Le terme “négritude” fut créé et employé pour la première fois en 1935 par Aimé Césaire dans “L’Etudiant noir”, mensuel de l’Association des étudiants martiniquais en France (cf. Reilly Brian J., « Négritude’s Contretemps : The Coining and Reception of Aimé Césaire’s Neologism », Philological Quarterly, vol. 99, no 4, 2020, p. 377–398). Pour Césaire, il désigne d’abord “le rejet de l’assimilation culturelle, le rejet d’une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation”.
Léopold Sedar Senghor, qui reprendra le mot plus tard, définit la Négritude comme “l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs, la volonté d’être soi-même, une arme de combat pour la décolonisation” (“Liberté 1. Négritude et humanisme”, Paris, Seuil, 1977).
10 ans après les indépendances nominales, qu’est-ce que la Négritude, devenue un courant ou un mouvement littéraire et politique, a apporté aux Africains ? C’est cette question qui est au centre de “Négritude et négrologues” publié en 1972 par Union générale d’éditions (Paris). Et Stanislas Spero Adotevi y répond en critiquant sévèrement la manière dont Senghor conçoit la Négritude. En effet, Adotevi reproche à Senghor d’avoir perverti la Négritude “qui était le temps primitif de la Renaissance africaine, de faire du nègre une espèce particulière étrangère à toute histoire, de célébrer le nègre au lieu de le libérer”. En un mot, Adotevi estime que la Négritude senghorienne est “un essentialisme au service du néocolonialisme, une négritude contemplative” alors que, selon lui, la Négritude devrait être révolutionnaire, c’est-à-dire, rompre avec le capitalisme et le néocolonialisme. C’est la première chose qui frappe chez Stanislas Adotevi.
Dans une Afrique où le “grand-frérisme” interdit aux plus jeunes de désavouer ou de contredire publiquement les aînés, quand bien même ces derniers auraient tort, lui, Adotevi, eut le courage, comme le Camerounais, Marcien Towa, de se démarquer du poète-président dont la renommée était déjà bien établie.
Stanislas Adotevi avait fait ses études supérieures en France dans les années 1950 : d’abord, la philosophie avec Louis Althusser, puis, l’anthropologie. Son sujet de thèse était “L’impact du système colonial sur le développement de l’Afrique”. La plupart des intellectuels africains de cette époque flirtaient avec le marxisme et militaient dans la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) qui luttait ouvertement pour la décolonisation de l’Afrique. Après sa formation, Adotevi rentra au Dahomey pour diriger sucessivement le ministère de l’Information (1963) et celui de la Culture (1965-1968). En 1981, il fut nommé représentant de l’UNICEF en Haute-Volta. Comme il était acquis aux idées de la Gauche révolutionnaire, l’arrivée du capitaine, Thomas Sankara, au pouvoir, en août 1983, ne lui posa aucun problème. En 1990, Adotevi décide de prendre la nationalité burkinabè et de s’installer définitivement dans le “pays des hommes intègres”. Il n’habitait pas dans un quartier huppé. Idéologiquement, il était proche de Sankara à qui il apporta son aide à travers la Vaccination commando en 1984. Plus d’un million d’enfants de 9 mois à 6 ans furent alors vaccinés contre la rougeole, la fièvre jaune et la méningite. La campagne de vaccination dura trois semaines et fit passer la couverture vaccinale de 19 à 77 %. Il soutint le programme “un village, un poste de santé primaire”, le FESPACO en créant les Prix “Mère et Enfant”, “Jeunes publics” ou en favorisant les rencontres entre cinéastes africains. Il facilita le recrutement d’Africains dans le système des Nations-Unies. L’UNICEF offrit des cars de transport scolaire au Groupe scolaire Kiswendsida d’Alidou Soré.
Pour Ismaël Diallo, ancien directeur du Centre d’information des Nations-Unies, Adotevi contribua beaucoup à la révolution burkinabè dans le domaine de la réflexion et de la production des discours et cela en toute modestie car jamais il ne revendiqua avoir fait ceci ou cela. Diallo regrette néanmoins que Stanislas Adotevi n’ait pas été honoré de son vivant et que les jeunes ne l’aient pas fréquenté pour apprendre de lui.
Ismaël Diallo et l’ancien premier ministre du Burundi, Pie Masumbuko, reconnaissent qu’Adotevi était un homme simple et modeste parce qu’il était né et avait grandi au village. Cet homme, qui croyait dur comme fer que la Négritude devait libérer le Noir de la misère et de toute forme de domination, a tiré sa révérence le 7 février 2024. Il avait 90 ans.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)