IMMIGRATION : Voyage vers l’au-delà (sur terre)

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A l’entrée de l’enfer, Dante avait gravé la formule suivante : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ». De nombreux jeunes quittent chaque jour le continent, parfois, au péril de leur vie, parce qu’ils ont fini par considérer ce continent comme l’enfer sur terre.

J’ai eu l’occasion de rencontrer 5 d’entre eux, ce samedi, 25 janvier 2025. Leur avocat voulait que je fasse un travail de traduction pour eux. Originaires de Guinée, ils avaient traversé la Turquie, le Nicaragua, le Guatemala, le Honduras, le Mexique et Texas. Ils avaient été bastonnés et torturés en prison. Leurs récits me rappelaient ce que j’avais entendu en juillet 1986 quand je visitais le tristement célèbre Camp Boiro de Conakry (notre photo). Bref, Diallo et les autres avaient fui la mort.

Ces jeunes espèrent trouver aux Etats-Unis ce qui manque chez eux : la liberté d’opinion, d’expression et de circulation, du travail pour se prendre en charge et envoyer quelque chose aux parents. S’ils espèrent trouver une vie meilleure dans le pays de Donald Trump, cela signifie que, pour l’homme, renoncer à l’espérance est quelque chose de difficile, que vivre sans espoir équivaudrait à vivre dans « un monde irrespirable » (André Malraux).

Une autre vue du sinistre Camp Boiro.

Mais qu’en est-il des jeunes qui sont restés sur le continent ? Si on veut reprendre la question d’Emmanuel Kant dans « La critique de la raison pure », on peut se demander ce qui leur est permis d’espérer. Ces jeunes diablement diplômés ont toujours espéré que les politiciens qui ne se souviennent d’eux qu’à l’approche des élections construiraient pour eux des hôpitaux où ils peuvent se soigner, des écoles équipées de bibliothèques, de salles de classe, de laboratoires et de wifi, des routes régulièrement entretenues, qu’on leur permettrait de travailler. Ils avaient aussi cru à des élections justes et transparentes, au respect de la constitution qui n’autorise pas plus de deux mandats mais ils n’ont vu aucune de ces choses. Malgré tout, ils gardent espoir. Comme Abraham qui, espérant contre toute espérance, crut (Rm 4,18), ils continuent d’espérer en un avenir meilleur. Mieux encore, ils sont persuadés que l’espérance ne trompe pas (Rm 5,5). Faut-il les blâmer pour cette espérance têtue ? Non, il faut simplement leur dire qu’une hérésie de l’espérance est le quiétisme qui est l’attitude de ceux qui se désintéressent de ce qu’il faut accomplir pour recevoir le salut. On trouve ce quiétisme même chez des chrétiens. Or, l’espérance chrétienne exige que l’homme mène le combat de la charité et de la justice dans la Cité terrestre. En d’autres mots, l’espérance en la cité céleste, loin d’être démobilisatrice, devrait être un stimulant pour l’action humaine dans la Cité terrestre. Je reprends ici une lumineuse idée du théologien français, Bernard Sesboué dans « Christus », numéro 206, avril 2005.

Cap sur les Etats-Unis : Que Dieu les garde.

Si espérer en Dieu signifie refuser de se bouger ou attendre que le créateur fasse les choses à notre place, alors nous risquons de donner raison à Chamfort, qui au XVIIIe siècle présentait l’espérance comme un charlatan qui nous trompe sans cesse ».

Dans « Spes non confundit », la bulle du jubilé de 2025, c’est à juste titre que François affirme que « se mettre en marche est la caractéristique de celui qui va à la recherche du sens de la vie ». C’était déjà la position de l’Allemand, Ernst Bloch : la vraie espérance n’est pas une attente passive mais pousse à agir. Et est venu le temps d’agir ensemble et avec intelligence contre ceux qui, en confisquant nos libertés et les fruits de la croissance, sont en train d’hypothéquer l’avenir de nos pays.

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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