FRANÇOIS HOLLAND : « Je romprai avec la Françafrique »

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Propos recueillis par Jean Paul Tédga

En exclusivité pour Afrique Education, votre bimensuel préféré, le candidat du « rassemblement », François Hollande, a bien voulu nous recevoir, malgré un emploi de temps d’enfer. Nous aurions voulu lui poser plusieurs questions, l’actualité africaine étant très riche en ce moment. Ce sera pour la prochaine fois quand il sera confortablement installé à l’Elysée. Dans cet entretien très convivial mal-gré une atmosphère tendue, il a marqué les lignes en donnant des grandes orientations sur son action future à la tête de l’Etat français. Avec lui, la « Françafrique » c’est ter-miné. Le « paternalisme » et la « condescendance » aussi.

Afrique Education :Vous avez choisi Laurent Fabius pour réfléchir aux 100 premiers jours de votre présence à l’Elysée, si vous étiez élu. Il a énoncé un certain nombre d’actions que vous mettriez en œuvre, mais de toutes celles-ci, rien sur l’Afrique. Est-ce qu’on peut avoir une idée de ce que vous feriez en Afrique pendant les six premiers mois de votre mandat ?

François Hollande : Je romprai avec la « Françafrique » en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. Je relancerai la francophonie. Je prendrai les mesures nécessaires pour accompagner nos compatriotes établis hors de France, notamment, en matière d’enseignement, en fonction de leurs revenus. Je suis très conscient du fait que l’Afrique bouge même si les situations sont différentes d’un pays à l’autre. Le taux de croissance se situe aux alentours de 5 à 6% par an. Un niveau enviable par rapport au nôtre en France. On constate des améliorations dans la gouvernance des Etats même s’il reste beaucoup à faire. Des équipements se développent rapidement, parfois, de façon spectaculaire : dans le secteur des télécommunications, par exemple, avec le boom des télé-phones portables ou des cybercafés. La révolution numérique est, incontestablement, en marche et progresse à pas de géant. Des équipements se développent, aussi, dans le domaine des transports : routes, autoroutes, ports, aéroports, tout pousse, et c’est bien.

L’Afrique est un continent d’avenir. Un avenir proche. Je le dis en pensant à l’excellent livre de Jean-Michel Severino (directeur du développement au ministère de la Coopération de 1994 à 1996, directeur général de l’Agence française de développement de 2001 à 2010, ndlr), intitulé « Le temps de l’Afrique » (Editions Odile Jacob, ndlr). Si je suis élu, il y aura une rénovation en profondeur de la relation entre la France et l’Afrique. Je le dis avec clarté : le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous. Pour moi, les pays africains sont nos partenaires. C’est dans cet esprit que je compte travailler avec les Africains. Pour le Sommet de « Rio + 20 » qui aura lieu du 20 au 22 juin, à Rio de Janeiro, sur le développement durable, j’y ai travaillé en restant très attentif aux problèmes qui vous touchent, tous les jours, comme la déforestation, l’énergie solaire encore très peu répandue alors qu’elle pourrait booster le développement dans les villes et les campagnes.

Si j’étais élu, l’Afrique serait une priorité dans mon action.

J’ai déjà dit au début de cet entretien que je romprai avec la « Françafrique ». Permettez-moi d’insister : il n’y aura plus de réseaux parallèles. Tout cela est terminé. Voilà une vraie rupture que je vais immédiate-ment mettre en œuvre. Notre pays va étroitement travailler avec l’Union africaine et les organisations sous-régionales comme la CEDEAO qui vient de montrer son efficacité sur la question malienne. Que veux-je dire par là ? Qu’il ne revient pas ou plus à la France de dire aux Africains ce qu’ils doivent faire. La France ne fera plus à la place des Africains, mais avec les Africains. Je pense avoir été suffisamment clair là-dessus.

Peut-on s’attendre à la création d’un ministère de l’Afrique ayant pleine compétence, au regard des problèmes graves et divers que rencontre ce continent ?

Je comprends l’idée. En même temps, il faut éviter d’enclaver l’Afrique qui est, comme vous le savez, exposée à tous les défis internationaux y compris les pires comme le terrorisme et la drogue. Il me semble qu’un ministère de l’Afrique ne serait pas forcément une bonne chose.

En revanche, je vais organiser, dès la première année de mon mandat, les Assises de la solidarité internationale afin que notre stratégie de coopération soit discutée avec les acteurs de terrain que sont les universitaires, les syndicalistes, la société civile, etc. Sous le gouvernement de Lionel Jospin (juin 1997 à mai 2002, ndlr), Jean-Louis Bianco (ancien secrétaire général de l’Elysée de juin 1982 à mai 1991, actuel député et président du Conseil Général des Alpes de Haute-Provence. Il est aussi le principal soutien de Ségolène Royal au sein de la direction du Parti Socialiste, ndlr) avait présidé le Haut conseil de la coopération internationale qui réunissait aussi bien les Français que les Africains, et qui émettait des avis utiles en toute liberté. Il a été supprimé en 2002 par Jean-Pierre Raffarin (premier ministre sous Jacques Chirac de mai 2002 à mai 2005, ndlr) qui le jugeait trop indépendant. Un tel organisme aurait toute sa place dans mon dis-positif.

Les Africains ont du mal à différencier votre « politique africaine » de celle de Nicolas Sarkozy. Vous avez soutenu, par exemple, l’intervention française et des forces de l’OTAN en Libye, contre l’avis de l’Union africaine. Le regrettez-vous quand vous voyez aujourd’hui que la Libye est en train de plonger dans une guerre civile, et que cette intervention a entraîné la déstabilisation des pays voisins comme le Mali qui vient de connaître un coup d’état, qui n’aurait pas eu lieu si Kadhafi avait conservé son pouvoir ?

Je suis sûr que les Africains sauront distinguer entre celui qui continue à utiliser les vieilles pratiques de la « Françafrique » et celui qui veut y mettre un terme. Entre celui qui pense que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » (Discours prononcé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar le 26 juillet 2007 par Nicolas Sarkozy, devant les étudiants, les enseignants et les hommes politiques médusés, ndlr), et celui qui connaît et respecte l’histoire de l’Afrique, et qui sait que l’histoire du monde commence en Afrique.

Pour répondre directement à votre question, l’intervention en Libye était légitime et nécessaire dans le cadre fixé par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. C’est pourquoi je l’ai soutenue en son temps. Mais à l’évidence, je conviens, avec vous, que la suite de l’intervention n’a pas été suffisamment préparée. C’est pourquoi la stabilité des pays du Sahel doit être une priorité. Elle le sera si je suis président. J’y veillerai en étroite concertation avec la CEDEAO.

Depuis Jacques Chirac, on a du mal à théoriser la politique africaine de la France. On dirait que Paris agit au coup par coup, sans une ligne directrice bien pensée. Si vous êtes élu président de la République le 6 mai, quelle va être la politique africaine de la France ?

Il ne s’agit pas de théoriser une politique. Il s’agit d’avoir une politique qui soit claire, lisible, publique, constante et respectueuse de l’autre. Voilà ma boussole.

Ces derniers temps, Nicolas Sarkozy, parfois, ouvertement appuyé par Barack Obama, a laissé entendre publiquement que certains chefs d’Etat africains, candidats à leur succession, ne devaient plus se représenter, soit du fait de leur âge (cas d’Abdoulaye Wade au Séné-gal), soit du fait de leur longévité au pouvoir (cas de Paul Biya au Cameroun). Il y a d’autres exemples. Approuvez-vous Sarkozy et Obama ? Quelle va être votre ligne de conduite dans ce domaine ?

Pour moi, il n’appartient pas à des personnalités étrangères quelles qu’elles soient de décider de la durée de mandats des présidents africains. Je trouve cela inacceptable. Par contre, la responsabilité de la France doit être de peser en faveur du respect des règles légales et constitutionnelles, et pour des élections libres et impartiales. C’est fondamental quitte à me répéter : le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous.

Nicolas Sarkozy a toiletté les très controversés accords de défense qui existent entre la France et certains pays africains. Leur contenu actuel vous satisfait-il ? En 1997, le gouvernement socialiste avait initié une reforme de la présence militaire française en Afrique avec la fermeture de la base militaire en Centrafrique. Plus tard, Abdoulaye Wade a demandé et obtenu la fermeture de la base de Dakar. La situation actuelle vous satisfait-elle ou allez-vous poursuivre l’action de Lionel Jospin et d’Alain Richard dans ce domaine ?

Sur ce point, il y aura un change-ment majeur. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur cette question au demeurant très importante pour les Africains et pour nous aussi :

– Tous les accords seront publics. Intégralement. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Avec moi, il n’y aura plus de clause secrète et le Parlement sera appelé, le moment venu à débattre de ces accords.

– Le rôle de nos forces pré-position-nées en Afrique ne doit pas être de se mêler des guerres civiles, mais d’appuyer la constitution qui nous paraît souhaitable, des forces régionales et sous-régionales africaines.

La présidentielle française coïncide avec des rumeurs de dévaluation du franc cfa. Certains spécialistes affirment que celle-ci dépendrait beaucoup de la relation avec le partenaire allemand, autrement dit, avec Angela Merkel. Je sais que vous n’êtes, pas encore, dans le secret des dieux, mais au regard du niveau de l’information qui est le vôtre, de telles craintes sont-elles fondées ?

Le risque que vous évoquez me paraît faible car les deux zones CFA (BCEAO et BEAC, ndlr), cette année, sont à l’équilibre.

Si vous êtes élu le 6 mai, votre gouvernement prendrait en chemin le dossier des « Biens mal acquis » dont sont accusés certains chefs d’Etat africains. Quelle est votre position sur cette question ? Trouvez-vous normal que la justice française mène des enquêtes sur des chefs d’Etat en fonction ?

Si je suis élu le 6 mai prochain, je serai le garant de l’indépendance de la justice. C’est notre Constitution qui l’énonce. Je ne ferai donc pas obstacle aux affaires judiciaires en cours ou à venir.

Mais permettez-moi d’évoquer un autre sujet voisin important bien que vous ne m’ayez pas posé la question, mais j’y tiens : je soutiendrai l’initiative sur la transparence des industries extractives et tous les projets demandant aux grandes entreprises de publier leurs comptes pays par pays.

Avec vous à l’Elysée, peut-on s’attendre à beaucoup plus de visas sans tracasseries pour ceux des Africains qui le méritent ? Peut-on s’attendre à une coopération véritablement gagnant-gagnant avec l’Afrique comme semblent le proposer les pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil ?

Le gouvernement français actuel a nui à l’image de la France par une politique de visas humiliante et par-fois arbitraire. Je mettrai un terme à ces tracasseries pour permettre la mise en place d’une coopération gagnant-gagnant.

Dernière question : si vous êtes élu chef d’Etat le 6 mai, à quand votre premier voyage en Afrique et dans quels pays ?

Attendons d’abord les résultats avant de nous prononcer. Une chose est sûre et certaine : si je suis élu, j’irai en Afrique dans un délai très rapide.

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