Pendant que l’Occident mène une guerre économique pour provoquer une faillite de la Russie, selon les dires du ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, la Chine vient de lui faire un véritable pied de nez en signant un contrat du siècle avec la Russie. Il s’agit de la construction d’un gazoduc qui traversera la Mongolie et la Chine, et qui permettra de transporter jusqu’à 50 milliards de mètres cubes de gaz par an. Soit à peu près la même capacité du gazoduc NordStream 2 qui devait relier la Russie à l’Allemagne et dont l’autorisation a été suspendue suite aux sanctions. Les sanctions contre Poutine font tellement du bruit dans les pays occidentaux au point où personne ne parle plus du coronavirus qui pourtant, était considéré par les pouvoirs publics comme un très grand danger, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Depuis, le coronavirus a disparu de l’univers médiatique et les grands virologues et épidémiologistes occidentaux, qui écumaient les plateaux de télévision pour expliquer la mort, ont, subitement, disparu et laissé la place aux insultes à Poutine. Ainsi va l’information dans les pays de l’OCDE.
La guerre éclair déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine sera peut-être moins fulgurante que prévu ; il en va souvent ainsi des prévisions des militaires. Et si ce pays est une construction plus ou moins artificielle, le nationalisme ukrainien, lui, n’est pas une vue de l’esprit. Le président russe est certes « coupable », puisque agresseur avéré, mais voilà qui ne doit pas faire non plus oublier les responsabilités occidentales : encerclement de la Russie, poussée de l’OTAN jusqu’à ses frontières et perpétuelle démonisation médiatique du maître du Kremlin. Bref, cette guerre aurait pu être évitée. Mais peut-être n’était-ce pas là l’objectif de la Maison-Blanche.
Laquelle, obnubilée par son tropisme antirusse, ne voit pas forcément l’axe qui est en train de se monter contre elle. Comme quoi, il est possible d’être machiavélique et angélique à la fois.
Ainsi, lors du vote du Conseil de sécurité de l’ONU, le 25 février dernier, sur quinze Etats membres, trois se sont abstenus : la Chine, l’Inde et les Emirats arabes unis, la Russie exerçant, elle, son droit de veto. Pour commencer, évacuons le cas des Emirats, leur abstention reflétant, par ailleurs, la politique de leurs voisins, Bahreïn, l’Arabie saoudite et Oman, qui ne communiquent pas sur la crise ukrainienne, même si le Koweït et le Qatar « condamnent les violences » sur la forme, du bout des lèvres, tout en se gardant bien de critiquer Moscou sur le fond de l’affaire. Nulle stratégie géopolitique pour ces pays, mais juste, des considérations d’ordre économique : la Russie est membre éminent de l’OPEP, et sans elle, comment fixer une politique commune sur les cours de l’or noir ? Quant à l’Iran, dont les liens avec cette même Russie sont anciens, l’attentisme bienveillant semble être de mise. Mais, la Chine et l’Inde, c’est une tout autre affaire.
Déjà, la politique erratique des USA aura réussi ce miracle : réconcilier les frères ennemis russes et chinois, alors que jadis, le président, Richard Nixon, et son conseiller, Henry Kissinger, étaient parvenus à ce coup de maître consistant à « enrôler » Pékin dans son combat antisoviétique. L’Inde ? Un pays, allié historique de la Russie, qui craint le puissant voisin chinois, mais, redoute, plus encore, un Pakistan islamiste soutenu par Washington et détenteur de l’arme nucléaire. Là encore, les Américains sont en train de pousser les Indiens dans les bras des Chinois.
Et c’est ainsi qu’est en train de se conforter le Groupe de Shanghaï, créé en 1996, visant à fédérer Chine, Russie, Inde, plusieurs républiques caucasiennes et même… un Pakistan assez retors pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pourquoi ? Pour contrer les visées de la Maison Blanche en Europe, mais aussi, dans l’Océan Pacifique ; même si, en cette partie du monde, l’Inde s’inquiète, également, de l’hégémonie chinoise. Résultat ? L’axe alliant Moscou, Pékin et New Delhi, est malgré tout en train de prendre forme.
Autre sujet d’inquiétude pour les USA, le « ralliement », à cette alliance tripartite, d’une Amérique latine traditionnellement hostile à celle du Nord et qui n’a pas précisément volé au secours de la résolution de l’ONU, tels le Brésil, l’Argentine et la Bolivie, qui ont refusé de la signer.
Si l’axe en question demeure relativement informel, il n’en est pas moins réel, même si s’agissant de nations défendant leurs intérêts propres, parfois contradictoires – interpénétration des économies mondiales oblige. Ce à quoi la Maison Blanche n’est guère habituée, ayant coutume de longue date de seulement traiter avec ces Etats vassaux – ceux d’Europe, principalement – qu’elle aime à nommer « alliés ». La France, par exemple, dont le président donnait pourtant naguère l’OTAN comme étant en « état de mort cérébrale ».
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