MAURITANIE : Lettre de Biram Dah Abeid de la prison civile de Nouakchott. De la cécité du maître à la prescience de l’esclave. Un récit d’une manipulation de dilettante

Date

Entre les militaires de mon pays et moi subsiste un mécompte séculaire, que nous peinons, ensemble, à apurer ; de notre laborieuse insolvabilité à deux, découlent des épanchements de bile et des déglutitions de rancœurs, d’une régularité plus ou moins mesurable. Leur vaine rébellion contre le temps me conforte et procure de la pitié : gardiens d’une citadelle promise à la ruine, ils s’obstinent, cependant, à la croire inexpugnable. Or, parmi eux, à découvert, sans jamais agir à leur insu, je m’assume fossoyeur de cette bâtisse hideuse que maintient debout et désaltère le sang de mes ancêtres. Chaque jour, j’arrache une brique de l’édifice et défais ainsi un pan de mur ; mieux, désormais, je ne suis solitaire à l’ouvrage (notre photo montre Biram Dah Abeid, en 2017, à Bordeaux, en France, lors de la remise du Prix Mémoires partagées).

Au début

L’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA –Mauritanie), organisation de défense des droits humains et de lutte contre la persistance de l’esclavage et du racisme, est interdite depuis sa naissance en 2008. Son président-que je suis-et plusieurs autres cadres dirigeants, dont Coumba Dada Kane, Balla Touré, Ousmane Lo, entre autres, ont été démis de leurs fonctions en lien avec l’Etat et persécutés dans les activités privées qui leur assurent le pain. Dès sa naissance en 2013, la branche politique du mouvement d’émancipation des Noirs et de jonction avec les justes parmi les concitoyens arabo-berbères est frappée d’illégalité, par simple communiqué du ministère de l’Intérieur.

En 2014, je me porte candidat à la magistrature suprême, avec le handicap de l’impréparation et quelque défaut de moyens. Malgré la fraude en amont, le bourrage des urnes sans vergogne et le tripatouillage massif des résultats, je m’impose second, face au candidat des tribus, de l’oligarchie militaire, de l’obscurantisme religieux, des milieux affairistes, de l’ethnicité et de l’histoire en déclin, Mohamed Ould Abdel Aziz.

Sa campagne, dotée de plus de 5 milliards d’ouguiya, lui assurait l’instrument de la victoire, en sus des militaires, du personnel et de la machine administrative de l’Etat. Dépourvu des avantages comparatifs, je bénéficiais, cependant, de l’espoir et de l’enthousiasme parmi la jeunesse d’ascendance subsaharienne, que le trop plein de misère et de frustration déterminait au changement. Une fraction éclairée au sein de l’élite maure m’apportait un appui davantage qualitatif et bien moins de suffrages. A mes réunions, se pressaient,  se bousculaient, surtout, beaucoup  de hratin, poullarophones, soninké, wolofs et bambaras.

A ce moment, Mohamed Abdel Aziz, mon concurrent pourtant largement favori, panique et incline aux procédés comminatoires, en violation des règles de la bienséance et des usages de la chevalerie ;  il me fait parvenir un message de menace, par l’intermédiaire d’une tierce personne dont je ne dévoile l’identité pour l’instant : « tu vas rectifier tout de suite ton discours séditieux dont tu as usé pendant la campagne, sinon nous allons prendre nos dispositions et sévir à l’avenir. » L’ultimatum ne comportait de terme précis dans le temps.

Sans hésiter, je réponds, avec la fougue et la véhémence que suscite le sentiment de l’honneur bafoué, « je persiste et signe dans mes propos ! Qui es-tu pour dicter la ligne de mon discours ?»

A son investiture, après une victoire dont je contestais le score, l’inélégance et les expédients douteux, Mohamed Ould Abdel Aziz laissait entendre la résolution à éradiquer l’IRA – Mauritanie. Cinq jours avant mon arrestation à Rosso, en novembre 2014, une personnalité proche du susdit me remet en garde : « tu es visé, tu risques un long séjour en prison » ; selon mon interlocuteur, « si tu restes libre jusqu’en 2019, tu risques de multiplier ton aura et ta capacité de mobilisation ; fais attention ». La suite n’infirmait ses avertissements.

Tomber, se relever

Hélas pas seul,  je dus subir 18 mois de prison, sans motif plaidable dans une démocratie et recouvrais la liberté pour des raisons tout autant inexpliquées.

Libéré en 2016, je récoltais un bain de foule, d’une taille inaccoutumée ; la presse acquise à l’ordre établi s’inquiéta du nombre, de la compacité et de la joie en partage. Aussi, sans tarder, juste un mois après pareille apothéose, une série d’arrestations de ses cadres, décapitait l’association non-reconnue ;  s’ensuivaient la torture durant la détention préventive et de lourdes peines de réclusion, avant leur allègement grâce aux pressions diplomatiques et à l’intérieur du pays.  Néanmoins, la main lourde des services de sécurité favorise, parfois orchestre, des départs tonitruants de transfuges et des défections malveillantes, toutes fragilités mises en scène pour occasionner, dans nos rangs, le maximum d’acrimonie, de doute, bref, nous démobiliser.

En janvier 2017, je me résolus à rompre un long séjour à l’étranger et regagnais le sol de la Mauritanie sous haute surveillance ; les rassemblements du mouvement essuient de violentes attaques par les forces de sécurité, la tension avec le pouvoir évolue en dents de scie. IRA se bat et s’illustre avec les forces de la coalition G8, contre le référendum, puis, seule face à la cherté de la vie.

L’aile politique d’IRA – en l’occurrence le RAG – cherche le partenariat avec un parti autorisé, pour pouvoir participer aux élections municipales, législatives et régionales ; certains, approchés, par nos soins prudents, ont tergiversé, louvoyé, pesé de la poussière de détail, avant de se résoudre, quasiment, à un identique agenouillement : ils disaient redouter la réaction de Mohamed Ould Abdel Aziz, le principal détracteur de la dynamique de libération des Noirs en Mauritanie et de leur jonction avec les justes parmi les Maures.  

Alors que l’espoir d’une collaboration fructueuse s’éloignait, le parti Sawab franchit le rubicon et rejoint l’alliance de la coalition qui soutient ma candidature au scrutin présidentiel de 2019. Dès l’annonce de la date de signature de cet accord au 31 mai 2018, le ministre de l’Intérieur interdit l’événement ; par la suite, après conciliabules avec la direction de Sawab, les autorités lèvent la mesure mais agitent des menaces, notamment, sur les lèvres du porte-parole du gouvernement, d’ailleurs expert en propos de faible discernement et d’une teneur toujours à l’avenant.

Le piège

Le 31 mai 2018, à la maison des jeunes de Nouakchott, l’enceinte débordait d’un public de circonstance où se retrouvaient quelques observateurs, curieux d’assister à une telle alliance, entre descendants d’esclaves, noirs victimes de l’exclusion et de l’impunité et  des nationalistes arabes d’inspiration baassiste.

A la fin de la cérémonie, les journalistes se ruent vers moi ; je ne les reconnais tous. L’un d’eux, en particulier, me marque, de près ; avec l’insistance habituelle des gens du métier et leur désir légitime de s’exonérer des mauvaises pratiques qui en ébrèchent la réputation, il se prétend « indépendant » et précise travailler pour plusieurs chaînes de télévisions arabes ; elles lui auraient commandé une émission avec moi, au sujet de l’accord politique que nous venions de conclure.

Evidemment, je fais signe au Comité de la paix (Sécurité d’IRA) de lui ouvrir le chemin, lui fixe un rendez-vous ; depuis, les témoins nombreux en attestent, il n’a presque plus quitté mon domicile ; son attitude ayant dérogé à la moins rigoureuse des déontologies, je me vis dans l’obligation de lui rappeler qu’il n’a pas le droit d’enregistrer les conversations et les échanges, en dehors de l’interview convenue. Il obtempère et explique avoir seulement besoin des images de la famille, des amis et promet de ne pas user des voix de fond, ni du son des conversations courantes.  Plusieurs proches et amis de IRA assistaient à l’expression de ses assurances. Après deux semaines du séjour de l’individu chez moi, je quitte Nouakchott en direction des Etats-Unis d’Amérique.

Le déclenchement

Alors, en mon absence, Deddah Abdallah poste, sur Youtube, un montage vidéo exactement à charge, de la même veine que ceux produits, envers IRA, par les services des renseignements mauritaniens ; les ficelles de la fabrication, les séquences de montage, les arguments de diabolisation, les omissions, les recollages tendancieux recyclent les classiques de la communication anti-insurrectionnelle, en particulier, les contre-mesures psychologiques, aux fins d’accentuer la rupture, dans l’opinion, entre la cible et ses partisans. Bref, il fallait me présenter sous un jour de répulsion, afin d’accorder, au discrédit recherché, les garanties de vraisemblance et de durée. Mohamed Ould Abdel Aziz, en principe constitutionnel, ne pourrait briguer un 3ème mandat en 2019. Ses zélateurs et lui cherchaient à me briser, d’abord. Ce que la télévision publique n’avait pu réussir à l’occasion de ses vidéos de propagande lors de mon arrestation à Rosso, Deddah Abdallah, dûment commis à cet office, s’en acquitta avec plus de fortune.

La voix du journaleux m’accablait de maintes épithètes, point d’une exquise flatterie. J’y apparaissais, sous les traits détestables de l’intrigant prétentieux, orgueilleux, corrompu, vendeur de sa cause aux ennemis de la Mauritanie et de l’Islam, haineux, revanchard, singulièrement, jouisseur de luxe et de facilité. Bref, j’alliais ainsi les qualités irréconciliables, du révolutionnaire illuminé et du satrape cynique. Bien entendu, le reportage accorde la parole à mes contempteurs habituels, parmi les compagnons de lutte en rupture de ban mais, aussi, les politiciens de l’extrême droite arabo-berbère. A aucun moment, mon entrevue de plus d’une heure avec Deddah Abdellah, ne sera exploitée dans le document posté sur Youtube et Facebook.

La polémique déferla sur les réseaux sociaux et en dépit de mes instances réitérées, l’auteur refusait encore de retirer la vidéo diffamatoire, que jalonnaient des propos tenus, hors cadre, dans ma maison. L’auteur, l’on s’en souvient, s’était engagé à respecter cette part de débat privé  avec les militants.

Sous la machination, le rouage

Oui, très en colère et dépourvu de recours, je demandais, aux militants, de répondre aux insultes celui qui a dérogé à son rôle de journaliste pour s’ériger en insulteur publique malgré notre hospitalité et nos cœurs ouverts. Ultime provocation après la diffusion de son travail de sape, il vint au logis, en mon absence, dans l’espoir de se faire lyncher par les jeunes mais il ne récolta que l’indifférence. Dès lors, il décida de se répandre en calomnies, partout ; au prétexte de défendre la liberté de la presse soi-disant compromise par nous,  les chaînes locales de radio et de télévision lui offraient une tribune à titre gracieux et consentaient la connivence d’une corporation indignée.

La plupart ignorent la mesquinerie du calcul en-dessous de tant d’acharnement et de laborieuse menterie : le système d’hégémonie ethno-tribal en délitement, ne saurait souffrir l’entrée, au parlement, de Biram Dah Abeid et de ses compagnons, tels Adama Sy, veuve du sergent, Oumar Gadio, tué dans le cadre de l’épuration raciale de 1991 et dont l’Assemblée nationale, deux années plus tard, amnistiait les meurtriers ; oui, comment accepter l’élection de Haby Rabah, esclave libérée par Biram Dah Abeid et Aminetou Mint Moctar en 2008 ; comment tolérer qu’elle affrontât les tenants du déni et de l’occultation !!!!

Le deux poids, deux mesures

A propos des griefs d’incitation à la violence et au meurtre, certains segments de la société mais, également, des soutiens et proches du pouvoir, s’y livrent impunément : pendant l’incinération des livres esclavagistes que je menais en avril 2012, Mohamed Ould Abdel Aziz et son entourage m’ont souhaité la peine capitale ; ils parrainaient et encourageaient des manifestations de rue, avec des banderoles et pancartes exigeant ma mise à mort. Les Ouléma, hauts fonctionnaires et ministres prônaient mon élimination physique, au nom de la Charia. L’actuel ministre des Affaires islamiques le formulait dans un message audible sur Youtube ; à l’époque, il occupait le poste de chargé de mission auprès du département éponyme. De nos jours comme avant, beaucoup de pages facebook des colonnes de sites électroniques, les demandes quelquefois détaillées de me tuer ou d’exécuter les militants des droits humains relèvent de la banalité en République islamique de Mauritanie. Les plaintes de plusieurs victimes demeurent sans suite.

A titre d’exemple, tous se souviennent d’un plateau de télévision fameux où le salafiste et extrémiste violent, Yehdhih Dahi, annonçait le vœu de supprimer Biram Dah Abeid et Aminetou Mint Moctar, leader de l’Association des femmes chefs de famille (AFCF). Un entrepreneur, proche du pouvoir et des milieux de l’extrémisme religieux, mettait en gage de 10 000 euros, la tête de Mohamed Cheikh Mkhaitir, le blogueur toujours détenu, malgré le dépassement de sa peine de deux ans d’emprisonnement. Et la Mauritanie, membre du G5 Sahel, arbore son entrain à combattre le terrorisme…..

Un poète proche du pouvoir, Douh Ould Begnougue, déclamait, en public, son intention de tuer les ambassadeurs occidentaux et exposer leurs corps aux fourmis s’ils poursuivaient leur solidarité avec Mohamed Cheikh Mkhaitir accusé de blasphème.

Selon Sidi Ould Dahi un ex-sénateur, interrogé lors d’une émission politique de la chaîne Alwataniya, l’ex-dictateur Maawiya avait bien agi, en exécutant une tentative de génocide qui se soldait, sur  trois ans, par la déportation, l’expropriation et l’assassinat collectif de centaines de noirs mauritaniens.

La justice, jusque-là, ne s’est inquiétée de tels dérapages en dépit de vives protestations de la part de courants influents de la société civile.

Et maintenant, que faire ?

En comparaison, Deddah Abdellah  joue ouvertement le rôle d’un agent provocateur, guère d’un journaliste consciencieux. Le propos, en vertu duquel le magistrat m’incrimine, date de la dernière semaine du mois de juin ; donc pourquoi l’arrestation n’intervient que le 7 août, veille de la validation des candidatures ?

Oui, l’on me prépare un procès politique, dans la droite ligne des enseignements du passé, lorsqu’une tyrannie décatie refuse les outrages du temps et se croit de jeunesse perpétuelle. J’aborde la vieille ingrate avec l’aplomb et l’insolence de ma certitude en la toute puissance de l’opprimé, quand sonne l’heure de sa libération.
 
Biram Dah Abeid
Depuis la Prison centrale, de Nouakchott, 

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