« Je ne veux pas que les gens pour lesquels je me suis battu pour défendre la liberté d’expression en fassent usage pour faire des commentaires stupides », a-t-il déclaré, lundi, 5 décembre, à Lagos, devant des journalistes invités à une discussion dans le Parc de Freedom Park, ancienne prison pour les esclaves récalcitrants, désormais, transformé en lieu pour promouvoir la liberté d’expression. Homme de conviction, Wole Soyinka vient, encore, de démontrer qu’il n’est pas un opportuniste.
« Le jour de l’investiture de Trump, je serai en deuil. Mais vous savez quel sera mon deuil ? Je pleurerai la mort du bon sens au Nigeria. Parfois, j’ai honte de partager ma nation avec des imbéciles », a lancé M. Soyinka, 82 ans, ajoutant qu’il y a « trop d’illettrés au Nigeria ».
Wole Soyinka, icône de la littérature africaine, et grande figure d’opposition pendant les dictatures militaires au Nigeria, a confirmé, la semaine dernière, avoir « jeté » sa carte verte américaine (permis de résidence) après l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, tel qu’il avait promis de le faire pendant la campagne électorale aux Etats-Unis.
La nouvelle a fait la Une des journaux nigérians, vendredi, 2 décembre, déclenchant une vive polémique sur Twitter. Les internautes lui reprochent, notamment, de ne pas montrer les preuves de son acte de révolte.
« Attendez, vous l’avez vu vous la jeter ? » demande un internaute. « Je veux le voir pour le croire », répond un autre. « Il n’avait qu’à me la donner ! »
Beaucoup accusent, également, Wole Soyinka d’être déconnecté de la réalité des 180 millions de Nigérians, pour qui les Etats-Unis restent un Eldorado pour poursuivre leurs études ou être soignés dans de bonnes conditions, dans un pays où l’électricité manque et le système universitaire est en faillite.
Le Migration Policy Institute, basé à Washington, estime que 376.000 Nigérians vivent aux Etats-Unis (chiffres de 2015), la plupart appartenant à la classe aisée et éduquée, et représentent la plus grande communauté étrangère Outre-Atlantique.
« Je n’ai pas de mal à recevoir des critiques. Mes étudiants m’ont régulièrement demandé des comptes sur mes idées », a répondu l’écrivain à un journaliste local, qui demandait si cette émotion ne venait pas du fait que c’était la première fois que sa parole était remise en cause par un grand nombre de personnes au sein de la société nigériane.
Wole Soyinka (sur notre photo où il semble dire by bye à l’Amérique de Trump) est un écrivain engagé. Dans les années 60, il a passé 22 mois en prison pendant la guerre d’indépendance du Biafra et en 1994, il a été contraint à l’exil après avoir été condamné à mort pendant la dictature de Sani Abacha.
Ce vent de critiques survient au moment où l’actuel président, Muhammadu Buhari, a perdu beaucoup de sa popularité, notamment, à cause de sa gestion économique et sécuritaire du pays, un an et demi après son arrivée au pouvoir.
Wole Soyinka avait déclaré qu’il soutenait l’ancien militaire pendant la campagne électorale et n’est pas, pour l’instant, revenu, clairement, sur son engagement.
Avec l’AFP