“Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. Il y a des explications historiques à cela, mais il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. (…) Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique”, déclarait Emmanuel Macron le 28 novembre 2017 à l’Université Ouaga 1 (Burkina Faso).
En restituant, le 9 novembre 2021, 26 œuvres d’art appartenant au Bénin, Macron tient un engagement pris devant les étudiants burkinabè (sur notre photo la signature de ladite restitution entre les deux ministres de la Culture en présence des deux chefs d’Etat). Les œuvres restituées sont des “statues de trois rois de l’ancien royaume d’Abomey, objets d’art et objets sacrés, les trônes en bois sculpté des rois Ghézo (1818-1858) et Glèlè (1858-1889), un tabouret tripode, un récipient et couvercle en calebasse sculptée, les portes ornées du palais du roi Glèlè, des pièces de tissu, un sac en cuir”. Ces œuvres avaient été pillées lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales du général, Alfred Amédée Dodds, en 1892, avant l’envoi en exil, en Martinique, puis en Algérie, du roi Béhanzin. Parler de pillage est une manière d’affirmer qu’il y eut “absence de consentement des populations locales lors de l’extraction des objets” et que “les acquisitions ont été obtenues par la violence, la ruse ou dans des conditions iniques” (Rapport Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution des œuvres d’art spoliées, novembre 2018). Selon des experts, au moins, 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne seraient dans les collections publiques françaises et 70 000 d’entre elles auraient atterri au musée du Quai Branly construit par Jacques Chirac et ouvert depuis juin 2006.
L’action du président français est d’autant plus méritoire que Jean-Marc Ayrault avait opposé, le 27 juillet 2016, un “non” ferme à la demande du président béninois au nom de l’inaliénabilité du patrimoine. Pour Ayrault, non seulement, une telle demande devait se faire sur la base de conventions internationales, par exemple, la Convention de l’UNESCO du 14 novembre 1970 relative à la protection des biens culturels, mais elle avait peu de chances d’aboutir parce que les critères de l’UNESCO en la matière sont extrêmement difficiles. Si Macron n’a pas suivi le dernier ministre des Affaires étrangères de François Hollande, il n’a pas non plus écouté les marchands d’art et les collectionneurs privés, qui voient la restitution comme une opération de charme si l’on en juge par les propos de Bernard Dulon : “Comme la France a perdu toute forme de prédominance en Afrique, le président a proposé les restitutions aux dirigeants africains pour conserver des marchés face à la Chine”. Le président du Collectif des antiquaires de Saint-Germain-des-Prés poursuit : “C’est une hypocrisie totale. On a pillé le continent africain depuis mille ans avant Jésus Christ, on continue à le faire et on voudrait nous faire croire qu’en rendant trois masques et quatre fétiches on va se dédouaner. C’est un peu délicat. Je pense que la restitution est un problème uniquement politique mis en avant par le gouvernement français qui peut encore résister à l’invasion chinoise en donnant quelques objets que les Chinois n’ont pas. Mais, c’est, très clairement, du néo-colonialisme.” Dulon soutient ainsi que l’initiative de Macron n’est point désintéressée. Le président béninois pense-t-il comme Bernard Dulon ? On est tenté de répondre par la négative au regard de l’hommage appuyé que Talon a rendu à son homologue français : “Merci au Parlement et au peuple français, pour ce geste combien symbolique et inespéré, avec toute sa charge d’émotions et de polémiques. Par ma voix, c’est le peuple béninois tout entier qui vous exprime sa gratitude et ses félicitations pour votre clairvoyance et votre courage qui ont permis de franchir le cap du tabou de la restitution. A Cotonou, demain à leur arrivée, elles seront célébrées, mais vous aussi. La France sera célébrée aussi.”
Les portes ornées du palais du roi Glèlè.
Talon devait-il dire merci à Macron pour la restitution de ces 26 œuvres d’art extorquées par la France ? Notre réponse est Non. Pourquoi ? Premièrement, parce que le compte n’y est pas du tout. Les pièces restituées ne représentent que des miettes à côté des dizaines de milliers d’objets d’art africains, qui se trouvent dans les musées français. C’est très peu de choses, une dérisoire récolte qui laisse forcément un sentiment de “victoire” au goût d’inachevé. On comprend donc que Patrice Talon déclare : “Il est regrettable que cet acte de restitution, si pourtant appréciable, ne soit pas de portée à nous donner entièrement satisfaction. En effet, comment voulez-vous qu’à mon départ d’ici avec les 26 œuvres, mon enthousiasme soit total pendant que le Dieu Gou, œuvre emblématique représentant le dieu des métaux et de la forge, la tablette du fâ, œuvre mythique de divination du célèbre devin Guèdègbé, et beaucoup d’autres, continuent d’être retenus ici en France, au grand dam de leurs ayants droits ?”
Deuxièmement, la France restituant au Bénin ce qu’elle lui vola hier ne peut pas être mise sur le même plan qu’une personne qui nous laisse sa place dans un bus ou qui nous laisse passer devant elle dans une file parce que nous sommes malades. En d’autres termes, exprimer notre reconnaissance à un voleur qui, harcelé et pris de remords, vient nous rendre la montre ou la bicyclette qu’il a volée une heure plus tôt est non seulement déplacé mais absurde. Le merci a-t-il sa place ici quand on sait que la même France continue de piller l’or du Mali, l’uranium du Niger, le pétrole du Congo et du Gabon ? Le seul mérite de Macron, dans cette affaire de restitution, réside dans le fait que son gouvernement a fait ce que le précédent gouvernement refusa de faire. On peut et on doit lui reconnaître d’avoir eu le courage de ramer à contre-courant d’une opinion majoritairement opposée à la restitution des objets que la France avait indûment accaparés. On peut saluer le courage dont il a fait preuve sans lui dire merci. Bref, il ne s’agit nullement de remercier un bienfaiteur qui n’en est pas un, mais de prendre acte d’une justice rendue à des peuples dont on a prétendu qu’ils n’avaient ni histoire ni civilisation.
Le président béninois Patrice Talon chaleureusement accueilli par son homologue français Emmanuel Macron.
Beaucoup d’Africains, en suivant la cérémonie de restitution des 26 œuvres d’art de la France au Bénin, ont dû se souvenir de ces paroles d’Aimé Césaire : “On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.” (cf. ‘Discours sur le Colonialisme’, Paris, Présence Africaine, 1950). En attendant que le Tchad, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali et d’autres pays africains récupèrent leurs objets d’art, on ne peut que souscrire à l’analyse de Michel Adovi Goeh-Akué, professeur d’histoire à la retraite : “Ça veut dire que les Français et globalement les Européens commencent par comprendre que l’Afrique a une civilisation. Elle a des éléments de civilisation et qu’il faut rendre ces choses aux Africains pour qu’ils puissent en jouir et les présenter comme l’âme de leur peuple. Il est important que toute l’Afrique retrouve son âme et sa mémoire à travers ces œuvres qui sont gardées là-bas”.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).