Après une première partie de cette interview parue dans le précédent numéro et que les Mauritaniens de la Mauritanie n’ont lu que sur internet sur le site du magazine (www.afriqueeducation.com) à cause de l’interdiction de vendre le bimensuel décidée par le régime du petit colonel, sur toute l’étendue du territoire mauritanien, le porte-parole des FLAM, Kaaw Touré, revient dans cette deuxième partie sur les actions qui peuvent être menées pour une réelle insertion-réintégration des populations négro-mauritaniennes dans leur pays. Comme la grande majorité de ses compatriotes, Kaaw Touré a été chassé de son pays. Réfugié politique en Suède, il est comme au moins 100.000 autres négro-mauritaniens qui vivent éparpillés au Sénégal, au Mali, en Europe, en Amérique, bref, loin de la terre de leurs aïeux, à cause de la politique de déportation forcée du président Taya. On s’étonne que cette fâcheuse situation n’émeuve personne au sein de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations-Unies qui à travers le HCR préfère de temps en temps jouer au sapeur pompier au lieu d’aider à trouver une solution sur le fond.
Afrique Education : Pouvez-vous nous présenter les FLAM ? Combattent-elles réellement et efficacement le régime esclavagiste et raciste de Taya ? Si oui comment ?
Kaaw Touré : Notre mouvement est né le 14 mars 1983 suite à la fusion de plusieurs sensibilités politiques négro-africaines, clandestines à l´époque. Il est né dans un contexte trouble caractérisé par les expropriations de terres de la Vallée, la radicalisation du système d´oppresion nationale,la multiplication des exactions sur la communauté négro-africaine et son élimination systématique dans la gestion des affaires publiques.Il fallait donc unir toutes les forces vives et engagées de la communauté nationale contre le système d´apartheid qui ne
disait pas son nom.
Ces forces étaient : L´Union démocratique mauritanienne (UDM), l´Organisation pour la défense des intérêts des négro-africains de Mauritanie (ODINAM),le Mouvement populaire africain de Mauritanie (MPAM) et le Mouvement des élèves et étudiants noirs (MEEN).
Les FLAM sont une organisation à caractère multinational, non ethnique et non raciale, qui lutte pour l´avénement d´une société égalitaire et démocratique où le fait d´être arabe, noir, haratine, znega ne serait ipso-facto une condition rhédibitoire. Elles sont une organisation politique pacifique qui privilégie le dialogue et la concertation, mais se réserve le droit de recourir à la lutte armée si elle y est contrainte.Toutefois, comme nous le disons toujours, la violence physique n´est ni le but ni le credo de l´Organisation. Mais nous sommes d´avis avec Nelson Mandela qui disait que « c´est toujours l´oppresseur qui détermine les moyens de lutte et qu´il n’y a aucune bonté morale d´utiliser une arme
inefficace ». Les FLAM sont une organisation à l´ambition nationale.
Elles prennent en charge l´ensemble des questions qui se posent au pays, en particulier, celles vitales de la discrimination raciale érigée en système de gouvernement, en ce qu´elle menace même l´unité et l´existence du pays. Pour ce qui est de la 2 ème partie de votre question à savoir si nous combattons efficacement ce régime,je crois que oui. Pour le moment, nous privilégions l´action politique. Celle-ci reste orientée essentiellement vers deux pôles : la sensibilisation de l´opinion internationale par l´information sur les faits et gestes du régime et la dénonciation
permanente de sa politique raciste et esclavagiste. Le deuxième point est la poursuite de la sensibilisation et de la mobilisation de l´opinion interne, en direction des négro-mauritaniens pour renforcer la prise de conscience de leurs conditions d´oppression d´une part, et des compatriotes arabo-berbères honnêtes, soucieux du devenir de la Mauritanie, d´autre part. Les FLAM sont le premier Mouvement politique mauritanien à faire face à ce régime et nous l´avons payé chèrement. Des centaines de nos compagnons de lutte sont tombés sur le champ
d´honneur et d´autres sont infirmes pour le restant de leur vie ou condamnés à l´exil. Malgré la répression et les hostilités de tous bords, nous continuons le combat et sommes sûrs que seule la vérité est révolutionnaire.
Aujourd´hui, presque toute la classe politique mauritanienne emprunte notre discours. Le discours développé sur la discrimination raciale,la déchirure sociale, les déportés, l´esclavage, la démocratie bouchée, les voies de solutions, tout demeure plus qu´actuel en Mauritanie. Ce n´est pas pour rien que Taya nous considère comme l´ennemi public numéro 1 à abattre mais nous ne devons jamais faiblir, car il est des instants qui font l´histoire. Et nos camarades tombés ont fait à jamais l´histoire de la Mauritanie. Une autre Mauritanie est incontournable, il est un honneur d´être dans le même camp qu´eux, le reste n´est que médiocrité.
Afrique Education: Le colonel Taya vient de se faire réélire à la présidentielle de novembre dernier. Quel commentaire faites-vous à l’issue de ce scrutin ? Qu’allez-vous faire maintenant ?
Kaaw Touré: Il s’est déroulé de la manière que nous avions prévue, avec au finish, la victoire peu convaincante du petit raciste, pour parler comme le professeur Tédga. D’autres Mauritaniens qui s´étaient laissés prendre à l’euphorie et à l’optimisme d’une élection transparente ont été déçus et
frustrés. Pas nous.
Ce que nous comptons faire, c’est d’abord faire prendre conscience aux gens que l’alternance par les urnes demeurera un rêve sous Ould Taya. Les amener à tirer la conclusion des faits. Les inviter à s’organiser en conséquence. Nous ferons tout pour réussir le projet de l’unité de l’opposition démocratique. En tout état de cause nous sommes, en ce qui nous concerne, déterminés à monter d’un cran le niveau de la lutte.
Le colonel Taya se défend d’être raciste et encore moins esclavagiste et donne comme preuve le fait d’avoir désigné un premier ministre descendant des esclaves. N’a-t-il pas raison quelque part ?
Quand nous traitons habituellement Ould Taya de raciste et d’esclavagiste, c’est à juste raison. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’une réalité crue.
En effet, comment Ould Taya peut-il se défendre d’être un raciste, quand en 1989, il fait déporter 120.000 négro-africains, exclusivement négro-africains déportés, soulignons au passage, qui continuent de vivre le calvaire des camps de réfugiés au Sénégal et au Mali. Déportés dont il a fait repeupler les villages par les haratines, et redistribuer les terres aux hommes d’affaires maures-blancs.
Comment peut-il se défendre de l’accusation de racisme, quand il fait épurer l’Armée de ses négro-africains en 1889-1990 ? qu’il donne, à partir de cette date, la consigne de n’en plus recruter dans la Grande Muette ?
Comment comprendre que pour célébrer l´indépendance de » sa Mauritanie », il fasse pendre 28 soldats négros-mauritaniens, innocents ?
On ne peut être coupable de ces faits et se défendre d’être raciste. Ould Taya l’est viscéralement.
Il dit ne pas faire de différence entre les composantes de son peuple, il ment effrontement ! Taya ne s’est jamais adressé, dans ses discours à la composante noire du pays. Il suffit de compulser ses interventions pour s’en convaincre. Et récemment, en visite à Paris, au mois de septembre dernier, il fait convoquer – exclusivement – de jeunes Maures blancs, pour leur recommander de bien étudier, de posséder la Science. N’est-ce pas là, un acte raciste prémédité ?
Pour la seconde accusation dont il se défend, à savoir, être esclavagiste, elle est aussi vraie que la première. Cette nomination de ce piètre Haratin, est destinée à jeter de la poudre aux yeux de l’opinion inernationale. C’est de la démagogie. Et puis, après tout que représente la promotion d’un Hartani, comparée à la situatuion des dizaines de milliers d’autres, encore dans les chaînes ? Une goutte d’eau dans la mer.
Il n’y a pas longtemps, il a fait emprisonner un leader haratine de SOS Esclaves , pour simplement avoir dénoncé dans les médias l’esclavage des siens et récemment. Il a dissout le parti des Haratines. Un anti-esclavagiste se comporte-t-il de cette manière ?
Oui ! Ould Taya est le plus grand raciste que le pays ait connu, un esclavagiste caché, mais qui se sert de certains Haratines pour combattre et
éliminer les négro-africains.
Afrique Education: Que faut-il pour que la Mauritanie devienne un Etat de droit ? Que proposez-vous pour cela et comment y parvenir ?
Kaaw Touré: Vous voyez vous-même tout au long de cette interview que la plaie est douloureuse et la déchirure profonde en Mauritanie. Se réconcilier ? Pardonner ? Bien sûr ! Mais la réconciliation et le pardon ne se décrètent pas. Ces notions requièrent un climat, une attitude et des conditions. Un climat de décrispation grâce à un train de mesures positives à l´endroit de tous ceux-là qui, blessés dans leur chair, ont subi arbitrairement des préjudices matériels et moraux.
Une attitude manifeste de main tendue, de réel répentir de la part de tous ceux qui sont coupables à des degrés divers. Des sanctions pour les crimes commis,telles sont les conditions de restauration de la confiance nécessaire, pour ouvrir le débat. Car il faut se parler.
Il faut se parler en raison des vertus même du dialogue.
Il faut se parler car l´heure est grave et la Mauritanie est aujourd´hui une poudrière. Mais, il faut se parler sincèrement, honnêtement, sans hypocrisie ni calcul politicien, en abordant les vrais problèmes de fond, au lieu de tourner autour des questions périphériques.
Se parler et s’entendre sur la volonté de vivre ensemble ou non. Et si c’était oui, définir, dans une Charte CONSTITUTIONNELLE, les bases de cette coexistence, pour que plus jamais il n’y ait ces dérives, et sur ces bases là, adosser la démocratie.
Notre proposition de solution est connue ; c’est l’autonomie. Sans l’imposer à qui que ce soit, nous continuons de penser qu’elle demeure la bonne réponse pour en finir, définitivement, avec ces crises cycliques récurrentes. Mais le plus important reste le débat, le débat national sur l’avenir du pays. Le salut de la Mauritanie est à ce prix lá.
Afrique Education: Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Kaaw Touré: Je profite de l´occasion pour vous présenter au nom de mon organisation, nos militants et nos sympathisants, toute notre sympathie et notre soutien à l´occasion de l´interdiction de votre journal en Mauritanie. Cette interdiction est une preuve que ce régime ne tolère que des journalistes alimentaires ou des opposants soumis à son ordre. Fort heureusement qu´il existe encore sur cette terre d´Afrique, des hommes et des femmes dignes qui refusent toute forme d´injustice et d´oppression dans notre cher continent. Je vous encourage dans
votre combat pour une Afrique unie, démocratique et libre car comme le disait l´autre, seule la vérité est révolutionnaire. Je vous remercie et la lutte continue.
Propos recueillis par
Idrissa Fofana