Pour les Américains, le chef de la Maison Blanche de l’époque, Bill Clinton, en tête, Issaias Afeworki faisait partie de la nouvelle vague des dirigeants africains du futur. Avec l’Ethiopien, Meles Zenawi, et l’Ougandais, Yoweri Museveni, nous avions là le trio magique qui allait changer l’image de l’Afrique. Ces dirigeants étaient d’ailleurs l’anti-thèse de leurs prédécesseurs. La page que tout le monde voulait tourner : Milton Obote et avant lui Idi Amin Daddah en Ouganda, et l’empereur rouge, Mengistu Haïlé Mariam, en Ethiopie. On ne sait sur quelle base Washington avait trouvé en eux des modèles de vertu afin qu’ils soient qualifiés de dirigeants de la nouvelle vague. Toujours est-il que les Américains ont depuis longtemps, changé de discours à leur sujet : Yoweri Museveni et Issaias Afeworki sont devenus des présidents à vie tandis que c’est la mort qui a arraché Meles Zenawi du pouvoir en Ethiopie où il était l’inamovible premier ministre pendant 21 ans. S’il n’était pas mort, il serait, toujours, au pouvoir aujourd’hui. Entretemps, les alliances ont changé : Yoweri Museveni et Issaias Afeworki ont presque coupé les ponts avec Washington. Désormais, ils préfèrent coopérer avec Moscou, qui ne les embête pas avec des discours sur la démocratie, des droits de l’homme et l’alternance à la tête de l’Etat.
Héros vénéré de décennies de guérilla de libération lorsqu’il prit la tête de l’Erythrée à son indépendance en 1993, Issaias Afeworki s’est mué en dictateur impitoyable et a fait de son pays une « Corée du Nord » africaine.
Longtemps paria car accusé de déstabiliser la Corne de l’Afrique en soutenant des groupes armés, dont les islamistes somaliens shebab, M. Issaias est revenu sur la scène internationale en 2018 en signant un accord de paix avec le nouveau premier ministre de l’Ethiopie, Abiy Ahmed.
La fin de 20 ans de conflit ouvert ou larvé avec le puissant voisin éthiopien avait suscité un bref espoir d’assouplissement. Mais M. Issaias n’a pas desserré sa poigne sur le pays et continue de mépriser les critiques internationales.
Agé de 77 ans, l’homme n’a pas toujours été le « dictateur isolé et lunatique », « austère », « narcissique » et « paranoïaque » décrit dans des câbles diplomatiques américains de 2009 publiés par WikiLeaks.
A la fin des années 1990, Washington le plaçait parmi la « nouvelle génération » de dirigeants africains, censés apporter démocratie et réformes économiques. C’est aujourd’hui de l’histoire ancienne. En effet, l’Erythrée est devenue une alliée fidèle de la Russie. Pour preuve, elle est le seul pays africain à avoir voté en faveur de la Russie lors de la consultation organisée aux Nations-Unies pour condamner l’invasion en Ukraine. On comprend que les Américains aient désespéré d’Asmara depuis des lustres.