Ce roman, écrit avant les indépendances nominales de 1960, raconte l’enfance et l’adolescence de Camara Laye, sa vie avec ses parents, frères et sœurs, oncles et tantes. Le récit met, aussi, en relief, les rapports qui existent entre Laye et les apprentis de son père. Un des grands classiques de la littérature négro-africaine, Camara Laye mourut, le 4 février 1980, à Dakar, alors qu’il n’était âgé que de 52 ans. En ce 40e anniversaire de sa disparition, souvenons-nous de Laye, L’auteur de “L’Enfant noir” !
Forgeron, le père de Laye a un totem : un petit serpent noir qui, de temps à autre, lui rend visite dans l’atelier. Celui de sa mère est un crocodile. Ces deux animaux sont perçus comme des génies capables de protéger et d’avertir la famille, à l’avance, de ce qui va arriver. L’auteur nous montre, ainsi que, musulmans ou chrétiens, les Africains n’ont pas abandonné les croyances de leurs ancêtres.
Quelquefois, le jeune Laye se rend chez sa grand-mère à Tindican, un village où il découvre les travaux champêtres et la récolte du riz, qui mobilise toute la communauté chantant et travaillant au rythme du tam-tam.
A Kouroussa, c’est, d’abord, l’école coranique qui l’accueille. Il fréquentera, ensuite, l’école française où il se liera d’amitié avec Fanta, Kouyaté, Marie et Check. La mort de ce dernier sera sa première grande souffrance, une blessure dont il ne se remettra jamais.
Laye quittera, plus tard, Kouroussa pour Conakry où il habitera avec le frère de son père et ses deux femmes. Laye réalise, assez vite, que tout n’est pas rose dans la capitale guinéenne confrontée, comme d’autres grandes villes affricaines, au banditisme, à la dépravation d’une jeunesse mal formée, désœuvrée et livrée à elle-même.
Dans le train qui le conduit à Conakry, Laye est, littéralement, fasciné par le paysage. La description du voyage est fort saisissante comme en témoigne cet extrait :“Le lendemain, je repris le train, et un revirement se fit en moi : était-ce l’accoutumance déjà ? Je ne sais mais mon opinion sur la montagne se modifia brusquement et à telle enseigne que, de Mamou à Kindia, je ne quittai pas la fenêtre une seconde. Je regardais, et cette fois, avec ravissement, se succéder cimes et précipices, torrents et chutes d’eau, pentes boisées et vallées profondes. L’eau jaillissait partout, donnait vie à tout. Le spectacle était admirable, un peu terrifiant aussi quand le train s’approchait par trop des précipices. Et, parce que l’air était d’une extraordinaire pureté, tout se voyait dans le moindre détail. C’était une terre heureuse ou qui paraissait heureuse. D’innombrables troupeaux paissaient, et les bergers nous saluaient au passage.”
Le Certificat d’aptitudes professionnelles (CAP) en poche, Laye doit poursuivre ses études à Argenteuil, une banlieue parisienne. C’est un moment difficile pour Laye, pour Marie qu’il avait commencé à aimer et pour sa mère. La séparation est d’autant plus déchirante qu’une question obsède son esprit : partir et ne plus revenir ou bien partir et revenir. L’école occidentale l’initie au mode de vie des Occidentaux comme les rugissements de “lions” pendant les cérémonies de circoncision le préparaient hier à entrer dans le monde des adultes, à affronter le danger, à surmonter la peur et, surtout, à garder le secret qu’on vous a confié.
On l’a déjà dit : Laye, parle dans ce roman, de son enfance et de son adolescence à Kouroussa, à Tindican, à Conakry, mais aussi, de sa vie d’étudiant en France. C’est un récit largement autobiographique. L’auteur y aborde, rarement, la question du colonialisme qui, selon le président, Emmanuel Macron, en visite, à Abidjan, le 21 décembre 2019, fut “une erreur profonde, une faute de la République”. Laye reste silencieux sur cette colonisation dont certains esprits retors veulent nous faire croire qu’elle eut des effets positifs sous le fallacieux prétexte qu’elle a construit des routes, des écoles et des hôpitaux. Et pourtant, les Africains subissaient les travaux forces à cette époque (les années 1940 et 1950). Et pourtant, le cacao, le café, le coton qu’ils produisaient étaient achetés à des prix injustes par le colonisateur. Certains auteurs africains ne comprennent pas que Laye se contente de célébrer la beauté et le courage de la femme guinéenne, de décrire des fêtes et des coutumes. Ils ne tolèrent pas que le romancier guinéen ne soit pas dans la protestation ou la dénonciation comme l’Ivoirien, Bernard Dadié, le Camerounais, Ferdinand Oyono, ou le Sénégalais, Sembène Ousmane. Mongo Beti, qui a, magistralement, exposé les exactions de la colonisation dans “Ville cruelle” et “Le Pauvre Christ de Bomba”, est celui qui attaque, le plus, le roman de Camara Laye. Il n’hésite point à le qualifier de “littérature rose donnant une image stéréotypée de l’Afrique et de l’Africain”. L’adjectif “rose” employé ici s’oppose à “la dimension noire” que l’écrivain et universitaire kenyan, Ngugi Wa Thiongo, définit comme “une peinture des réalités africaines sans complaisance”. Pour Mongo Beti, Camara Laye écrit comme s’il n’avait jamais été victime ou témoin d’une brimade ou d’une injustice commise par le colon. Il le considère, par conséquent, comme un écrivain réactionnaire, qui donne l’impression que l’Afrique de ce temps-là, est sans problèmes.
“N’oublie jamais d’où tu viens, n’oublie jamais les tiens !” Telles furent les dernières paroles que Laye entendit de la bouche de son père. Il dut s’exiler à Dakar pour échapper à la mort sous Sékou Touré. La Guinée demeurait, néanmoins, dans son cœur. Il pensait, toujours, à Kouroussa et à Tindican. Le 4 février 1980, il décède dans la capitale sénégalaise. Il n’avait que 52 ans.
Tous les Africains qui ont fréquenté le collège n’ont pas oublié ce roman culte et grand classique de la littérature africaine. Ils se souviennent, particulièrement, de l’hommage rendu par Camara Laye à la femme africaine parce qu’ils se sont reconnus dans ce beau poème dédié à Dâman, “la femme des champs et des rivières, la femme qui essuyait mes larmes, me réjouissait le cœur et patiemment supportait mes caprices”.
En ce 40e anniversaire de sa disparition, souvenons-nous de Laye, L’auteur de “L’Enfant noir”!
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)