Le jeune président français est passé maître dans l’organisation des petits événements dans les grands. Le 11 juillet, il a, officiellement, invité le président du Ghana, Nana Akufo Addo, pour parler coopération bilatérale entre les deux pays, mais, surtout, pour dialoguer en direct avec la diaspora africaine et des ultra-marins. Mais, au fond, le déjeuner en tête à tête qu’il avait organisé en son honneur, devait permettre aux deux hommes d’Etat de parler de la création de la monnaie ECO en remplacement du F CFA, en zone CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale). Le président du Ghana et son homologue du Niger, Mahamadou Issoufou, sont les deux chefs d’Etat mandatés par la CEDEAO pour mener ce processus de la mise en place de l’ECO, à terme, courant 2020. Cette invitation de Nana Akufo Addo, à l’Elysée, avait été précédée de quelques jours, par un passage du président ivoirien, Alassane Ouattara.
Ce jeudi, 15 août, un autre tête à tête entre Alassane Ouattara et Emmanuel Macron leur permettra de remettre ce sujet sur la table, le président ivoirien, grand fervent du maintien du F CFA, « une excellente monnaie (selon lui) qui donne entièrement satisfaction à nos économies », n’ayant pas abdiqué malgré la décision des chefs d’Etat de la CEDEAO réunis, le 29 juin, à Abuja, au Nigeria, de lancer la monnaie de la CEDEAO (l’ECO) en 2020.
A Saint-Raphaël, dans le Sud de la France, Emmanuel Macron a convié ses homologues de Guinée, Alpha Condé, et de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, pour commémorer le débarquement des forces africaines, il y a 75 ans, en Provence (notre photo où on note aussi la présence de Nicolas Sarkozy l’ancien président français qui est un autre grand fervent du maintien du F CFA en Afrique). Sur les 450.000 soldats qui participèrent, en 1944, à cette opération, 300.000 provenaient d’Afrique du Nord, de l’Ouest et du Centre.
Le choix des deux chefs d’Etat africains relève de la discrétion du président français.
S’il est venu, très officiellement, pour participer à cette cérémonie-souvenir, Alassane Ouattara a, sans aucun doute, l’esprit ailleurs, notamment, à son tête à tête avec Emmanuel Macron, sur le lancement de l’ECO en remplacement du F CFA, courant 2000. Ce n’est un secret pour personne que malgré son refus ferme et sans appel de voir le F CFA disparaître, les chefs d’Etat de la CEDEAO y compris ceux de l’UEMOA (qui utilisent le F CFA), ont acté la création de l’ECO et son lancement en 2020, après le feu vert donné, à ce sujet, par des études techniques menées par les banques centrales du Ghana, de la BCEAO et du Nigeria. Il ne reste plus qu’à passer à la phase de lancement, les chefs d’Etat ayant décidé de permettre à chaque pays de prendre le train en marche après satisfaction des critères de convergence par chacun d’entre eux. En 2020, les huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) dont la Côte d’Ivoire qui est leur première économie, ainsi que, le Ghana, qui est la deuxième économie de la CEDEAO juste derrière le Nigeria (mais avant la Côte d’Ivoire) lanceront, donc, l’ECO sous la supervision du président du Niger, Mahamadou Issoufou, actuellement, président en exercice de la CEDEAO pour un an.
Si la CEDEAO a, déjà, acté la disparition du F CFA, qu’en est-il de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) ? Cette grande malade de l’intégration africaine sera, tôt ou tard, obligée de sortir de sa léthargie. Les peuples de la CEEAC demandent la création d’une monnaie autonome comme le suggèrent les opérateurs économiques du Cameroun, pays qui compte pour plus de 50% de la valeur économique de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Les présidents du Tchad, Idriss Déby Itno, et de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, sont favorables à une telle mutation.
Si celle-ci est inéluctable, ressemblera-t-elle à celle de la CEDEAO ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que les présidents (au moins de la CEMAC) en parlent déjà. Lors de sa visite, à Libreville, de quelques heures, le 12 juillet dernier, c’est-à-dire, dès le lendemain du passage de Nana Akufo Addo à l’Elysée, Teodoro Obiang Nguema avait échangé sur cette question avec le président du Gabon, Ali Bongo Ondimba. Devant la presse, le président équato-guinéen avait laissé entendre qu’il appartenait à la France de proposer des ouvertures sur le F CFA que les présidents africains pourraient par la suite étudier. La sortie pure et simple du F CFA n’est pas exclue mais elle ne constitue pas la seule et unique solution envisageable. La France, selon l’entendement du président équato-guinéen, devrait faire œuvre de grande souplesse, en supprimant par exemple le très décrié compte d’opération et enlever, parallèlement, le veto des deux représentants de la France au sein du conseil d’administration de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) dont le siège est abrité à Yaoundé et dont l’actuel gouverneur est tchadien. Il en irait, aussi, du rattachement de la monnaie au Trésor français (au lieu de la Banque centrale européenne), rattachement qui est perçu, en Afrique centrale, comme une aberration, purement, coloniale. Bref, la CEDEAO va, incontestablement, faire sortir la très somnolente CEEAC de son profond sommeil.
Notons qu’au sein de la zone franc, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. La Côte d’Ivoire dont le pays lutte pour le maintien du F CFA, voire, pour son extension à toute la CEDEAO (ce qui amuse le Ghana et surtout le Nigeria), a bénéficié, il y a peu, d’un important crédit de 600 milliards de F CFA du Trésor français, pour financer le métro d’Abidjan. Construit par Bouygues, ce métro sera long de 37 kilomètres, et partira d’Anyama (Nord-Est d’Abidjan) pour Port-Bouët (Sud) et transitera par Abobo, Adjamé, Plateau, Treichville, Marcory et Koumassi.
Conclusion : En tout bon ancien banquier (comme Emmanuel Macron), Alassane Ouattara sait défendre les intérêts de son pays. Même au sein de l’ECO, il ne perdra, jamais, au change.