MOZAMBIQUE : Les défis de l’enseignement dans les langues nationales (locales)

Date

On ne dira jamais assez que la meilleure transmission du savoir à l’enfant, dès son bas âge, se fait dans sa propre langue maternelle. Et non dans les langues modernes de communication (français, anglais, espagnol, etc.) comme on croit à tort. Il faudra encore faire beaucoup de pédagogie sur cet aspect des choses pour réduire l’échec scolaire et permettre un meilleur apprentissage des enseignements à l’enfant. Au Mozambique, on y pense même si les expériences restent, encore, bien timides.

Une cinquantaine de gamins sont assis à même le sol de leur classe, les yeux rivés sur leur maître. Une école comme tant d’autres au Mozambique, à la différence près qu’ici, les élèves n’apprennent pas en portugais, la langue officielle du pays.

Dans l’école primaire de Mitilene dans le district de Manhiça, à moins d’une centaine de kilomètres au Nord de la capitale Maputo, les leçons ont lieu en langue locale, le changana, une initiative destinée à faciliter les premières années d’apprentissage.

« Ici, la seule langue pratiquée par les enfants jusqu’à l’âge de 5 ans est le changana », explique leur institutrice, Helena Joaquim Arguenha, et « il est très important qu’on leur enseigne dans leur langue natale parce que ça leur permet d’apprendre bien mieux ».

Mme Arguenha a enseigné en portugais dans les écoles publiques du pays pendant six ans avant de passer au changana l’an dernier, un dialecte proche de la langue tsonga largement parlée en Afrique australe, dans le cadre d’un programme financé par l’Agence de développement américaine (USAID) et l’ONG locale ADPP.

Héritage de la colonisation qui s’est achevée en 1975, la langue officielle et quasi-générale de l’enseignement au Mozambique est restée le portugais.

Mais, la grande majorité des habitants s’expriment, d’abord, dans l’une des 42 langues nationales.

Près de 90% des 1,3 million d’enfants qui entrent, chaque année, à l’école ne parlent pas portugais, selon le ministère mozambicain de l’Education. Et à peine, un seul sur vingt est capable de l’écrire après trois ans de scolarité.

Dans la classe d’Helena Joaquim Arguenha, par exemple, un seul des élèves âgés de 6 à 7 ans connaissait le portugais.

Pour sa leçon de vocabulaire du jour, l’institutrice demande, en changana, de citer un nom qui se termine par la lettre « O ». Spontanément, une forêt de doigts se dresse.

« En changana, ils sont plus créatifs, comprennent mieux et ne sont pas timides, ils parlent et s’expriment très librement », se réjouit l’enseignante, « alors qu’en portugais ils sont beaucoup plus hésitants, ils ont peur de parler ».

A la pointe depuis des années du combat pour l’éducation au Mozambique, l’ONG Associacao Progresso constate, tous les jours, les difficultés des enfants qui font leur apprentissage dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas.

« Ce que l’on observe souvent, c’est une absence de communication entre l’enseignant et l’élève. Le premier parle le portugais mais le second ne le comprend pas », remarque une volontaire de l’association, Alcina Sitoe. « Si vous ne comprenez pas ce que l’on vous enseigne, il est difficile d’apprendre quoi que ce soit. »

Le gouvernement mozambicain semble avoir pris conscience du problème. Selon l’Unesco, seuls 58% des adultes du pays et seulement 45% des femmes savent lire et écrire. L’an dernier, Maputo a, donc, lancé une réforme qui généralise l’enseignement primaire en langues locales jusqu’à l’âge de 10 ans, avant de passer au tout portugais (notre photo du président du Mozambique Filipe Nyusi).

« Nos premières expériences d’enseignement bilingue, dès 1991, ont montré que les élèves avaient de meilleurs résultats que dans l’enseignement uniquement en portugais », explique une responsable du ministère de l’Education, Gina Guibunda.

L’application de la réforme s’annonce, toutefois, difficile.

Dans les zones rurales du pays, les maîtres capables de faire la classe en dialecte restent rares et les manuels en langue locale tout autant.

En outre, le gouvernement a réduit de trois à un an, la durée de formation des maîtres, pour cause de restrictions budgétaires.

« Les enseignants sont diplômés alors même qu’ils ne maîtrisent pas leur travail », regrette Francisca Samboca, de Associacao Progresso.

Gina Guibunda, au ministère, le concède : « L’un de nos défis est la formation des maîtres. Nous ne disposons que depuis l’an dernier d’experts capables de les superviser dans chaque province. »
Alors, comme dans d’autres secteurs, les ONG sont venues ici pallier les carences de l’Etat. Le projet financé par l’ADPP et USAID propose aux enseignants des formations et du matériel pédagogique en changana et en ronga, un autre idiome pratiqué autour de Maputo.

Une aide indispensable, se félicite Helena Joaquim Arguenha.

« Passer d’une langue à l’autre a été difficile », reconnaît-elle, « j’avais vraiment besoin de me concentrer pour utiliser du matériel et du vocabulaire auxquels je n’étais pas habituée. »

Le projet fait son chemin petit à petit : aujourd’hui, plus de 1.300 écoles primaires proposent des classes en langues locales. Mais c’est à peine une sur dix.

L’autre défi est de convaincre les parents d’y scolariser leurs enfants.

« Certains ne voient pas l’intérêt de l’enseignement bilingue. Ils nous disent +Mon fils parle déjà le dialecte à la maison, je veux qu’il apprenne le portugais à l’école+ », note la responsable du ministère.

« Alors on essaie de leur faire comprendre que l’école est possible dans les deux langues. »

Avec AFP

Envie d’accéder aux contenus réservés aux abonnés ?

More
articles

×
×

Panier