A la mi-novembre, la presse marocaine rapportait que le Conseil supérieur de l’éducation, une institution officielle, avait émis un avis -consultatif- pour mettre fin à la gratuité de l’école publique.
Levée de boucliers immédiate chez les syndicats, les associations de parents d’élève et étudiantes… « Touche pas à mon école! », fustigent des associations, qui crient à la « destruction de l’enseignement public ».
Pour calmer la polémique, le Conseil de l’éducation publie un communiqué assurant que « l’enseignement dans le préscolaire, le primaire et le secondaire collégial restera bien gratuit ». Mais, à partir du lycée et jusqu’à l’université, il suggère que « les familles aisées s’acquittent des frais d’inscription », « une forme de solidarité nationale » qui « ne correspond pas au coût réel des études ».
A la télévision publique, le président de cette instance, Omar Azzimane, réitère cette position tout en prenant soin d’expliquer que le Conseil proposait, seulement, de diversifier les sources de financement en instaurant des frais d’inscription. Une décision, qui ne pourra être prise que par l’exécutif, a souligné Omar Azzimane.
La mesure a la faveur du parti islamiste PJD, à la tête du gouvernement sortant et vainqueur des législatives d’octobre. Lahcen Daoudi, ministre sortant de l’Enseignement supérieur, se dit, ainsi, « partisan de la solidarité entre les riches et les pauvres ».
« La gratuité n’est pas en jeu, ce sont des frais d’inscription pour faire en sorte que les riches arrêtent de profiter du système », explique Lahcen Daoudi. Il précise, toutefois, que cette mesure « n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour ».
Les craintes restent, néanmoins, vivaces du côté des défenseurs de l’école publique. Larbi Habchi, syndicaliste et ancien conseiller parlementaire, voit dans l’instauration de frais d’inscription « une manière détournée de privatiser l’éducation ».
Selon lui, « la gratuité de l’éducation est un acquis qu’il ne faut pas toucher, d’autant plus que la classe aisée et une partie de la classe moyenne ont, depuis longtemps, déserté l’école publique pour aller dans le privé », souligne-t-il.
« Comment convaincre les citoyens de s’acquitter de frais d’inscription alors que l’école publique produit des chômeurs ? Avant de songer à instaurer des frais d’inscription, il faut, d’abord, mettre en place, un système éducatif de qualité, en cohérence avec le marché du travail », poursuit ce syndicaliste.
Pour Nabila Mounib, secrétaire générale du PSU (Parti socialiste unifié, gauche), « l’Etat encourage le privé aux dépends du public », soit, un « système à deux vitesses », qui accompagne un « manque de vision et de stratégie ».
Car l’éducation marocaine est au bord de l’implosion : classes surchargées, fermetures en cascade d’écoles, manque criant de professeurs, abandon scolaire, interminable querelle sur l’arabisation… Le taux d’analphabétisme dans le royaume flirte avec les 30%, et une Marocaine sur deux de plus de 15 ans ne sait ni lire ni écrire. Le roi, lui-même, a, vivement, critiqué la politique éducative « en butte à de multiples difficultés et problèmes ».
« Le secteur de l’éducation souffre de plusieurs problèmes comme la formation des enseignants, leur nombre et la densification dans les classes », concède Lahcen Daoudi.
L’Etat met pourtant les moyens, avec 25% de son budget -son premier poste de dépense- consacré à l’enseignement. Et il a lancé une « vision stratégique de la réforme de l’éducation » visant « l’édification d’une école de l’équité et de la qualité » d’ici 2030.
Mais, les résultats ne sont pas à la hauteur des investissements : le Maroc fait partie des 25 pays les moins avancés en termes de scolarisation, selon l’Unesco.
Les enfants des familles aisées vont dans le privé ou dans les écoles du système français, alors que des dizaines d’écoles publiques sont fermées, chaque année, parfois, pour laisser place à des projets immobiliers.
L’enseignement privé au Maroc se développe « très rapidement », s’est inquiété le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, une privatisation qui risque « d’exacerber les inégalités, déjà, existantes ».
Avec AFP