DECONFITURE DE KAMALA HARRIS : Vers un réveil européen ?

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Beaucoup en Europe redoutent un retour de Donald Trump pensant que l’élection de Kamala Harris aurait été plus favorable aux intérêts européens. En est-on certain ? L’administration Biden, outre le fait qu’elle ne soit pas revenue sur les mesures commerciales initiées contre les Européens par Donald Trump, fut aussi celle qui se retira d’Afghanistan, négocia l’accord de coopération militaire AUKUS avec le Royaume-Uni et l’Australie ou instaura l’Inflation Reduction Act sans même songer à en informer ses principaux partenaires et alliés européens.

Le premier ministre polonais, Donald Tusk, observait avec lucidité dans un message posté sur le réseau social X ces derniers jours : « Harris ou Trump ? Certains affirment que l’avenir de l’Europe dépend des élections américaines alors qu’en réalité, il dépend avant tout de nous. A condition que l’Europe grandisse enfin et ait confiance en ses propres forces. Quelle que soit l’issue de ces élections, l’ère de la sous-traitante géopolitique est révolue ».

Il semble pourtant être bien seul à se préparer à l’issue de ces élections et aux conséquences d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. En effet, 5 mois après les élections européennes, les auditions par le parlement des commissaires désignés débutent à peine. La nouvelle Commission pourrait commencer à travailler au mieux au début du mois de décembre. Les parlementaires semblent plus occupés à gérer les affaires courantes qu’à se projeter dans un avenir incertain. Les Etats plus divisés que jamais face à une situation géopolitique chaque jour un peu plus complexe n’ont vraisemblablement pas pris la mesure des responsabilités qui vont leur incomber dans les mois qui viennent. L’impréparation semble générale alors que ces élections américaines ouvrent 4 années qui pourraient être parmi les plus compliquées pour la relation transatlantique.

On peut parier que ce genre d’image entre Joe Biden et Ursula von der Leyen sera impossible avec Donald Trump.

Pour rappel, le décrochage de l’économie européenne est en grande partie lié à l’insolent dynamisme de l’économie américaine. La croissance de ce pays a été depuis la pandémie de COVID en 2020, trois fois plus élevée que celle d’une Europe presque léthargique. Soutenue par des investissements massifs publics (environ 30% du PIB de ce pays entre 2020 et 2024) et privés, elle a permis aux Etats-Unis de rattraper son retard en matière d’intelligence artificielle et de numérique, mais aussi, d’amorcer sa transition verte ou la relocalisation d’activités stratégiques (semi-conducteurs, activités extractives etc.). Pour une administration démocrate, l’enjeu central de la présidence aurait été la préservation de la démocratie. Pour Donald Trump, ce sera, plutôt, le retour d’une américaine puissante (Make America Great Again) mais, nul doute que l’effort économique et d’investissement sera poursuivi élevant encore le défi pour l’économie européenne. Ce défi passe aussi par une politique industrielle européenne qui garantirait des financements communs, une gouvernance et une conditionnalité partagée au sein d’un marché unique ainsi mieux intégré constate Andreas Eisl.

Autre sujet, la guerre en Ukraine qui, si elle venait à être gagnée par la Russie, positionnerait ce pays aux portes de l’Europe, menaçant directement les pays aux frontières orientales de l’Union (Pologne, Pays Baltes). Donald Trump pense pouvoir imposer la paix en un jour et on le sait plus proche de Vladimir Poutine que de Volodymyr Zelensky. Par ailleurs, face à une guerre à l’issue incertaine, il est aisé de percevoir la volonté américaine de trouver une solution permettant un désengagement des Etats-Unis et l’arrêt des financements. Les Européens sont-ils prêts à cette éventualité ? S’y préparent-ils ?

Les dépenses militaires ont été augmentées d’un tiers depuis le début de la guerre, les initiatives se sont multipliées pour soutenir une montée en cadence de l’industrie mais pour quelle stratégie et/ou architecture de sécurité en Europe ?

Au-delà de la guerre en Ukraine, quelle position commune face aux divers enjeux géopolitiques en Asie au Moyen-Orient ou ailleurs ? La politique migratoire européenne en est un. Par ailleurs, quelles perspectives pour les élargissements à venir alors que les récentes élections en Moldavie et en Géorgie soulignent s’il en était encore nécessaire la responsabilité géopolitique des Européens.

Volodymyr Zelensky ici avec Joe Biden a des raisons d’être inquiet : Donald Trump (proche de Vladimir Poutine) a promis d’arrêter la guerre très vite. L’avenir du président ukrainien se lit en pointillés.

Enfin, l’élection américaine questionne aussi les relations économiques et commerciales de l’Europe au reste du monde, à commencer par la Chine, puis, l’Asie et l’Afrique face à une mondialisation fracturée. Confrontée aux défis du décrochage économique, de la sécurité économique ou encore de l’indispensable lutte contre le changement climatique, la puissance commerciale que reste l’Union européenne doit résoudre une difficile équation où les intérêts des pays européens peuvent grandement diverger.

Et pour terminer sur une note un peu plus optimiste, il est utile de rappeler le consensus identifié par Enrico Letta lors du périple qui l’a mené dans plus de 65 villes européennes dans le cadre de la rédaction de son rapport sur le marché unique et qu’il rappelle dans l’ouvrage, « Des idées nouvelles pour l’Europe », publié, fin octobre, en France : « L’Europe est imparfaite, mais elle est irremplaçable. »

Sylvie Matelly 

Directrice de l’Institut Jacques Delors (France)

NB : Le titre est de la rédaction.

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