ESPAGNE/MAURITANIE : Des tensions diplomatiques évitées sous fond d’enjeux sécuritaires

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La Mauritanie et l’Espagne viennent d’éviter un différend qui aurait pu entacher leurs bonnes relations diplomatiques. En effet, il y a de cela quelques jours, la marine espagnole a intercepté un canot contenant 168 migrants sénégalais en direction des Iles Canaries. Le bateau s’étant retrouvé à 150 km des côtes mauritaniennes, les autorités espagnoles ont entrepris de le reconduire chez leurs partenaires du Sahel, en vertu d’un accord contre l’immigration clandestine signé en 2016 entre les deux nations.

Selon les termes de ce partenariat, Nouakchott reçoit une enveloppe annuelle d’environ 10 millions d’euros (6,7 milliards de F CFA) de la part de Madrid, devant lui permettre de contrecarrer toute tentative de départ en mer à partir de ses côtes vers le territoire espagnol. Il y est également stipulé la prise en charge des migrants interpellés en mer, ainsi que, le droit à la marine espagnole d’intervenir sur le sol mauritanien. 

Confrontées au refus des autorités mauritaniennes d’autoriser l’accostage dans un de leurs ports du canot des exilés, les autorités espagnoles ont dû rapatrier l’embarcation vers le Sénégal. Si le non-respect de l’accord de 2016 aurait pu créer des tensions entre Nouakchott et Madrid, il n’en a rien été. Premièrement, parce que le bouclier anti-immigration clandestine mis en place par la Mauritanie n’a laissé passer que cinq canots à destination des Iles Canaries depuis janvier 2023, et est, donc, d’une efficacité évidente par rapport à celui des autres nations du Sahel dont la Tunisie. Deuxièmement, parce que les raisons du refus de la Mauritanie sont d’ordre sécuritaire. 

Face à l’explosion du nombre de migrants clandestins vers l’Europe, notamment, depuis la fin des restrictions liées à la pandémie du Covid-19, les cellules de recrutement des mouvements djihadistes ont revu leur approche. Alors qu’ils étaient habitués à recruter principalement au sein d’un pays à mauvaise gouvernance, les recruteurs des organisations terroristes sont désormais présents dans les zones de transit utilisées par les exilés. Cherchant à profiter de la frustration et de la déception souvent associées à l’incertitude des itinéraires proposés dans le cadre de la clandestinité, les cellules djihadistes offrent des alternatives lucratives aux migrants désemparés, qui finissent par céder à la tentation.

Cette nouvelle tendance a été observée dans plusieurs zones reliant la Mauritanie, le Mali et le Sénégal, ce qui explique la décision des autorités mauritaniennes de ne prendre aucun risque en autorisant le débarquement des voyageurs du Sénégal voisin. On comprend mieux pourquoi la Mauritanie n’a enregistré aucune attaque terroriste depuis plus d’une décennie, malgré sa présence dans le Sahel. 

Paul-Patrick Tédga

MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)

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