Le RESF (Réseau Education sans frontières) vient de saisir le premier ministre, François Bayrou, sur la situation des enfants étrangers, exclus du système scolaire, dans un pays où la scolarisation est obligatoire jusqu’à 16 ans. C’est aussi le cas des élèves et étudiants plus âgés qui se trouvent privés d’éducation et de formation dans le même pays où le savoir est la denrée la plus partagée. Votée en janvier 2024, la loi Asile-Immigration est en train de faire des ravages dans une société française qui est en train de perdre le nord. Nous reproduisons, ci-dessous, l’intégralité du courrier adressé au premier ministre pour vous permettre d’en avoir toute la teneur. On espère que l’ancien ministre de l’Education nationale saura faire preuve d’humanisme, de courage et de tolérance, des qualités qu’il a souvent affichées dans sa très longue carrière d’homme politique qui n’est ni de gauche ni de droite.
Monsieur le Premier ministre
Le RESF (Réseau Education sans frontières) accompagne depuis plus de 20 ans les jeunes et les familles étrangères, afin de leur permettre d’obtenir ou de maintenir leur droit au séjour.
Depuis 40 ans, les lois « immigration » et particulièrement la 22ème du 24 janvier 2024, réduisent, chaque fois, davantage, les possibilités pour les étrangers de se trouver en situation régulière.
La dématérialisation accélérée des démarches administratives, le sous-dimensionnement des plateformes dédiées à ces démarches, combinés à la baisse régulière des moyens alloués aux préfectures, et par conséquent, du nombre des agents pour traiter les dossiers, tous ces facteurs ont multiplié le nombre de personnes, travailleurs, étudiants, jeunes, se trouvant dans l’impossibilité de déposer une première demande de titre, ou après obtention de celui-ci, de le renouveler.
La loi Asile-Immigration du 24 janvier 2024 (inspirée par l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, devenu ministre de la Justice dans le Gouvernement Bayrou) donne la priorité à la question des OQTF : leurs conditions d’administration et d’exécution. Il s’agit d’inciter les préfets à faire du chiffre, en multipliant les expulsions, et de tenter de faire croire que le pays retrouverait, ainsi, sécurité et plein emploi.
Les préfets multiplient, donc, les remises d’OQTF au motif de « trouble à l’ordre public », une notion on ne peut plus imprécise. Une OQTF assortie dans presque tous les cas d’IRTF jusqu’à 3 ans. Ce qui équivaut à un arrêté de bannissement.
Les dépôts de dossiers sont, par ailleurs, rendus impossibles pendant une période de 3 ans après l’OQTF, une mesure rétroactive, appliquée à des OQTF délivrées avant la promulgation de la loi ! On est loin de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il ne s’agit pas là que de mots.
Trois années sans papiers, avec le risque permanent du contrôle et de l’arrestation, cela signifie perte de travail, du logement, de droits sociaux. Le message est clair. « PARTEZ ! Et si vous ne le faites pas de vous-même, nous vous faisons partir de force ! C’est notre loi ! »
Familles brisées, pères arrachés à leurs enfants, vies anéanties, souvent, celles de très jeunes que le même pays a accueillis, pris en charge, scolarisés, formés. Une OQTF car ils auraient en toute bonne foi remis en préfecture un document d’état-civil dûment légalisé par les autorités de leur pays, mais, récusé par « l’expertise » de la Police aux Frontières (fraude = trouble à l’ordre public), un motif que le tribunal administratif ne manquera pas de casser. Aujourd’hui, ce sont les tribunaux qui, bien qu’engorgés, régularisent et non plus les préfectures. Un gâchis de temps, de moyens, et un détournement des fonctions auxquelles la justice pourrait plus utilement se consacrer.
Même annulée, désormais, l’OQTF restera dans le dossier de la préfecture et pèsera sur les examens de situation successifs.
Monsieur le Premier ministre,
Nous ne croyons pas que la société tout entière exige le renvoi des étrangers, attende des charters vers le Sud pour se sentir, enfin, à l’aise, entre soi. Nous ne le croyons pas. Nous ne le croyons pas parce que nous constatons tous les jours autre chose, le vivre-ensemble partagé au travail et dans les quartiers. Parce que les enfants de ce pays aiment et vivent avec celles et ceux d’autres origines. Parce que le monde entier a reçu de la France, à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris, le message que ce pays était ouvert, coloré, mélangé, généreux et que cela a fait plaisir aux Français. Ce n’est pas vrai ?
Vous avez en de multiples occasions exprimé votre attachement aux valeurs humanistes, le courage, la tolérance, la non-discrimination. Nous vous demandons de les mettre en pratique en refusant de nommer un ministre susceptible de prôner une politique encore plus restrictive à l’égard des personnes étrangères. Nous vous demandons, également, de proposer au Parlement l’abrogation de la loi inique Asile-Immigration du 24 janvier 2024.
Vous étiez présent, monsieur le Premier ministre, en septembre 2009, sur le parvis de Notre Dame, à l’un des rassemblements RESF, protestant contre l’enfermement en rétention et les expulsions d’enfants. Stéphane Hessel, aussi. « Indignez-vous ! » disait-il. Alors, Monsieur le Premier ministre, à votre tour, aujourd’hui, face à toutes ces dérives, ces inhumanités, à votre tour, indignez-vous !
Signé RESF.
NB : Cette lettre que nous publions tardivement avait été envoyée le 19 décembre à François Bayrou, bien avant la formation de son gouvernement. Richard Moyon de RESF nous l’avait fait parvenir dès le lendemain à la rédaction. Cela dit, ce courrier garde toute sa force même si François Bayrou, entretemps, a choisi de durcir son gouvernement en reconduisant à l’Intérieur ( Bruno Retailleau) et en nommant à la Justice (Gérard Darmanin), auteur de la loi incriminée. Ces deux ministres, du reste, sont d’anciens camarades de parti de la droite dure (ou forte), avec lesquels le dialogue ne peut que s’avérer très difficile. Mais, c’est au pied du mur qu’on jugera le maçon et ancien ministre de l’Education nationale, François Bayrou.