Propos recueillis par Jean Paul Tédga
La Côte d’Ivoire vit l’An II d’Alassane Dramane Ouattara à la tête de l’Etat. Pendant que, du côté du pouvoir, on présente un bilan positif en voyant l’avenir en rose, c’est tout un autre son de cloche qu’on entend dans l’opposition, où plus que l’inquiétude, c’est la colère qui règne. Ancien ministre de l’Economie et des Finances, ancien président de l’Assemblée nationale jusqu’à la chute des « Refondateurs », en 2011, le professeur Mamadou Koulibaly est un intellectuel pur qui ne s’en sort pas mal (pour l’instant) dans le marigot des politiques. Agrégé des sciences économiques, il sait de quoi il parle quand il dit, tout haut, que le chef de l’Etat, ancien directeur général-adjoint du FMI, mène la Côte d’Ivoire vers la catastrophe. C’est vrai que le docteur Alassane Ouattara évite (visiblement), pour le moment, de l’affronter (il y va peut-être de sa renommée acquise auprès des institutions de Bretton Woods), mais jusqu’où, jusqu’à quand ? Président de LIDER, depuis sa démission fracassante du FPI où il était un des vice-présidents avant d’assumer la présidence par intérim du parti, Mamadou Koulibaly se distingue comme un véritable empêcheur de tourner en rond de la politique gouvernementale. Ses critiques sont concrètes, acerbes et scientifiquement démontrées. Voilà pourquoi elles font mal. Dans cette longue interview qu’il accorde à votre bimensuel préféré, il n’est pas plus tendre que l’année dernière où il qualifiait de nulle la politique du chef de l’Etat. A cette allure, les trois ans qui séparent la Côte d’Ivoire de l’élection présidentielle, promettent d’être rudes, car Ouattara qui ne fait plus l’unanimité au sein du RHDP, aurait, logiquement, des gros soucis à se faire.
AFRIQUEDUCATION : L’an passé, à la même période, vous nous aviez accordé une interview sur l’An I d’Alassane Ouattara au pouvoir où vous aviez été très critique sur son bilan. Nous avions même titré : «Sous Ouattara, la Côte d’Ivoire va très très mal». La situation s’est-elle améliorée ou les choses vont de mal en pis ?
Professeur Mamadou Koulibaly : Ouattara n’a tenu ses promesses ni sur l’état de droit, ni sur la réconciliation et encore moins sur une vie meilleure ou sur la sécurité. En effet, deux ans après la fin de la crise postélectorale, la Côte d’Ivoire demeure le théâtre de violations graves des droits humains commises contre les populations civiles. Ces violations se sont d’ailleurs accrues à la suite d’attaques armées contre les commissariats, les camps militaires, etc. Ces violations, dans la plupart des cas, sont le fait de ce que l’on pourrait qualifier de forces répressives de Côte d’Ivoire. En effet, dans une situation où il n’existe plus d’armée digne de ce nom, ce sont les Frci (Armée nationale), dozos (chasseurs traditionnels armés) et autres supplétifs armés qui font la loi. Les Com’Zones, comme le confirme le dernier rapport d’experts indépendants de l’Onu (lire page ??), continuent d’étendre un réseau mafieux et criminel sur tout le territoire comme ils le faisaient dans les zones Cno pillées sous leur contrôle pendant dix ans. A cela se rajoutent la corruption endémique généralisée et les crimes économiques divers, notamment, dans l’octroi des marchés publics, le détournement des deniers publics, la corruption et le trafic d’influence. En ce qui concerne la justice, les vainqueurs de la guerre qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir sont toujours épargnés et se vengent de leurs adversaires d’hier. Leurs crimes passés et présents bénéficient d’un label de «normalité». Certains, en l’occurrence, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, anciennement, premier responsable de la rébellion ivoirienne, les présente comme des actes de légitime défense. Ces crimes restent donc impunis. La justice est loin d’être une réalité dans la Côte d’Ivoire de M. Ouattara. La situation sécuritaire est toujours inquiétante sur l’ensemble du territoire et, essentiellement, dans l’Ouest. La réforme du secteur de la sécurité est juste en phase de lancement, ce qui veut dire que tout stagne dans le désordre et la division au sein même des rangs de l’armée. La défaillance de l’Etat laisse impuni l’accaparement illégal des terres, ce qui augmente le niveau de risque en Côte d’Ivoire.
Enfin, sur le plan social, on voit le coût de la vie augmenter, le pouvoir d’achat se réduit drastiquement et les étudiants vivent le calvaire dans les universités publiques qui, bien que rénovées, ne sont pas fonctionnelles, manquent de professeurs, de moyens, de bibliothèques, de microphones, de climatisation, d’eau. La vie associative y a même été interdite. Les hôpitaux quant à eux sont toujours délabrés et sans moyens. L’administration est prise en otage par les recrutements ethniques qui permettent à de nombreux incompétents d’accéder à des postes qu’ils sont incapables d’assumer. Les habitants de la commune d’Abobo résument, parfaitement, la situation lorsqu’ils disent que « Si c’est cela la solution, Mr Ouattara, rendez-nous notre problème ! ».
A vous entendre, il n’y aura point d’émergence à l’horizon 2020 comme le clame le président de la République.
Pour l’instant, en Côte d’Ivoire, nous ne voyons aucune politique qui puisse permettre d’atteindre l’émergence en 2020, et même si l’on se base sur les chiffres officiels qui annoncent une croissance proche de 10%, des calculs simples ne permettent pas d’espérer l’émergence avant 20 ans. L’émergence en Côte d’Ivoire est seulement un slogan politique, à moins qu’il ne s’agisse de l’émergence de tous ces nouveaux milliardaires proches de Ouattara.
De manière pragmatique, si l’on compare les politiques économiques appliquées en Côte d’Ivoire à celles qui ont conduit les pays nouvellement émergents à la prospérité, on constate un fossé. L’émergence ne se décrète pas dans les discours. Si l’on observe les pays émergents, on voit au moins deux choses. D’abord, pour atteindre l’émergence, ils ont compris la nécessité de muter vers une économie de marché. En effet, après de longues années de politiques publiques hasardeuses menées par des Etats hyper-centralisés, protectionnistes, interventionnistes et marqués par la croyance en l’économie d’endettement et en l’aide publique au développement ; après des décennies perdues de lutte contre la pauvreté organisée et mise en application par des Etats tentaculaires aussi inefficaces que budgétivores, ces pays en sont arrivés au constat que, si la finalité de l’action publique est d’enrichir les populations, de leur permettre d’avoir des emplois et du bonheur, alors l’investissement privé, les apporteurs de capitaux frais, de technologies efficientes et de produits mondialement demandés, étaient bien plus efficaces que les hommes politiques et les Etats qu’ils dirigeaient. Ces économies ont su tirer les leçons des échecs de leurs politiques de développement et se sont alors tournées vers de nouvelles méthodes et connaissances plus propices à une croissance économique enrichissante. Ces pays ont fait le choix de l’économie de marché, qui apporte confiance, propriété privée, liber té des échanges par le «laissez faire, laissez passer», responsabilité, efficacité, solidarité, prospérité individuelle et progrès social. Ces pays ont abandonné l’économie protectionniste, reposant sur la méfiance, pour l’économie de marché et de confiance. Tel a été le premier mouvement. Ensuite, pour attirer les investisseurs et leurs capitaux, ces pays ont procédé à des réformes pour faire émerger des marchés de capitaux qui n’existent pas traditionnellement dans les pays en développement. Ces marchés et l’environnement propice qui va avec, en termes de justice transparente, de sécurité crédible, de système bancaire libre, de monnaie et de politique monétaire stable, ont été instaurés pour attirer les capitaux et les capitalistes qui sont, à l’échelle mondiale, à la recherche d’opportunités, de sécurité et de rentabilité. Ces réformes vont faire émerger effectivement des marchés pour l’investissement direct étranger, des marchés pour les prêts bancaires privés et des marchés pour les placements de portefeuilles d’actions et d’obligations d’entreprises privées et publiques. Ouattara vient du Fmi, mais il ne semble pas d’accord avec toute cette politique. De quelle émergence parle t-il donc ?
Comment le professeur Koulibaly peut-il démontrer que le docteur Ouattara, ancien directeur général adjoint du FMI, fait complètement fausse route ? Certains collaborateurs du chef de l’Etat pensent que vous êtes prétentieux. Ont-ils tort ?
Les collaborateurs du Dr Ouattara devraient s’évertuer à travailler, plutôt que de rester dans la sphère stérile de la politique politicienne qui se limite à des jugements de valeur sur les hommes et autres assassinats de caractères sur leurs adversaires. Il est difficile de connaître les réelles compétences en économie du Dr Ouattara, puisqu’il n’a jamais rien publié lui-même sur ses visions économiques et sociales de l’Afrique. Ce qui est très étonnant pour quelqu’un qui se revendique comme étant de la «crème» de l’élite intellectuelle africaine.
Il ne faut surtout pas faire confiance à tous les chiffres et performances présentés par les services de communication de Ouattara. Il dit qu’en deux ans, il a réduit le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire de 50%, il aurait ainsi sorti de pauvreté plus de six millions de personnes, alors que par tout dans le pays, les nouveaux pauvres sont de plus en plus nombreux. Cette pauvreté est totalement indécente comparée au train de vie démesuré des nouveaux riches proches du pouvoir. Ouattara déclare désormais ouvertement son incapacité à redresser l’économie ivoirienne, même dans les trois prochaines années. Il demande donc un mandat supplémentaire pour le faire. Il annonce un taux de croissance de 9,8%, ce qui étonne de nombreux entrepreneurs, car la valeur ajoutée, qui est une composante du calcul du Produit intérieur brut (PIB), n’a pas augmenté pour autant. Il dit qu’il n’est pas capable de créer les 200 000 emplois annuels promis lors de sa campagne mais il annonce, en même temps, avoir créé sur la première année d’exercice, plus d’un million d’emplois. Avec lui, on entend dire que le bilan est globalement positif avec des chiffres irréalistes qui se contredisent totalement, ce qui atteste du caractère complètement mensonger de ses déclarations. Ouattara est cependant le président le plus chanceux que la Côte d’Ivoire ait connu car, à l’écouter, toutes les bourses se délient pour lui. Il n’a aucune contrainte extérieure. Toutes les puissances économiques et politiques sont à son service. Pour tant, ses performances économiques, politiques et sociales sont les plus médiocres de notre histoire. La pauvreté en milieu rural, le chômage en milieu urbain sont là pour démontrer que malgré toutes les aides mises à sa disposition, il n’arrive pas à réaliser son programme du « vivre ensemble » qu’il a d’ailleurs vite abandonné pour s’accrocher à un programme d’investissement public en infrastructures conçu par ses prédécesseurs qu’il juge pour tant incompétents.
Les collaborateurs de Ouattara peuvent me qualifier de prétentieux parce que j’ose faire un bilan objectif, mais n’est-ce pas mon devoir d’opposant ?
Est-il vrai que vous demandez, sans succès pour le moment, un débat télévisé avec le président Alassane Ouattara sur des questions essentiellement économiques ? Quel message voulez-vous solennellement passer au peuple ivoirien en demandant un face à face avec le chef de l’Etat ?
J’ai toujours pensé que le débat public est le cœur d’une démocratie et c’est bien pour cela que nous nous attelons, aussi bien à LIDER qu’au sein d’Audace Institut Afrique, le think tank que je préside, à la formation et la pratique du débat pour créer un nouveau leadership responsable en Afrique. Ceux qui n’osent pas affronter les débats sont souvent ceux qui doutent de leurs politiques ou qui ont trop de choses à se reprocher. Les Ivoiriens n’ont aucun moyen de contrôler l’action du gouvernement et du président de la République. Ils sont soumis à la pensée unique, notamment, à travers la télévision d’Etat dans un environnement médiatique contrôlé. L’Etat qui devrait servir le peuple l’opprime et ne lui offre aucun moyen de contrôle. Les Ivoiriens doivent comprendre que la démocratie, ce n’est pas seulement le fait d’aller voter de temps en temps dans l’insécurité, c’est avant tout, contrôler ceux que l’on a élus pour qu’ils n’abusent pas de leur pouvoir. Le débat permet de demander des comptes aux gouvernants et leur donne aussi l’occasion de rendre compte aux populations au nom desquelles ils gouvernent. Dans notre système, le président de la République ne rend compte à personne. C’est un roi et cela m’est insupportable au nom de la vision que j’ai de la démocratie.
Les élections municipales viennent de se tenir en Côte d’Ivoire. Ont-elles été bien organisées ? Pourquoi LIDER, votre parti politique, n’y a pas pris part alors qu’elles auraient pu permettre sa meilleure implantation sur l’ensemble du territoire ?
LIDER n’a pas pris par t aux élections municipales car le processus électoral n’a pas été organisé de manière consensuelle et que nous n’avions pas les moyens financiers suffisants pour proposer des candidats. Nous déplorons, entre autres, que la liste électorale soit exclusive, au sens où les nouveaux majeurs n’ont pas été pris en compte. Trois millions au moins de jeunes ont été ainsi exclus. La liste actuelle date de 2009 et les jeunes en âge de voter représentent cinq cohortes étalées entre 2009 et 2013. La carte électorale est un instrument politique décrété, unilatéralement, par le président Ouattara et la Commission électorale prétendument indépendante (Cei) mais, effectivement, forclose depuis décembre 2011, est totalement politisée, comporte en son sein, des représentants de l’armée ivoirienne issus de l’ancienne rébellion. Toutes les élections qu’elle a organisées depuis sa mise en place, se sont terminées dans l’imbroglio, la violence, la tricherie. Cela n’est pas sérieux et prouve la volonté autoritaire d’Alassane Dramane Ouattara de tout maîtriser sans encombre, et sur tout, sans opposition. De par les Accords de Pretoria, la Cei devait disparaitre après les élections législatives mais le président l’a maintenue, illégalement, en place pour mieux tripatouiller les résultats électoraux. LIDER contribue au renforcement de la démocratie même dans l’opposition, même sans participer à ces élections.
Comment va la Côte d’Ivoire sur le plan de la sécurité ? Vous avez demandé à l’Onu de se substituer à l’Etat pour résoudre la question de la sécurité. Est-ce raisonnable de votre part ?
L’insécurité reste préoccupante sur l’ensemble du territoire ivoirien et, essentiellement, dans la partie Ouest du pays. Je crois qu’à un moment, il faut être méthodique et réaliste, quand on constate la défaillance de l’Etat. La Côte d’Ivoire est le 11 e pays à avoir l’Etat le plus défaillant au monde, sur 177 pays entrant dans l’évaluation du Failed States Index établi par The Fund for Peace. Quand on voit que la situation sécuritaire stagne, que l’Etat ivoirien est incapable, par exemple, de déloger un seul homme, le terroriste burkinabé, Amadé Ourémi, star du régime Ouattara et membre de l’armée créée par ordonnance par l’actuel chef de l’Etat en mars 2011, qui occupe en toute illégalité, des forêts classées de Côte d’Ivoire depuis l’issue de la crise postélectorale, il faut oser dire les choses. Si l’Etat est incapable d’assurer sa mission régalienne de défense et de sécurité du territoire national et de ses habitants, on ne peut pas abandonner les populations qui y vivent à la merci de criminels et l’ONU aurait une mission impor tante à ce niveau : aider le président Ouattara à retourner à l’état de droit et à recouvrer l’intégrité du territoire ivoirien. Je ne pense pas que ce soit déraisonnable. C’est la situation actuelle qui est déraisonnable : voir un seul homme et ses miliciens FRCI défier l’Etat de Côte d’Ivoire, son armée, son peuple, ses lois, ses institutions. Si l’Etat ne peut pas le faire, pourquoi ne pas solliciter l’Onuci dont la mission première est de protéger les populations civiles de ce pays ? Si cela n’est pas fait, alors, il semble évident que le chef de guerre FRCI, Amadé Ouedraogo Rémi, dit Ouremi est protégé, personnellement, par le président Alassane Dramane Ouattara, et que, toutes les exactions qu’il commet se font avec la bénédiction du chef de l’Etat et la complicité de personnes très haut placées dans la machine de l’Etat et de l’armée.
Quel bilan faites-vous de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (Cdvr) installée le 28 septembre 2011 ? A quelles conditions son président peut-il réussir la réconciliation nationale ?
La mission du président de la Cdvr est sur le point de se terminer. Le bilan est, osons le dire, totalement nul. Ce n’est pas, seulement, le jugement de Koulibaly, c’est le jugement unanime. Il serait d’ailleurs intéressant de faire un audit externe des travaux de la structure. Le président de la Cdvr, Charles Konan Banny, semble plus préoccupé par son avenir politique personnel au sein du Pdci que par la mise en place d’une méthodologie ef ficace pour réconcilier les populations de Côte d’Ivoire. Il vient d’ailleurs de laisser entendre ses ambitions pour briguer la présidence de ce par ti au prochain congrès. Ces préoccupations ne me semblent pas compatibles avec la présidence de la Cdvr. En outre, la Cdvr, congénitalement, n’avait pas de grandes chances de réussite puisque Banny est une personnalité politique controversée et qu’en plus, il agit sous l’autorité du chef de l’Etat, qui est un des acteurs principaux de la déstabilisation et de la crise qui minent la Côte d’Ivoire depuis vingt ans maintenant.
Vous êtes l’opposant le plus critique du système politique ivoirien. N’avezvous pas peur d’une balle perdue ou d’une roue de voiture qui crève mystérieusement conduisant votre véhicule à un tonneau ?
Votre question sous-entend que vous avez compris la réalité du régime Ouattara. C’est en effet un régime qui repose sur la violence, l’exclusion, la division, le mensonge, la peur de l’autre, et sur tout, de l’opposant. La vie d’un opposant n’est pas dépourvue de risque en Côte d’Ivoire mais cela n’arrêtera pas notre combat au profit des populations : ce serait faire preuve de lâcheté en tant qu’intellectuel et leader politique.
Vous sembliez approuver certaines actions du premier ministre Jeannot Kouadio-Ahoussou sur le plan du dialogue avec l’opposition notamment. Qu’en est-il de son successeur Daniel Kablan Duncan? Où en est la question du statut de l’opposition ?
Le statut de l’opposition ne semble pas une préoccupation urgente pour l’administration Ouattara. On voit, en effet, que le président de la République est capable de convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour obtenir l’autorisation de gouverner par ordonnances mais que l’adoption d’un statut de l’opposition traîne au fond des tiroirs, alors même que, c’est le pivot du contrepouvoir indispensable à une démocratie. Les premiers ministres se succèdent mais restent dans la même logique. Ils savent soigner leur communication pour mieux cacher le vide de leur action. En Côte d’Ivoire, malheureusement, la politique est dédiée à la glorification de ceux qui ont le pouvoir. Le dialogue est au point mort en ce moment. Ouattara a eu ses élections, il gouverne par ordonnances alors qu’il a la majorité au parlement où il n’y a pas d’opposition. Pourquoi dialoguerait-il avec l’opposition ? Au sujet de quoi vont-ils dialoguer ? A LIDER, nous sommes, en tout cas, ouverts à la discussion puisque tout est à construire. Mais nous refusons un dialogue de dupes, instrumentalisé à des fins communicationnelles.
Alassane Ouattara est de droite. C’est bien lui qui a envoyé Laurent Gbagbo à la Cpi. C’est encore lui qui maintient nombre de vos anciens camarades du Fpi en prison. Pourtant, il est toujours bien reçu à l’Elysée. Hier sous Nicolas Sarkozy comme aujourd’hui sous le socialiste François Hollande. Etes-vous jaloux que les portes lui soient restées ouvertes sous un président français de gauche ?
Vous pensez qu’Alassane Ouattara est de droite ? Que signifie être de droite ou être de gauche en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, comme hier d’ailleurs ? On le dit aussi libéral, et pour tant, il applique une politique très interventionniste, contrôlée et fermée, qui est plus proche d’un modèle communiste que du libéralisme. On en dit beaucoup de choses. Ce qui est certain, c’est qu’il a une politique qui repose sur le patrimonialisme étatique, la politique du ventre, celle de l’intimidation et sur l’aide publique extérieure, ce qui fragilise beaucoup les Ivoiriens qui vont de surendettement politique en surendettement appauvrissant, avec tous les réseaux de corruption qu’il peut y avoir autour de la dette. D’évidence, aucun président français ne peut négliger cette opportunité. Politique et affairisme riment là-bas et ici. Ouattara est un pion important pour la classe politique française, car il permet de maintenir un système de domination et de corruption dont les nouvelles élites ivoiriennes ne veulent plus s’accommoder. Il attend, la main tendue, et nous explique qu’il est génial d’avoir comme seule politique économique d’emprunter de l’argent public. Les Ivoiriens qui commencent à comprendre qu’ils vont devoir rembourser les enveloppes d’aides détournées par les équipes gouvernementales, n’ont plus confiance. D’autant qu’ils ont bien compris que dans ces arrangements, la corruption est énorme. A LIDER, nous souhaitons reformuler les principes de la coopération avec Paris. Nous souhaitons qu’il y ait plus de contacts avec des hommes d’affaires, des investisseurs et avec les sociétés civiles. Nous souhaitons renégocier les accords de coopération monétaire qui ne sont plus du tout adaptés au monde moderne et à la globalisation. Nous souhaitons avoir avec le monde des échanges libres et marchands. Nous ne pensons pas que la vocation d’un pays soit d’être la chasse gardée d’un autre. Nous croyons au partenariat libre et équitable. Que les portes de tous les palais du monde s’ouvrent à Ouattara est une chose. Que Ouattara en profite pour le bien des populations ivoiriennes en est une autre moins évidente. Malgré toutes les générosités que lui offre le monde entier, les populations ivoiriennes attendent toujours de voir les milliards promis d’investissements se concrétiser en une amélioration de leurs conditions de vie.
Est-ce vrai que sur les 175 milliards de francs cfa mis sur la table pour financer la rénovation des universités, il y a eu jusqu’à 133 milliards de francs cfa de surfacturation ?
Les cas de corruption sont multiples et les détournements sur les travaux de l’université ne sont qu’une illustration parmi tant de cas. Le système est pourri. Ouattara est soi disant arrivé au pouvoir pour combattre ce système qui existait déjà, dans une moindre mesure, sous Gbagbo mais, aujourd’hui, la corruption s’est instaurée en mode de gouvernance. Ce qui pourrait faire sourire, si l’on ne parlait pas d’argent public, c’est qu’à l’époque, on qualifiait Gbagbo de dictateur à cause de ces pratiques alors qu’aujourd’hui, on présente Ouattara comme un grand démocrate alors qu’il fait pire. C’est pour dire que la communication peut faire ou défaire les hommes. Pendant ce temps, la pauvreté augmente et les femmes rentrent du marché avec des sachets de plus en plus légers.
Les travaux de restauration des universités ont été sur facturés et il n’y a eu aucune sanction contre le ministre responsable dont Ouattara dit au contraire qu’il est fier. Le détournement par un ministre de Ouattara de l’argent des victimes des déchets toxiques, n’aura débouché sur aucune sanction. Les Com’Zones promus et experts dans les trafics de cacao, café, or, diamants, anacarde, coton et bois qui leur rapportent de dizaines de milliards, ne sont soumis à aucune sanction eux non plus. On soupçonnerait Ouattara d’être complice de ces pratiques qu’on ne s’y tromperait point.
Il n’y a pas longtemps, un communiqué de LIDER reçu à Afrique Education faisait état de l’arnaque du pouvoir qui fait payer jusqu’aux formulaires de demande de bourses d’études à l’étranger. Ce système de faire payer le retrait du formulaire et le dépôt du dossier à concurrence de 5.000 f Cfa, à chaque fois, a-t-il cessé depuis votre coup de gueule ?
Non, la pratique continue et il en est de même pour bien d’autres services de l’administration, mais nous ne perdons pas espoir et continuerons de dénoncer tous les comportements voyous de l’administration Ouattara et de combattre toutes les mesures qui contribuent à précariser les étudiants et les populations dans leur ensemble. Le gouvernement a quand même mis fin, après que nous l’ayons vivement dénoncé, à l’arnaque aux visas qu’il avait mise en place et qui consistait à contraindre les étrangers résidant en Côte d’Ivoire et titulaires d’un permis de séjour en bonne et due forme à s’acquitter d’un visa d’entrée supplémentaire à leur retour de voyage ou de vacances.
LIDER est un parti qui bouge. Mamadou Koulibaly est l’empêcheur de tourner en rond suprême. Vous préparez-vous déjà à être candidat à la présidentielle de 2015 ?
En Côte d’Ivoire, les 20% des Ivoiriens les plus pauvres doivent se partager 5,6% des revenus annuels du pays, pendant que dans le même temps, les 20% des Ivoiriens les plus riches se partagent 47% des revenus annuels du pays. La pauvreté et l’injustice profonde caractérisent la société ivoirienne. Il existe, également, une fracture effective entre ceux qui veulent utiliser l’Etat et la politique pour s’enrichir, quitte à instrumentaliser les populations et leurs ethnies et utiliser la violence à cet effet, et ceux pour qui la réussite passe par l’effort personnel, l’initiative privée et l’esprit d’entreprise. C’est à ces derniers, ainsi qu’à tous ceux qui, dans la société civile, la classe politique, dans les villes et les villages, en Côte d’Ivoire ou à l’étranger, ne veulent plus se laisser abuser par le pouvoir de l’Etat, refusent d’abandonner la Côte d’Ivoire aux mains des politiciens menteurs et manipulateurs, ont été trompés par Ouattara et aspirent à une société plus juste, plus tolérante et plus prospère, que je demande de se remobiliser autour d’un programme de rupture pour la victoire en 2015. Il ne s’agit ni d’un rassemblement sans contenu autour d’un homme dans le style de l’ex-Lmp, ni d’une superposition d’organisations et d’associations politiques dans le style de l’ex-Cnrd. Ces expériences ont été inefficaces pour arrêter Ouattara. La coalition se regrouperait autour d’un programme commun pour la Côte d’Ivoire. Ce programme s’ar ticulerait en deux phases. A cour t terme, la Coalition pour la Rupture s’unirait autour d’un agenda qui consiste à pousser Ouattara à effectuer d’urgence un recensement général de la population, sans mention de l’ethnie ; à adopter un statut pour l’opposition ; à procéder à l’actualisation de la liste électorale, pour y intégrer tous les exclus, notamment, les quelques trois millions de jeunes, qui ont obtenu le droit de vote en atteignant leur majorité depuis 2009 et à qui M. Ouattara refuse, catégoriquement, de donner leurs car tes d’électeur ; et enfin, à former une commission électorale efficace et crédible, au sein de laquelle, l’opposition statutaire sera représentée de façon paritaire. Une fois le pouvoir conquis en 2015, les dynamiques engagées dans la Coalition pour la Rupture en 2015 procéderont à une réforme du foncier rural, qui se ferait, conjointement, avec le désarmement, pour rendre les terres que l’Etat ivoirien s’est accaparé depuis 1960 à leurs propriétaires légitimes, les paysans. Le programme contiendrait la mise en place d’un cadre efficient pour la promotion de la libre entreprise, meilleure arme pour générer la création d’emplois ; une réforme de la justice pour la rendre réellement indépendante et mettre fin à l’impunité, et sur tout, l’on procéderait à la réforme constitutionnelle qui sonnerait le glas de l’hyper présidence pour la remplacer par un régime parlementaire, qui permet de mieux contrôler l’exécutif et de le contraindre à rendre des comptes au peuple. A moyen terme, la rupture avec la monnaie inique qu’est le franc Cfa et l’instauration d’un marché des capitaux en Côte d’Ivoire, seraient, également, sur notre feuille de route. L’un des projets principaux de la Coalition pour la rupture, à long terme, serait la renonciation aux frontières héritées de la période coloniale et la marche vers une fédération d’Etats ouest-africains prélude à une confédération africaine viable. Il me semble, donc, urgent que cette coalition puisse se mettre en place pour stopper la destruction de notre pays par Ouattara.
Votre dernier mot ?
En dernier mot, je souhaiterais interpeller les Ivoiriens pour qu’ils cessent d’être tolérants envers la médiocrité et intolérants face à l’excellence. Ils doivent savoir que les mauvais économistes, les mauvais politiciens, tuent plus que les guerres, tant leur impact affaiblit les populations. Les Ivoiriens doivent, pourtant, garder confiance. La pauvreté n’est pas une fatalité, c’est, simplement, le fruit de mauvaises politiques et de mauvais comportements dans la classe politique au pouvoir. Il faut un véritable éveil des consciences, et j’ai le sentiment que la machine est en marche, tant la classe politique a atteint les limites ultimes de la tolérance que l’on peut lui accorder dans la médiocrité.