En Afrique, il y a eu des hommes et des femmes qui ont marqué positivement et durablement leur époque en se montrant dignes ou courageux, en refusant de vendre leur âme au diable pour un plat de lentilles, en se gardant d’encenser le dictateur qu’ils combattaient hier, en demeurant debout ou attachés à leurs convictions malgré tout. Ce sont des héros et des héroïnes. Les anti-héros ne méritent pas qu’on s’intéresse à eux, parce qu’ils sont des gens sans principes, parce qu’ils ne voient pas plus loin que leur ventre et bas-ventre, parce que, moralement, ils sont laids. Je voudrais faire une entorse à cette règle en évoquant l’un d’entre eux, non pour lui donner de l’importance, mais parce qu’il a récemment raconté deux gros mensonges sur moi.
Dans le premier mensonge, il me présente comme un apostat. Je suis étonné que lui qui enseigne le français depuis plusieurs années ne connaisse pas le sens de ce mot. Selon le dictionnaire Larousse, l’apostat est une personne qui a renié la foi chrétienne. Or je n’ai pas encore posé un tel acte, ni verbalement ni par écrit. Je continue de croire au Christ qui déclara à Pilate qu’il était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37). Je n’ai pas abandonné le Christ qui traita de renard (peureux, couard) Hérode Antipas qui voulait le tuer (Lc 13, 32). Je n’ai pas tourné le dos au Christ qui appela ses disciples à nourrir eux-mêmes la foule affamée (Lc 9, 13). Je ne me suis pas séparé du Christ qui attaqua violemment les scribes et pharisiens parce que ces derniers étaient cupides et hypocrites, parce qu’ils chargeaient les gens de lourds fardeaux qu’eux-mêmes ne remuaient pas du doigt, parce qu’ils aimaient se faire remarquer, parce qu’ils couraient après les premières places et les titres (Mtt 23, 1-12). J’ai quitté la prêtrise, pas l’église, ce qui n’est pas la même chose, quoiqu’il m’arrive d’interpeller cette église ou de critiquer la manière dont certains prêtres et évêques s’y comportent. Mais suis-je le seul ou le premier à bousculer l’église ? Non. A l’approche de l’an 2000, Jean-Paul II n’avait-il pas demandé à l’église catholique de reconnaître ses erreurs et manquements à travers les siècles (cf. ‘Tertio millennio adveniente’, lettre apostolique, 10 novembre 1994) ? Le cardinal Georges-Marie Cottier, son théologien, a raconté en 2012 que certains cardinaux et théologiens n’étaient pas favorables à l’idée de demander pardon pour les fautes des chrétiens dans le passé (https://fr.zenit.org/…/la-demande-de-pardon-de-jean…/). Benoît XVI et François n’ont ils pas fait le ménage dans l’église en limogeant des évêques dépensiers ou des évêques ayant femmes et enfants (j’aurais souhaité qu’ils virent aussi les prêtres et religieux qui pratiquent l’homosexualité car le prêtre ou l’évêque qui encule ou se fait enculer, viole autant le vœu de chasteté que son confrère qui couche avec une femme), en renvoyant de l’état clérical des prêtres, évêques et cardinaux coupables de pédocriminalité ? Quand le pape actuel dénonce régulièrement le cléricalisme ou les évêques qui passent plus de temps dans les voyages que dans leurs diocèses, veut-il détruire l’église ? Est-il contre elle ? Est-il aigri ? A-t-il renié la foi catholique ? Non. En sévissant contre les brebis galeuses, en fustigeant la mauvaise conduite de certains clercs, les 3 derniers papes ne font qu’appliquer le dicton “Qui bene amat, bene castigat” (qui aime bien, châtie bien). Moi aussi, c’est par amour que je me permets de critiquer ce qui ne va pas dans l’église du Christ. Des critiques que je formule depuis 1992. Amoi Urbain (notre photo) espère liguer prêtres et évêques ivoiriens contre moi en me présentant comme un apostat qui veut démolir l’église. Il perd son temps car notre hiérarchie catholique sait que Jean-Claude Djereke est aussi en mesure d’applaudir ou de saluer ce qui se fait de positif dans cette église (par exemple, la démission de Benoît XVI, le 28 février 2013, l’homélie prononcée par Mgr Marcellin Kouadio le 9 décembre 2013 dans la basilique Notre Dame de la Paix de Yamoussoukro, quand Mgr Alexis Touabli invita ses prêtres à ne pas prendre l’argent des politiciens pendant les campagnes électorales, la lettre des évêques après leur 114e Assemblée plénière à Korhogo du 13 au 19 janvier 2020). Amoa et d’autres petits incultes devraient apprendre une fois pour toutes que personne ne m’a chassé de la prêtrise. C’est moi-même qui ai démissionné. J’ai donné les raisons de cette démission dans une lettre qui se trouve sur Internet. On peut être en désaccord avec une personne mais l’honnêteté intellectuelle commande qu’on ne mente pas sur elle, qu’on ne triche pas avec les faits la concernant, qu’on ne les travestisse pas. J’ai condamné la manière dont Ouattara est arrivé au pouvoir, je déteste son rattrapage ethnique et le soutien qu’il a apporté au F CFA, je n’ai pas apprécié ses propos méprisants sur les autorités maliennes mais je ne dirai jamais qu’il n’a pas travaillé au FMI, qu’il est mossi (pluriel de moaga), tout simplement parce que les gens de Sindou ne sont pas des Mossi mais des Gouin. J’ai horreur des retournements de veste, je n’ai pas de respect pour les personnes qui disent et se dédisent facilement parce qu’elles ont faim d’argent ou de poste mais je ne dirai jamais qu’Amoa Urbain n’est pas titulaire d’un doctorat. Je ne dirai pas non plus qu’il n’a pas une belle plume.
Amoa affirme qu’il m’a renvoyé de son université pour incompétence. C’est le second mensonge car renvoie-t-on quelqu’un sans lui remettre une lettre de licenciement ? Et puis, quand et où a-t-on vu une personne licenciée venir informer son ex-employeur qu’elle voyagera dans les jours à venir ? La vérité est que Jacqueline Bosson M’Bra, qui enseigne en Lettres modernes à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, et moi sommes partis de nous-mêmes. Jacqueline fut la première à rendre le tablier. Nous quittâmes Amoa parce qu’il était incapable de faire des choses élémentaires exigées par l’Université de Bouaké qui parrainait son université. Pour la reconnaissance des diplômes délivrés par l’Université Charles-Louis Montesquieu (quand on se dit défenseur de la culture africaine et qu’on aime s’exhiber dans le pagne kita, la cohérence aurait voulu que cette université portât le nom d’un de nos savants : Niangoran Bouah, Memel Fotê, Jean-Marie Adiaffi…), Bouaké tenait à ce que les programmes pédagogiques de l’Université Montesquieu soient aux normes. Lorsque Jacqueline et moi, après la réunion avec les responsables de l’Université de Bouaké, lui fîmes part de cette exigence, Monsieur monta sur ses grands chevaux, affirmant que sa référence n’était pas Bouaké mais Louvain et Bordeaux. Ta référence n’est pas Bouaké et tu lui as demandé de te parrainer ? Quelle inconséquence ! Jacqueline et moi sommes partis parce qu’Amoa n’avait aucune compétence managériale : alors que les enseignants vacataires attendaient de recevoir leur dû, lui mettait de l’argent dans un restaurant où personne ne venait manger. Jacqueline ne comprenait pas qu’Amoa fût impuissant devant Noël Kabran qui n’obéissait pas aux consignes qu’elle avait données à Kabran. Bref, nous cessâmes de cheminer avec Amoa à cause de son double langage, de sa mégalomanie, de sa mauvaise gestion et de son orgueil mal placé. Que cet homme m’accuse aujourd’hui d’incompétence dans son université-boutique qui n’est même pas capable de s’acquitter de l’argent qu’elle doit au fisc ivoirien, c’est l’hôpital qui se fout de la charité.
Pourquoi Amoa s’est-il cru obligé de mentir sur moi ? Parce que je l’ai placé devant ses incohérences. Est incohérent un homme qui dépose ses valises au RHDP le 21 mai 2022 après avoir entamé une grève de la faim en juin 2016 au pied de la Basilique Notre Dame de la Paix de Yamoussoukro pour dénoncer “la situation dégradante du pays”, après avoir demandé le 20 mai 2017 la démission de Dramane Ouattara qui, selon Amoa, aurait “atteint le summum de ses performances au sommet de l’Etat, offert aux jeunes des machettes non pour travailler dans les plantations mais pour tuer des Ivoiriennes et des Ivoiriens, humilié toute la classe politique de la Côte d’Ivoire”, Ouattara qui serait “un individu en quête permanente de vengeance” et dont le règne “a été fortement marqué par un esprit de haine, d’injustice et de désordre”. Peut-on logiquement adhérer au parti de celui pour qui on a eu des mots aussi durs alors que les problèmes qu’on a denoncés sont toujours là ? Peut-on enseigner des valeurs à des étudiants et piétiner les mêmes valeurs si promptement ? Est-ce le comportement que devrait avoir un ancien jéciste ? Je m’attendais à ce qu’Amoa me dise qu’il n’a jamais tenu ces propos. J’aurais souhaité qu’il me démontre par A+B qu’il n’y a plus, dans notre pays, de prisonniers politiques, de rattrapage ethnique, de chômage des jeunes, de vie chère à cause de la flambée des prix. Je voulais entendre de lui que les “Microbes” et les assassins de Toussaint Koffi N’Guessan ont été arrêtés et incarcérés. Au lieu de cela, monsieur a préféré mentir sur moi. C’est souvent le manque d’arguments et la honte qui poussent certains individus à recourir à des mensonges éhontés ou à traiter d’aigri celui qui n’est pas d’accord avec eux ou celui qui les place devant leurs contradictions.
Dans ‘L’âge d’or n’est pas pour demain’, le Ghanéen Ayi Kwei Armah appelle le personnage central du roman l’Homme (the Man), parce que celui-ci incarne la rectitude morale, la dignité et la résistance dans la pauvreté. L’homme préférait se contenter de son salaire parce qu’il ne voulait pas marcher sur ses convictions. Il voulait suivre son chemin “sans bruit ni hâte” plutôt que de se renier en rampant devant ceux qu’il avait toujours combattus. On peut se renier dans l’espoir qu’on obtiendra ceci ou cela de celui qu’on a vilipendé hier mais ça peut être un faux calcul. Dona Fologo avait abandonné la LMP de Laurent Gbagbo. Il avait même rompu avec sa formation politique et s’était mis à faire l’éloge de Ouattara qu’il avait ridiculisé et attaqué dans une vidéo quand il mangeait avec Gbagbo mais fut-il récompensé ? Non. Je serais à la place de Ouattara que je traiterais Amoa comme Fologo.
Lorsqu’on a écrit que le règne de Ouattara “a été fortement marqué par un esprit de haine, d’injustice et de désordre”, on assume ses propos. C’est le minimum que puisse faire un homme digne, honnête et sérieux.
Il y a, dans notre pays, des gens qui aiment jouer les intellectuels alors que ce sont en réalité de petits hommes incapables de souffrir quelque temps pour leurs idées ou convictions. Ces gens qui n’ont ni dignité ni honneur, ces imposteurs qui croient pouvoir impressionner tout le monde avec leurs titres et diplômes ronflants mais creux, il est temps de leur montrer leur vraie place.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).