De Idrissa Fofana
François Hollande est déjà en place. Ses équipes sont en train de s’installer. Celles qui vont s’occuper des questions africaines sont déjà connues dans leur majorité. Place maintenant à l’action. Voici ce que risque d’être la relation entre la France et l’Afrique.
En dehors du chef de l’Etat, François Hollande, et de son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui sont les deux têtes de l’exécutif, le partenariat entre la France et l’Afrique, va tenir sur deux pieds : le pied gauche représenté par le Quai d’Orsay que dirige Laurent Fabius et le pied droit par Pierre Moscovici, le ministre de l’Economie, des Finances et du Commerce extérieur.
Chef de la diplomatie française, Laurent Fabius sera, sur les questions africaines, secondé par le ministre délégué chargé du Développement, Pascal Canfin, dont la réflexion menée dans le cadre de ses activités passées, va s’avérer utile dans l’établissement de sa feuille de route.
Sans que l’on parle de « réseaux » au sens françafricain du terme, Hélène Le Gal, qui officie comme conseillère Afrique auprès du Conseiller diplomatique de François Hollande, à l’Elysée, sera la personne par qui vont transiter les doléances des dirigeants africains. Ces différentes requêtes seront traitées en collaboration avec les spécialistes du Quai d’Orsay, notamment, Elisabeth Barnier qui est la directrice Afrique et/ou la conseillère Afrique du ministre, Sophie Moal-Mekamé. Hélène Le Gal sera, spécialement, chargée des dossiers politiques et de défense, son adjoint, Thomas Melonio, devra suivre les dossiers économiques et financiers.
Le secrétaire général de l’Elysée ne fera plus du suivi des dossiers africains sa spécialité (première) car par-mi les plus juteux, comme c’était le cas sous les présidences Chirac et Sarkozy. Ces dernières années, en effet, le secrétaire général de l’Elysée était en même temps le gestionnaire de la diplomatie parallèle, celle des valises de billets et des coups fourrés. Un tel changement consacre-rait la première rupture de la Françafrique parce que cela voudra dire que les questions africaines seront, désormais, traités par l’Elysée et le Quai d’Orsay comme le sont celles d’Asie, du Moyen-Orient et d’ailleurs. La coupure de ce cordon ombilical serait un signal assez fort pour ceux qui doutent de la détermination de François Hollande de « rompre avec la Françafrique ».
Au ministère du Développement, on attend que Pascal Canfin impulse une dynamique et donne un sens à l’action qu’il entend mener. Car l’autre rupture de la Françafrique se manifestera à travers le fonctionne-ment de ce ministère. D’autre part, la Françafrique, ce n’est pas seulement les valises de billets, c’est aussi des codes électoraux mal ficelés, des élections truquées. C’est la persévérance d’une relation inégalitaire et condescendante dans les comportements qu’on affiche à l’endroit des Africains. Pascal Canfin devra y être particulièrement attentif car le ministère de la Coopération, dans un passé pas si lointain, n’était qu’un repère de fonctionnaires aux attitudes paternalistes. Comme il l’a indiqué, le dialogue et la concertation permanente avec les sociétés du Sud, doivent être sa pré-occupation de tous les instants. Les directives qui viennent de Paris sous forme de diktats ou même de suggestions très appuyées, ont du mal à passer de nos jours en Afrique où les peuples disent tout haut vouloir prendre leur destin en main. Autre-ment dit, un ministère du Développe-ment qui accompagne, oui. Un ministère du Développement qui prescrit ou recommande, non. Ce temps est révolu. Et personne n’en veut plus sous les tropiques.
Spécialiste des paradis fiscaux, Pascal Canfin aura du boulot avec ses interlocuteurs africains dont certains cachent leur épargne, généralement détournée, sur des places financières off shore totalement opaques. Dans ce domaine, l’annonce de l’arrivée d’Eva Joly à la tête d’une grande Mission sur « La Finance » en France, en tant que conseillère, comme elle le fut auprès du gouvernement norvégien, il y a quelques années, peut être de nature à donner du contenu à la politique de « changement » que François Hollande a prônée pendant sa campagne.
Les Africains travailleront aussi, régulièrement, avec Pierre Moscovici, le ministre de l’Economie, des Finances et du Commerce extérieur, et ses équipes. La gestion du F CFA, les conseils pour une bonne tenue des économies africaines, la nécessaire assistance des pays africains auprès des bailleurs de fonds multilatéraux comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, etc., voilà autant de dossiers où les pays africains ont encore besoin d’un compagnonnage avec la France. Mais d’un compagnonnage d’égal à égal pour un partenariat gagnant-gagnant. En attendant de créer leur propre monnaie. Les questions d’immigration n’iront pas à un ministère spécifique. Les Africains regrettent que le ministère de l’Intérieur, comme sous la droite, garde la haute main sur les questions d’immigration et d’intégration. Cela dit, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, gardera cette prérogative, mais certainement pas pour faire des étrangers qui ont choisi de vivre en France, des éléments qui servent ses statistiques de reconduite à la frontière, pour justifier une poli-tique. Né en Espagne, Manuel Valls qui n’a eu la nationalité française qu’en 1982, soit un an après l’arrivée du premier président socialiste, François Mitterrand, à la présidence de la République, est l’exemple même d’une intégration réussie. Député-maire de la ville d’Evry, le chef-lieu du département de l’Essonne, Manuel Valls a gagné ses galons auprès de François Hollande pendant la campagne où il était comme son ombre. Directeur de la communication de sa campagne, Valls, pour bien faire son travail et éviter les embouteillages de l’autoroute A6 qui relie Paris, a carrément déménagé de sa belle ville d’Evry, pour être à quelques kilomètres du QG du candidat.
Jean Yves Le Drian ne découvre pas les problèmes de défense. Il en était le spécialiste au sein de l’équipe de campagne du candidat. Autour de lui, se réunissaient, régulièrement, les hauts fonctionnaires de la Défense, les hauts gradés des armées, les industriels de l’armement, les chercheurs en stratégie militaire, pour pré-parer l’arrivée de François Hollande à l’Elysée. Il ne découvre donc pas les problèmes. On peut même dire qu’il va facilement réussir à habiter cette fonction. Pour se donner le maximum de chance, et dans la continuité de la stratégie que le ministre Alain Richard, dans le gouvernement de Lionel Jospin, voulait mettre en œuvre, Jean Yves Le Drian s’est entouré de collaborateurs qui étaient la garde rapprochée d’Alain Richard. C’est le cas de Cedric Lewandowski qui est son directeur de cabinet, secondé par Jean Michel Palagos tandis que Jean-Christophe Le Minh est son chef de cabinet civil. Comme sous Alain Richard, le nouveau ministre poursuivra la rationalisation de la présence militaire française en Afrique, avec la fermeture possible, d’au moins, une base. On parle généralement de la base militaire tchadien-ne, à moins qu’elle soit maintenue, après des arbitrages serrés, dans le but d’aider à endiguer la menace d’Al Qaïda dans le Maghreb islamique, qui sévit dans la zone sahélo-sahélienne, et celle de Boko Haram qui mène une guerre acharnée aux autorités fédérales du Nigeria, et qui a pour ambition de déstabiliser les voisins immédiats du Nigeria, c’est-à-dire, le Cameroun, le Bénin et le Tchad.
Autre ministère qui risque de faire parler de lui dans les mois qui viennent à cause des dossiers brûlants qui y sont traités : le ministère de la Justice avec l’épineux problème des Biens mal acquis. Femme de caractère, Christiane Taubira, qui en est la titulaire, a d’ores et déjà prévenu qu’elle ne se laissera pas faire, et que son passage à la chancellerie contribuera à donner son indépendance à la justice afin qu’elle travaille dans la sérénité. Au cœur du problème des Noirs, elle a le grand mérite d’avoir fait adopter le 10 mai 2001, par le parlement, la loi Taubira, qui reconnait la traite négrière transatlantique et l’esclavage. C’est l’occasion pour la France métropolitaine d’honorer le souvenir des esclaves et de commémorer l’abolition de l’esclavage. Au-delà de l’abolition, la jour-née du 10 mai permet d’engager une réflexion générale sur l’ensemble de la mémoire de l’esclavage, longtemps refoulée, pour la faire entrer dans l’histoire de la France. L’occasion aussi de s’interroger sur la façon dont l’esclavage peut trouver sa juste place dans les programmes de l’école primaire, du collège et du lycée, en France. La volonté également de développer la connaissance scientifique de cette tragédie. Enrichir le savoir, c’est le moyen d’établir la vérité et de sortir de polémiques inutiles.
Au ministère de la Justice où elle a été nommée, Christiane Taubira va entreprendre des réformes de fond qui consacrent l’indépendance de la justice. Cela dit, elle risque d’être particulièrement sévère contre des errements qui disqualifient certains dirigeants noirs d’Afrique. Car son combat ne se limite pas aux seuls Noirs de l’Hexagone et des départements et territoires d’Outre-Mer français. Il concerne aussi les Noirs d’Afrique, le continent de ses ancêtres.