De l’Afrique à St-Domingue, des êtres humains réduisent en esclavage d’autres êtres humains. Ça rapporte gros. Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, St Malo, Lorient, Honfleur, Marseille, s’enrichissent. On les embarque en Afrique. On les débarque à St-Domingue. Où quantités de pancartes sur piquets annoncent la vente.
Femmes à vendre, hommes, jeunes gens, enfants en provenance du Congo.
A vendre jeunes filles vierges. Au plus offrant. Faites vite. Offre limitée.
A vendre hommes 40 ans bien ébréchés durant la traversée. Prix bas. Tout de même bien membrés pour reproduction.
Autres à vendre pour le travail dans les plantations. Très demandés.
La durée de vie d’un esclave sur une plantation est de 37 ans. Tortures, travail, tortures, travail, tortures.
Le 18 novembre 1803, après plusieurs révoltes des esclaves, la bataille de Vertières a mis fin à l’esclavage. L’armée des esclaves a gagné contre l’armée de Napoléon. Les esclaves se sont libérés tout seuls. La première défaite de Napoléon, c’est en Haïti (sur notre photo, le buste de Toussaint Louverture dans le Château de Joux, ce brave Haïtien qui signa la défaite de Napoléon. Une défaite mémorable).

Le 1er janvier 1804, Dessalines proclame l’indépendance d’Haïti (anciennement St-Domingue).
—Tu m’as chassée, ma Perle des Antilles.
—Est-ce que moi-même j’avais signé un contrat d’esclave avec toi ? —Ca va te coûter très très cher ma Perle des Antilles.
—Hé! Ça se passe comment à l’heure qu’il est ? On a gagné ! Depuis quand les vainqueurs paient aux vaincus !
—Justement ! Tout d’abord, bouche cousue sur ta liberté contagieuse ! Et ta bataille de Vertières ! Bataille de Vertières. Jamais de la vie dans un dictionnaire en France ! Jamais !
—Mais c’est aussi ton histoire ? On ne s’est tout de même pas battus tout seuls ?
—On dirait que tu n’as pas ton bon ange ? Allez dire au peuple français et au monde entier que des esclaves-nègres-tout-tout-nus-race-bêtes-bites-sans âme ont battu l’armée blanche de Napoléon. T’as pas ton bon sens ou quoi ?
—Tu cherches à emprisonner l’histoire ? Bon toi, tu n’es qu’un sans foi ni loi. Mais les historiens, les penseurs en France, tous ceux-là qui écrivent les gros livres.
—Ne rêve pas, Fraîchement Libre, ils vont suivre le peloton bouche cousue.
—Tu veux que ta descendance et la mienne passent des siècles en cure de désintoxication ? – Fraîchement Libre, La politique, c’est de l’intox. Les gens sont comme des malades en soins intensifs, on leur injecte ce qu’on pense : trous, fantômes, tailles, brouettes, tours, passoires, racines, lavements, chiottes. Ainsi, notre plan d’intoxication des Français fonctionne à fond malgré de petits élans de conscience par-ci par-là.
—Chrétiens de l’enfer ! Que veux-tu pour nous laisser tranquilles
—150 000 000 de francs or !
—Hein ! Où les trouver ?
—Nos banques avec intérêts-coup-de-poignard. D’après mes calculs, un siècle plus tard, t’auras pas fini de payer.
—Chrétiens de l’enfer !
Ainsi de 1825 à 1950 environ, Haïti a versé ce montant à la France pour dédommager les colons qui ont perdu leurs terres et leurs esclaves ! Ainsi, la France va anéantir l’économie haïtienne. 40% de cette somme ont servi à dédommager les colons à Bordeaux. Même l’Etat français a touché de l’argent.

—Qui a payé la rançon ?
—Ce ne sont pas les élites haïtiennes. Ce sont les paysans haïtiens.
L’argent prélevé sur le dos des pauvres paysans haïtiens coulait à flot dans l’opulence française. Il ne leur restait rien ou presque rien pour leurs enfants. La seule solution pour eux, c’est l’exil, c’est de s’en aller loin loin loin. Loin pour chercher la vie. C’est ce que j’ai fait.
Je suis née dans un village d’Haïti.
Où nous comptons les misères.
Nos enfants meurent d’une petite fièvre. Tout est loin, la pénicilline, l’école même.
La mort est à demeure dans mon village.
On tient par la force de l’espoir.
Par la force des mots extravagants.
Par le vaudou, la prière et de l’eau jetée.
Par les croyances et la débrouille.
Même si souvent débrouille bredouille.
Le travail de nos aïeux ont permis de bâtir, de construire, de faire prospérer la France. Il paraît même que c’est l’argent d’Haïti qui a aidé à construire la Tour Eiffel, par la banque CIC elle-même qui prélevait directement notre argent et qui co-finançait la Tour Eiffel. C’est pas du tout paroles en l’air. Voir l’article du New York Times intitulé : La rançon, à la racine des malheurs d’Haïti : des réparations aux esclavagistes.
Nous sommes en 2025, les gangs, les problèmes climatiques, Papa Doc, Bébé Doc, la prédation de l’élite haïtienne, la cupidité de nos politiques, le manque d’infrastructures, les coups d’Etat souvent orchestrés par des pays amis qui agissent comme les « propriétaires de la civilisation », la rançon de l’indépendance continue de nous siphonner nos existences, de nous maintenir dans une vie sauve-qui-peut.
Ce que la France doit à Haïti ?
Moi, je sais déjà que ma mère, mon grand-père, ma grand-mère auraient été scolarisés. La moitié des amis de mon enfance sont morts avant 20 ans. Emportés au pays sans chapeau, disparus au cimetière pour des riens nécessaires. J’ai dû quitter Haïti pour vivre loin. Comme la majorité des Haïtiens. On serait restés chez nous, enrichir le pays. Certes, je n’ignore pas la prédation de l’élite haïtienne, mais ce ne serait pas pire qu’ailleurs. Les paysans auraient économisé leur argent au lieu de le donner à la France. L’Etat aurait créé des écoles, des centres de formation, des universités dans tout le pays. Surtout en lien avec la France comme modèle de développement. On n’aurait pas coupé nos liens familiaux, au lieu de parcourir 8 heures d’avion chaque fois qu’on doit voir un cousin, une cousine. Nos ancêtres arrivaient d’Afrique contraints, forcés, corps enchaînés. Et nous, on est partout dans le monde. Contraints et forcés.
Ce que la France doit à Haïti
—Déjà, du respect pour notre histoire commune, la partager sans détours, l’enseigner dans les écoles. Parce qu’il y a un vide. Il est courant de me retrouver dans un musée quelque part en France, et que les responsables pensent que la France a donné l’indépendance à Haïti, comme elle a donné à la Martinique, la Guadeloupe…
Le temps a passé. La France a fait son deuil de l’indépendance d’Haiti qu’elle a considéré comme un déshonneur, une infamie, une tragédie. Maintenant, je suis sûre qu’elle est en mesure d’apporter les connaissances manquantes. Que je ne passe pas pour « encore une qui veut refaire l’histoire », quand je rappelle la bataille de Vertières.
Haïti a besoin de tout. Comme l’a rappelé Josette Bruffaerts-Thomas de l’association Haïti Futur, il faut rétablir les liens avec Haïti. Inutile de dire qu’on ne sait pas à qui restituer l’argent. En effet, dans ce contexte, je comprends. Mais ça n’arrête rien.
La République dominicaine et Haïti sont une même île coupée en deux. Il existe 140 entreprises françaises en République dominicaine. Seulement 3 en Haïti.
La France a construit deux métros en République dominicaine, une ligne de téléphérique, à des taux très bas depuis l’an 2000.
0 en Haïti.
On imagine aisément pour ce faire, que les entreprises françaises ont eu recours à la main-d’œuvre haïtienne.
La France importe 65 000 000 euros de produits de pêche de la République dominicaine.
0 en Haïti. c’est pourtant la même mer.
La France a planté 95 000 000 d’arbres en République dominicaine.
0 en Haïti.
Il suffirait que la France commande et paie directement à ses propres entreprises des travaux pour Haïti. Ce qui profiterait directement à la population haïtienne et du même coup, ne surchargerait pas les gueules ouvertes sans faim des cupides.
Quelques structures en France financent des actions en Haïti sur le long terme. Comme Cités Unies France qui finance des actions éducatives en Haïti par l’intermédiaire de l’association Haïti Futur qui existe depuis 30 ans sur le terrain.

Au-delà de ça, c’est une amitié France-Haïti à développer. Même si cette relation n’avait jamais vraiment cessé. L’Haïtien aime sa langue française au point de se moquer des fautes d’autrui dans cette langue. Maîtriser la langue française en Haïti, dit beaucoup de soi. Mais pas seulement la langue. Malgré tout ça, la France conserve un statut en haut du peloton.
Ma mère qui a 100 ans m’a dit l’autre jour, on voit tout de suite la différence entre quelqu’un qui vit aux Etats-Unis et quelqu’un qui vit en France. En France, c’est une autre affaire. C’est plus raffiné. On peut se dire que le point de vue de ma mère est limité aux peu de gens qu’elle croise, mais, ça montre tout de même que les Haïtiens n’ont pas développé de haine vis-à-vis de la France. Même si j’aime la France, ma 2ème patrie, il faut reconnaître les choix odieux, inhumains, cruels, vis à-vis d’Haïti. Ce qui, hélas, a entraîné Haïti et toute sa classe paysanne dans les affres d’une vie pauvre.
Quand je croise une inconnue en terre de France —D’Haïti tu es ? Ma pauvre. Tu as encore de la famille là-bas ? Mais pourquoi Haïti est comme ça ? C’est vraiment une terre de malédiction. T’as dû souffrir ? T’es mieux en France ma pauvre. En tout cas, pour une première république noire, ça ne vous porte pas bonheur.
Je rêve d’être vue en France avec toute l’histoire qui nous lie avec la France. La France et Haïti, c’est une histoire insolite. Un petit pays qui avait et un grand pays qui voulait. Maintenant, le petit pays n’a plus et le grand va redonner. C’est une aventure à aborder en dignité et grandeur humaines.
Gerda Cadostin
Ecrivaine franco-haïtienne
(installée en France)