Comme il fallait s’y attendre, le président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya vient de se succéder à lui-même. Au terme d’une élection mouvementée, il s’est octroyé la victoire dès le premier tour avec 66,69% des voix. Le petit colonel de Nouakchott a même amélioré son score qui n’était que de 62,6% des voix lors de la présidentielle controversée de janvier 1992. Bravo Sid’Ahmed, pourrait-on dire !
Le ridicule ne tue pas à Nouakchott où le maître des lieux s’est comporté comme sous l’ère du parti unique. Quelques jours avant l’élection, il a commencé par perquisitionner le domicile du colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla, son prédécesseur et principal concurrent qu’il chassa du pouvoir par un coup d’état, le 17 décembre 1984. N’ayant pas trouvé de quoi fouetter un chat, il a reporté sa fougue sur les fils Haïdalla qu’il a fait arrêter pour avoir voulu » porter atteinte à l’ordre public « . Jeudi 6 novembre, soit la veille du vote, Mohamed Khouna Ould Haïdalla est lui-même interpellé, dans le cadre de l’enquête sur le » coup d’état » en préparation. Il ne doit sa libération le même jour dans la soirée vraisemblablement que pour permettre la tenue le lendemain de l’élection présidentielle. Deux jours plus tard, des hommes armés, casqués, cagoulés, font irruption à 6h00 du matin à son domicile au moment il se prépare à faire la prière. Pour l’arrêter, Taya a envoyé » toute une brigade » de police. L’arrestation de l’ancien président porte à onze, le nombre des membres de son état major de campagne, actuellement incarcérés par le régime en place.
Cette élection est » porteuse de tous les risques « , a déclaré Messaoud Ould Boulkheir, premier Haratine (descendant d’esclaves) à briguer la présidence de la République. Le leader de la communauté négro-mauritanienne sait de quoi il parle d’autant plus qu’ensemble avec Khouna Haidalla et Ahmed Ould Daddah, autre candidat malheureux, ils ont appelé dès le 8 novembre, à » une reprise immédiate de l’ensemble du processus électoral dans des conditions concertées et acceptées par l’ensemble des partis « .
Le Front national de libération (FLN) vient de faire savoir qu’il ne laissera pas le » vainqueur » en paix. Créé en juillet au Mali, ce nouveau mouvement politico-armé qui revendique plus de 2.300 soldats et plusieurs anciens officiers, avait déjà déclaré qu’il considérait comme un défi le fait que l’actuel président accepte de se présenter pour briguer un nouveau mandat. Opposé à toute idéologie importée, baasisme (nationalisme pro-irakien), nassérisme (nationalisme pro-égyptien), islamisme, le FNL n’a pas trempé dans la tentative de coup d’état du 8 juin qui faillit emporter le régime du petit colonel. Lancée par des officiers de l’armée nationale d’après les propres dires de ce dernier, cette tentative de putsch avait finalement été maîtrisée par les forces loyalistes après 36 heures de combats qui avaient fait – officiellement – 15 morts et 68 blessés. En » fraudant massivement » (en vase clos) le 7 novembre, après avoir pris soin de n’inviter aucun observateur étranger, il est à peu près certain que » Monsieur 66,69% » va au-devant des ennuis non seulement sur le plan politique, mais aussi et bien plus dans l’armée où, chaque jour qui passe, il se fait des ennemis supplémentaires.
Mais qui est exactement Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya ? Très porté à l’alcool comme il n’est pas permis de l’être dans une République » islamique » comme la Mauritanie, il avait renforcé la domination politique, économique, sociale et culturelle des Arabo-Berbères sur la communauté négro-africaine, sitôt arrivé au pouvoir en 1984. En septembre 1987, une ténébreuse tentative de coup d’état dirigée par deux officiers négro-mauritaniens est déjouée de justesse. Les principaux meneurs de ce putsch manqué sont – sommairement – exécutés. A la suite d’un incident frontalier avec le Sénégal survenu dans ce contexte de racisme anti-négro-mauritanien, des émeutes anti-mauritaniennes se déroulent les 24 et 25 avril 1989, à Dakar, et anti-sénégalaises à Nouakchott, faisant plusieurs centaines de morts. Des milliers de ressortissants sénégalais et de naturalisés sont, par conséquent, expulsés de Mauritanie. De nombreux négro-mauritaniens préfèrent eux aussi l’exil à l’insécurité. Le 21 août, les relations diplomatiques avec le Sénégal sont rompues. Même si, grâce aux différentes médiations, elles finissent par reprendre, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya a suivi sa logique, en laissant se développer à nouveau l’esclavage que son prédécesseur avait supprimé en 1980, et en quittant la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) en décembre 1999 au profit du l’UMA (Union du Maghreb Arabe). Bien qu’il ait nommé un premier ministre négro-mauritanien qui, en réalité, n’a aucun pouvoir de décision ni aucune marge de manœuvre, la Mauritanie est encore appelée à vivre des moments sombres de son existence avec à sa tête le petit colonel Taya.
La lecture du dossier sur » L’esclavage et la traite des noirs dans le nouveau monde » que nous publions dans le présent numéro, en réaction à la prise de position inconsciente des évêques africains, à Dakar, en octobre 2003, devrait donner des sueurs froides, quand on sait que les défenseurs de telles pratiques, à l’instar du petit colonel de Nouakchott, se font encore élire » démocratiquement » en plein jour en Afrique même, sans qu’ils n’aient de comptes à rendre à personne. Les historiens Elikia Mbokolo, Nicoué Lodjou Gayibor et Atsutsé Kokouvi Agbobli, dans le dossier qui vous est proposé, prennent exactement le contre-pied des évêques africains, sans haine ni esprit polémique, mais avec le souci de restituer cette vérité historique que certains ici ou là cherchent à falsifier, à mesure qu’on s’approche de l’heure des grandes réparations de ce crime odieux contre l’humanité (noire) que restent la traite et l’esclavage des Noirs dans le Nouveau Monde.