disais-je, mes amis et moi, une solution réaliste, pratique, rapide, nationale et volontariste : la création d’une structure appelée « Coalition nationale de soutien à la médiation pour la paix en Côte d’Ivoire ». Cette Coalition réunirait les représentants de toutes les forces vives du pays : civils, militaires, religieux, public, privé, opérateurs économiques, syndicats, partis politiques, élus, etc., structure informelle que le président Houphouët-Boigny en son temps, appelait le Conseil national de la République et qui permettait de résoudre de la façon la plus démocratique, toutes les questions nationales difficiles. Cette structure qui est une sorte de semi-référendum car elle comporte toutes les catégories sociales de la nation, pourrait, demander au président de la République d’accepter exceptionnellement la loi votée par plus de deux tiers du parlement et de la promulguer directement, c’est-à-dire, en en faisant une loi de la République sans recours au référendum. Si ce Forum acceptait cette démarche, nous pourrions de façon libre et responsable, avec la bénédiction du président Mbeki le médiateur, amener le président de la République à contourner l’obstacle du référendum pour aller à la paix. La seule garantie que demanderait notre Coalition serait l’engagement de la communauté internationale à procéder immédiatement et sans aucun autre préalable au désarmement des rebelles, à la réunification du pays et au déploiement de l’administration et de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire. Cela aboutirait non seulement à une réconciliation générale des Ivoiriens dans la confiance retrouvée mais permettrait de tenir dans les délais, les véritables élections d’octobre 2005 qui mettraient fin définitivement au drame ivoirien. C’est ma proposition mais c’est aussi celle de tout le groupe que je dirige et qui s’appelle le RPP (Rassemblement pour la paix). J’ajoute qu’au jour d’aujourd’hui, devant la perspective prévisible du cauchemar du chômage, de l’aggravation de l’insécurité et de la paupérisation avancée due aux difficultés actuelles, nombre de mes compatriotes ivoiriens et amis de la Côte d’Ivoire, responsables, souhaitent une sortie rapide et pratique, volontariste du pays de cette triste crise

Je m’adresse à l’homme politique ivoirien que vous êtes et qui a étroitement travaillé avec le Sage Félix Houphouët-Boigny, avec son successeur Henri Konan Bédié et aujourd’hui, avec leur adversaire Laurent Gbagbo, soucieux des intérêts de la Côte d’Ivoire mais aussi grand ami de la France. Comment appréciez-vous l’action de la France en Côte d’Ivoire ? S’agit-il du néocolonialisme, de la volonté de faire passer la justice avant tout, de la défense de ses intérêts ou tout à la fois ?

Pour comprendre et apprécier avec les chances de ne pas se tromper, ce qui se passe aujourd’hui en Côte d’Ivoire, et même ailleurs dans d’autres pays, il faut se rappeler une réalité de la fin du 20e siècle et de ce début du 21e siècle comme une donnée fondamentale : la fin de la guerre froide et ses conséquences aujourd’hui appelées « mondialisation ». Jusqu’à fin 1989, les pays africains face aux deux blocs qui se disputaient l’hégémonie du monde, étaient des enjeux politiques intéressants. Les uns pour le camp de l’Est avait les Sékou Touré, les Patrice Lumumba, les Fidel Castro, les Julius Nyerere et plus près de nous, les Thomas Sankara. Le camp occidental avait les autres, dont la Côte d’Ivoire en particulier. Même le Mouvement dit des Non-Alignés n’y fit rien, la vérité était économique. C’est dans ce contexte là que le président Houphouët-Boigny a bâti la Côte d’Ivoire 40 ans durant avec le soutien fort intime de la France. Cette réalité était telle dans notre pays que les entreprises françaises jusqu’à une date récente, au nombre d’un millier, fournissaient près de 51% des recettes fiscales ivoiriennes. Le président Houphouët-Boigny lui-même disait, s’adressant à la jeunesse que nous étions à l’époque : « Notre génération a acquis l’indépendance politique pour l’Afrique, c’est une indépendance nominale, c’est vous les jeunes qui aurez à conquérir la vraie indépendance, l’indépendance économique ». Il ajoutait ceci : « Lorsque cette heure sonnera pour réussir, je vous recommande trois conditions : la formation technique et technologique des jeunes pour qu’ils parlent d’égal à égal avec les jeunes des pays développés ; la cohésion nationale ; une longue période de paix ». Il semble que c’est cette ère-là que nous ouvre le 21e siècle avec l’arrivée au pouvoir de la nouvelle génération qui va diriger les pays du continent après ceux qu’on a appelés les pères de l’indépendance. Le président Gbagbo s’inscrit dans cette nouvelle lignée. De plus, c’est un intellectuel de gauche, c’est-à-dire animé d’idées généreuses pour le plus grand nombre (le peuple ivoirien dans son ensemble). Il est évident que son arrivée à la tête de la Côte d’Ivoire qui était considérée comme le fleuron de la présence française en Afrique occidentale, « le pays du miracle économique », « la vitrine de l’Occident en Afrique de l’Ouest », etc. a effrayé plus d’un opérateur économique français, et dans leur ensemble, les milieux d’affaires français de Côte d’Ivoire. C’est une réalité.

C’est pourquoi personnellement, en tant que disciple d’Houphouët-Boigny et me considérant comme un ami de la France (je vous rappelle que mon unique épouse avec qui je vis depuis une quarantaine d’années est une Française de la région de Lille), je pense que le moment est venu de voir les choses de façon responsable dans les relations entre l’Afrique francophone et la France. Il faut que ce travail soit conduit non pas dans la haine, dans la précipitation ou pendant les conflits, mais de façon sereine et responsable pour que les nouvelles relations qui seront des relations de vrai partenariat, soient durables. L’heure de la Françafrique est terminée. Le 21e siècle a sonné le glas de la Françafrique. Les nouvelles élites africaines, qu’elles s’appellent Soro ou Blé Goudé, n’ont pas connu De Gaulle, ni Houphouët-Boigny ou presque pas. Elles n’ont pas de lien sentimental avec la France comme nous autres. Elles n’ont en commun avec l’ancienne puissance que la langue. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ont fait des études supérieures en zone anglo-saxonne (Canada, Etats-Unis, Angleterre, Russie). C’est donc une génération tout à fait nouvelle. De plus, les effets ou les données de la mondialisation obligent les pays africains à s’ouvrir sur le monde. Il n’y aura plus de chasse gardée en Afrique, qu’on soit en Côte d’Ivoire ou au Zimbabwe. Si cette réflexion n’est pas conduite sans délai, nous assisterons à beaucoup d’autres crises à l’ivoirienne en Afrique, je le crains. Et des pays africains que l’on croit aujourd’hui solidement attachés à la France pourraient connaître le même sort demain. Les richesses africaines restent nombreuses et prometteuses. Le combat est donc loin d’être terminé. Je dirais même qu’il ne fait que commencer. C’est pourquoi je souhaite qu’à la faveur de cette triste crise ivoirienne que je déplore où se mêlent à la fois la peur de l’avenir des intérêts des milieux d’affaires français, des ambitions personnelles de quelques-uns que la France a réussi à monter en épingle et les idéologies déçues des intellectuels africains d’hier, je souhaite disais-je qu’à la faveur de cette crise-là, une réflexion sérieuse, profonde, dépouillée de tout sentimentalisme et de volonté de domination du plus fort, soit menée dans l’intérêt des diverses parties.

Ayant été vous-même ancien journaliste, ancien patron de Fraternité Matin et tout puissant ministre de l’Information sous Houphouët-Boigny, comment appréciez-vous le rôle joué par les médias dans cette crise ivoirienne ?

Le rôle des médias dans cette crise ivoirienne a été des plus négatifs aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Ces médias ont accentué les divisions, la haine, la désinformation, toute chose que le président Houphouët-Boigny craignait pour l’avenir de l’Afrique en son temps. D’abord à l’intérieur, aujourd’hui, il y a près de 16 quotidiens ivoiriens. Je suis pour la liberté de la presse mais avons-nous réellement assez de lecteurs pour autant de quotidiens en Côte d’Ivoire ? La réponse est non. C’est vous dire que ces journaux qui devraient être appelés « des feuilles de choux » vivent d’autre chose que de l’apport de leurs ventes et de la publicité. En vérité, leurs animateurs sont des pseudo-journalistes sans formation, sans aucune notion de déontologie, sans aucune assise financière, et vivent au dépend des politiques sans foi ni loi et au crochet de quelques nationaux qui en ont les moyens. Naturellement, on ne peut pas les appeler des journalistes. Ils ne méritent pas ce titre noble, et si difficile qu’exige votre profession. Dans un pays constitué d’une poussière de tribus et d’ethnies qui connaît aujourd’hui plus de 80 partis politiques déclarés, il est évident que cette presse-là est tout sauf d’expression responsable d’une vraie information. Je le regrette et j’espère que le pays en guérira progressivement.

A l’extérieur, c’est plus grave. Parce que il y a des médias à résonance internationale qui ont pris dès le départ de la crise, position contre le pouvoir légal. Il est tout de même curieux de constater que des médias de pays démocratiques favorisent une rébellion par rapport à un pouvoir légal, sorti des urnes et donc légitime. Cette anomalie s’explique par ce que je vous disais plus haut concernant les derniers soubresauts de la Françafrique. En effet, je n’ai pas eu peur de déclarer qu’une radio française comme RFI est considérée en Côte d’Ivoire comme la radio des rebelles ivoiriens. Il suffit d’écouter ce média, cette radio, pour vous rendre compte que de façon quotidienne, depuis le début de la crise, elle a été mise à la disposition de la rébellion. Ailleurs, on l’aurait appelé « la radio des mille collines ». Plus grave, nos pays africains ont accepté que cette radio soit écoutée dans nos pays sur la modulation de fréquence (FM) c’est-à-dire avec autant de facilité que les radios nationales. Cette faveur (car il s’agit d’une faveur exceptionnelle) qui n’existe que dans les pays africains au profit d’une radio étrangère internationale, a beaucoup desservi le gouvernement ivoirien dans cette crise. Toutes les injures, toutes les vexations, toutes les désinformations proférées par les rebelles ou les ex-rebelles, ne sont sues et connues à travers le monde que grâce à cette radio. Il faut que l’on sache que dans aucun pays développé, une radio étrangère n’est écoutée sur la modulation de fréquence (FM), dans aucun pays au monde, et cela, sans réciprocité. Aucune radio nationale africaine n’est entendue à Paris encore moins à l’intérieur de la France. Or RFI couvre tous nos territoires en modulation de fréquence alors que dans les autres pays développés proches (Allemagne, Grande Bretagne, Etats-Unis, etc), écouter une radio en modulation de fréquence, cela n’existe pas. C’est réservé aux radios nationales. Seules les ondes courtes permettent d’écouter les radios étrangères, ce qui est complètement différent. Et lorsque cette faveur accordée par nos gouvernants à cette radio est arrêtée, on crie au scandale. Ce n’est pas juste. C’est une autre manifestation de la volonté de domination et de puissance sur nos petits pays. S’il n’y a pas de réciprocité, je suis persuadé que les nouvelles générations mettront fin à ces faveurs d’autant plus qu’elles sont utilisées contre les pouvoirs qui les ont accordées lorsque ceux-ci connaissent des difficultés comme c’est le cas aujourd’hui en Côte d’Ivoire.

Le drame pour toutes nos difficultés en Afrique, réside en nos propres divisions africaines. Nos ambitions personnelles et les luttes pour les leaderships. Vous voyez le scandale d’Air Afrique, le scandale de la honte, de la mort d’une compagnie comme Air Afrique au moment où les grandes compagnies aériennes dans le monde entier s’associent pour faire face aux exigences de la mondialisation, l’Afrique donne ce spectacle honteux de disloquer la seule compagnie qui valait la peine d’être soutenue pour s’éparpiller en petites compagnies nationales dont les avions sont saisis un peu partout faute de gros moyens, ajoutant encore à notre honte, à nos faiblesses. C’est d’autant plus déplorable que ces petites compagnies sont confiées pour leur gestion à des pays étrangers. C’est cela le drame. Tant que les Africains ne se mettront pas ensemble pour y travailler, ces malheurs ne finiront pas. Aujourd’hui, le pauvre Gbagbo est isolé. La plupart de ses pairs africains lui tournent le dos lorsqu’ils ne rient pas sous cape de notre malheur qui fait au demeurant le bonheur de certains, c’est bien connu.

Je ne voudrais pas être prophète de malheur mais je crains que ce qui arrive aujourd’hui à la Côte d’Ivoire, attende certains pays sur la route de l’histoire, si les divisions et les dépendances africaines, devaient continuer.

Vous êtes devenu un militant de base du PDCI. Le militant de base que vous êtes nourrit-il des ambitions présidentielles en octobre 2005 ?

D’abord, je n’aime pas beaucoup ce terme de « militant de base » parce que cela supposerait qu’il y a des militants de haut qui écraseraient ceux de la base. Pour ma part, je ne suis ni écrasé, ni piétiné par personne. Au PDCI dont je suis membre depuis 1965, membre du Bureau politique de ce parti depuis 1970, et dont j’ai été le secrétaire général désigné avec la caution du président Houphouët-Boigny en 1991 jusqu’en l’an 2000, je ne me considère pas comme un militant de petite envergure. Aujourd’hui, je suis membre d’un des plus grands organes de ce parti, le Conseil politique du PDCI. Comme nombre de mes collègues de même âge ou de parcours politique semblable. Je suis simplement aujourd’hui en rupture de ban avec la direction de ce parti dont les actions principales et l’esprit, s’éloignent chaque jour de la ligne du président Houphouët-Boigny, père fondateur de ce parti. Mon éloignement militant de la direction de ce parti vient de ce constat que je regrette. Je ne puis cacher aujourd’hui que le parti est notoirement affaibli. A la base comme au sommet. D’où le comportement de réserve que j’ai adopté depuis un certain temps. Au demeurant, j’ambitionne bien, si Dieu m’en donne les forces, de re-diriger un jour, ce parti et d’en refaire le PDCI d’Houphouët-Boigny que j’ai connu et que j’ai servi. Pour l’heure, je laisse à d’autres, ce travail comme je leur laisse l’avantage d’en être les futurs candidats aux futures élections.

Propos recueillis par
Jean-Paul Tédga 

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