« Pour le maintenir vivant, j’avais accepté de m’abandonner en lui, que nous devenions un, frères siamois, le temps de notre captivité, parce que la vie carcérale interdisait à sa belle gueule de s’aventurer seule dans le champ de tir d’un maton. Casser de l’homosexuel étant un rituel par là-bas, nous réservions paroles et gestes brusques à la promenade du lendemain, nous contentant de chanter en sourdines, l’un après l’autre, Charles Aznavour d’abord, Freddie Mercury, ensuite, à moins que ce ne fût Freddie Mercury en premier. « The show must go on », disait Ching. Pour avoir encaissé trop de coups, il avait vite compris qu’il ne serait jamais à l’abri, tant qu’il était ce que la Nature avait fait de lui : un homme qui aimait les hommes.
Je me serais pendu, si tu n’étais pas là ! Un soit de blues, dans la pénombre de la cellule. Ching était assis à califourchon sur notre couche, moi, allongé à ses pieds, la tête tournée vers son visage. Par intermittence, le bout embrasé de sa cigarette dévoilait le haut de son visage. Ce soir-là, il lui était égal que la vie suive son cours dehors, avec l’aboiement lointain d’un chien perdu, qui venait briser les lois de la prison. « Silence, silence, fermez vos gueules ! » nous parvenait la voix d’un maton, derrière la porte. Un cri mêlé au tapage dans le couloir d’une dizaine de paires de bottes de matons, tandis qu’un autre déchirait la nuit. Des sanglots, étouffés d’abord, encore des sanglots d’où perlait la douleur, puis quelqu’un appela père et mère à son secours. L’instant d’après, son hurlement se perdait dans le braiment de l’âne qui venait de le violer.
« C’est fini là-dans ! Reprit le matin, maintenant on dort » ».
C’est l’histoire d’un jeune Sénégalais emprisonné pendant des années dans une geôle de Dakar pour avoir tué en représailles l’assassin – un commerçant chinois – de son frère. L’histoire d’une vie brisée, faite de pénitence, celle d’un homme singulier, complexe que l’amour fraternel et le contexte économique poussent au meurtre.
Sa grande admiration pour son frère, la relation difficile à sa mère, l’homosexualité, l’envie de vengeance, le poids de la culpabilité et enfin l’amour sont autant d’élément qui composent ce roman « politique » et audacieux.
Demain, si Dieu le veut,
de Khadi Hane
Editions Joelle Losfeld, 95 pages, 16 euros
Mise en vente : le 1er octobre 2016
Qui est l’auteure ?
Khadi Hane est née à Dakar en 1962. En 1998 sort son premier romain, Sous le regard des étoiles (Nouvelles éditions africains du Sénégal). Suivent, entre autres, Ma sale peau noire (manuscrit.com 2001), Il y en a trop dans les rues de Paris (2005), Le collier de paille (Pocket, 2010) et Des fourmis dans la bouche (Denoël, 2011). L’auteur a reçu pour ce livre le Prix Thyde Monnier 2012 de la Société des Gens de lettres.