Depuis la démission surprise, ce mardi, 12 mars, du controversé premier ministre haitien, Ariel Henry, William Ruto tient, enfin, le parfait alibi pour justifier le non-envoi de soldats kényans à Haïti. Après avoir annoncé en fanfare son désir de diriger une mission multinationale pour endiguer l’insécurité causée par les gangs dans les rues haïtiennes, le président kényan n’a jamais fait suivre sa parole d’actes, principalement, en raison d’obstacles d’ordre financier.
En effet, suite à l’autorisation accordée par l’ONU de conduire ladite mission, les autorités kényanes avaient réclamé que leur soit versée l’intégralité du coût total estimé de l’opération, soit, 273 millions de dollars. Cependant, l’incompatibilité de cette requête avec la politique financière onusienne, qui stipule que seules les dépenses réalisées sont remboursables, avait forcé Nairobi à se tourner vers des pays donateurs, tels que les Etats-Unis, le Canada ou l’Allemagne.
Dans les 300 millions de dollars promis par les Américains, seuls 10 auraient été, effectivement, débloqués, Washington prévoyant, également, de financer le volet logistique à hauteur de 100 millions. Pour ce qui est des autres nations, qui ont pris l’engagement de contribuer financièrement, le montant reçu est dérisoire. Ce qui fait un écart colossal par rapport à la somme attendue, d’où la tergiversation de Nairobi sur le déploiement effectif des troupes.
Renvoyant l’image, au vu de ses récents agissements, d’un homme d’affaires plutôt que celle d’un chef d’Etat, notamment, après l’aliénation de son homologue ougandais sur la question de l’approvisionnement du pétrole, ou encore, la hausse de taxes diverses au Kenya, William Ruto montre, aujourd’hui, que l’argent compte bien plus que la solidarité envers Haïti dont il avait fait état lorsqu’il sollicitait le feu vert des Nations-Unies.
En réalité, le dirigeant kényan est tellement obnubilé par l’appât du gain de son initiative qu’il a complètement ignoré l’éventualité que des blocages puissent lui être posés par la justice de son pays. Et c’est bien l’idée que l’opposition a eue en dénonçant l’absence d’accord entre le Kenya et Haïti permettant l’envoi de policiers kényans. C’est d’ailleurs en voulant contourner cet obstacle qu’Ariel Henry a, inconsciemment, précipité son départ de la primature haïtienne.
Autant dire que les choses s’annoncent compliquées pour William Ruto dont le calcul intéressé risque fort d’être faussé. Si la Mission venait à être ne plus voir le jour, le président kényan deviendrait, à coup sûr, un objet de risée sur le continent africain, en raison du manque de logique dans sa décision de s’impliquer dans un conflit situé à l’autre bout du monde, au détriment d’autres plus proches de lui, aux conséquences infiniment plus dévastatrices.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)