« En m’accueillant ici, vous poursuivez votre détermination à combattre l’obscurantisme et à convoquer la diversité de la connaissance », a affirmé, jeudi, 17 mars, l’écrivain congolais, Alain Mabanckou (notre photo), au Collège de France pour sa leçon inaugurale de la chaire de « création artistique ».
La salle de 430 places était trop petite pour accueillir tous ceux qui voulaient assister à cette séance exceptionnelle. C’est la première fois qu’un romancier occupe cette chaire créée en 2005.
Veste bleue moirée, noeud papillon sur chemise blanche, le romancier âgé de 50 ans a déroulé, pendant un peu plus d’une heure, une leçon inaugurale sur « les lettres noires » faisant alterner humour et sérieux avec toujours comme un fil rouge, un profond humanisme.
Expliquant qu’en 1530, au moment de la fondation du Collège, les Africains « n’existaient pas en tant qu’être humain », il a expliqué qu’alors « en Sénégambie, un cheval valait de six à huit esclaves noirs ». « C’est ce qui explique mon appréhension de pratiquer l’équitation », a-t-il ajouté malicieusement.
« Tout cela est, certes, de l’histoire, tout cela est certes du passé, me diraient certains. Or, ce passé ne passe toujours pas, il habite notre inconscient, il gouverne parfois bien malgré nous nos jugements et vit encore en nous tous car il écrit nos destins dans le présent », a-t-il dit.
La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, la ministre des Outre-Mer, George Pau-Langevin, ont assisté à la cérémonie aux côtés de nombreuses personnalités du monde des lettres dont l’académicien d’origine haïtienne, Dany Laferrière, ami de longue date du romancier.
« Ce qui est historique, c’est la rencontre d’un savoir faire africain avec une réflexion, une intelligence française », a expliqué l’académicien. « Cette rencontre était attendue. Elle a eu lieu aujourd’hui et nous en sommes absolument ravis ».
L’ambassadeur du Congo à Paris, Henri Lopes, était, également, présent, mais, après sa leçon, Alain Mabanckou a tenu à préciser qu’il avait invité M. Lopes « en tant qu’écrivain ». « Quand j’invite Henri Lopes, mon grand frère, je n’invite pas l’ambassadeur », a insisté le romancier. « Je ne peux pas considérer que Henri Lopes est venu représenter le Congo. J’ai constaté la débâcle des instances congolaises qui estiment que les élections qui se passent là-bas sont plus importantes que l’entrée de la littérature africaine au Collège de France ».
« Je suis plus que jamais fâché avec le ministre de la Culture congolais qui, je le répète, est le ministre de l’Inculture », a-t-il lancé.
Pour sa première leçon (les autres cours commenceront chaque mardi à partir du 29 mars), le romancier est revenu sur l’histoire de la littérature coloniale française. « La littérature d’Afrique noire et la littérature coloniale française sont à la fois inséparables et antagoniques », a-t-il estimé convoquant, notamment, l’Ecossais, Mungo Park, René Caillé, Jules Verne, mais aussi, Joseph Conrad ou, Louis-Ferdinand Céline, qui donne sa vision du Cameroun, dans « Voyage au bout de la nuit ». L’écrivain a, aussi, salué la lucidité, avant tous les autres, d’André Gide et d’Albert Londres.
L’auteur de « Petit piment » n’a pas manqué de citer René Marran, écrivain d’origine guyanaise qui, en 1921, fut le premier écrivain Noir à recevoir le Goncourt.
Il a, ensuite, dressé un tableau de la littérature africaine depuis les indépendances jusqu’à, aujourd’hui, en saluant, particulièrement, les femmes africaines écrivains comme Mariama Bâ et Aminata Sow Fall.
« J’appartiens à une génération qui s’interroge, celle qui, héritière bien malgré elle de la fracture coloniale, porte les stigmates d’une opposition frontale de cultures dont les bris de glace émaillent les espaces entre les mots, parce que ce passé continue de bouillonner, ravivé, inopportunément, par quelques politiques qui affirment, un jour, que +l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire+ et, un autre jour, que la France est +un pays judéo-chrétien et de race blanche+ », a-t-il souligné.
« Nous autres Africains n’avions pas rêvé d’être colonisés, nous n’avions jamais rêvé d’être des étrangers dans un pays et dans une culture que nous connaissons sur le bout des doigts ».
« Notre salut réside dans l’écriture, loin, d’une factice fraternité définie par la couleur de peau ou la température de nos pays d’origine », a-t-il conclu.