“Je ne comprends pas pourquoi des personnes sont parachutées dans certaines localités pour être des élus de la Nation alors que le président, Félix Houphouët-Boigny, nous a appris la géopolitique. Aujourd’hui, celui qui parle au nom des Dida de Lakota à l’Assemblée nationale s’appelle Kouyaté Abdoulaye. Je trouve inadmissible que celui qui parle au nom des Abbey à l’Assemblée nationale s’appelle Adama Bictogo, que celui qui parle au nom des Agni d’Aboisso s’appelle Sylla.” Mais, il n’y a pas de réciprocité dans la partie musulmane du pays.
Ces propos tenus par Lida Kouassi le 14 août 2018 lui ont, immédiatement, valu d’être lapidé par certaines personnes. Les plus grosses pierres ont été lancées par les résistants de la onzième heure. Il s’agit des éternels équilibristes (ceux qui dissent “oui, ce qu’on a fait à Gbagbo est injuste mais…”), de ceux qui, hier, étaient invisibles et inaudibles, mais, sont devenus volubiles depuis qu’ils se sont aperçus que le dossier de l’accusation est vide et que la libération du “Woody” n’est plus qu’une question de mois). Leurs arguments sont les suivants : Les propos de l’ex-ministre de la Défense sont dangereux pour la paix sociale ; un ancien ministre ne parle pas comme ça.
Arrondir les angles ou mettre les pieds dans le plat, parler “cru et dru” (Jean-Luc Mélenchon) ou y mettre les forms, importe peu. Le plus important, c’est de voir si le message qu’on veut faire passer est vrai ou non, recevable ou non. Or que dit Lida ? Pour lui, le RDR, version Dramane Ouattara, est un parti communautariste dans le sens où il ne promeut et ne valorise que les gens du Nord et/ou musulmans, y compris dans les villes du Sud, de l’Ouest, du Centre et de l’Est. La question qu’une personne sérieuse devrait se poser ici n’est pas de savoir si Lida est tribaliste ou incite à la guerre contre les Nordistes mais celles-ci : ce dont il parle (le communautarisme du RDR), est-ce vrai ou faux ? Sommes-nous dans la fiction ou dans la réalité ? Est-il juste que des Nordistes (musulmans, chrétiens ou athées) soient députés à Agboville, à Abengourou, à Man et à Bouaké pendant que les ressortissants de ces villes ne sont pas autorisés à briguer la députation à Ferkessédougou, Mankono ou Minignan ?
Après avoir clamé haut et fort qu’ils ont pris les armes en 2002 parce que rien n’avait été fait au Nord, n’est-il pas incohérent que les fils de ce Nord continuent à construire et à faire du business au Sud ? La paix durable à laquelle nous aspirons tous exige-t-elle que nous éludions les sujets qui fâchent ? Sous prétexte de cohésion sociale, devons-nous nous taire sur des questions telles que le tribalisme, les rentes viagères des anciens serviteurs de l’Etat, les ministres, DG et PCA, qui se soignent avec leurs familles à l’étranger, l’impunité dont jouissent les Ivoiriens qui se sont, illégalement, enrichis, les églises qui empêchent les gens de dormir et escroquent les personnes désespérées, le culte de la personnalité qui entoure le chef dans les partis politiques et communautés religieuses, les gens cupides et immoraux qui passent allègrement d’un parti à un autre, etc.? Faisons-nous du bien à la Côte d’Ivoire en diabolisant quiconque ose mettre ces questions sur la table (publique) ? Pourquoi certains d’entre nous cherchent-ils à ménager des gens ayant semé la mort et la désolation ? Pourquoi y a-t-il chez eux cette obsession de vouloir plaire à la communauté dite internationale ?
Certes, le pays a besoin de réconciliation, mais, il ne se réconciliera ni dans le mensonge, ni dans l’injustice. Comme en Israël, on aimerait que, dans notre pays, “amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent” (Psaume 84, 11). Autrement dit, les Ivoiriens doivent savoir qui a fait quoi entre le 24 décembre 1999 et le 11 avril 2011 et qui a gagné l’élection d’octobre 2010. Avant que les victimes n’accordent leur pardon, en Afrique du Sud, il a fallu que les bourreaux reconnaissent et avouent leurs crimes. Même le fils prodigue, avant la rencontre avec son père, avoua avoir péché contre ce dernier et envers le ciel et souhaita que son père le traitât désormais comme un de ses ouvriers (Luc 15, 18-19). Qu’est-ce que les partisans de Soro et de Ouattara (notre photo) ont dit et fait avant d’être reçus à la Haye ? Soro Kigbafori, qui veut rendre visite, lui aussi, aux prisonniers de la CPI, a-t-il déjà reconnu s’être trompé et avoir trompé ses parents en utilisant des arguments fallacieux dans le seul but d’arriver au pouvoir ?
Jean-Claude DJEREKE
Professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)