Les négociations en vue du lancement de la future Convention ACP-UE, en 2020, ont, déjà, démarré. Le secrétaire général du Groupe des pays ACP (Afrique Caraïbes et Pacifique), Dr Patrick I. Gomes, situe les enjeux de ce partenariat qu’il souhaite gagnant-gagnant.
Afrique Education : En tant que secrétaire général du groupe des pays ACP, vous êtes très bien placé pour évaluer la Convention ACP-UE. Commencée il y a une quarantaine d’années, cette coopération n’a pas donné de bons résultats. Selon vous, pour quelles raisons ?
Dr Patrick I. Gomes : Je vous remercie de me poser cette question concernant ce traité unique dans ses caractéristiques et juridiquement contraignant pour les 79 pays en voie de développement et 28 Etats membres de l’UE. Il serait erroné de penser que le partenariat ACP-UE. n’a rien apporté de positif. Prenez par exemple le cas de la République du Togo dans laquelle les résultats positifs qui ont été obtenus sont dus à la mise en place d’un système de gouvernance démocratique et à l’implication du premier ministre dans l’Assemblée parlementaire de l’ACP-UE. Cet organe de concertation permet aux membres parlementaires d’échanger sur des problèmes affectant les autres pays, dans le but de trouver des solutions et de promouvoir la solidarité. Un autre exemple encore plus significatif est celui des transactions commerciales annuelles entre les pays ACP et l’Union Européenne qui s’élèvent à 150 milliards d’euros. Le sucre, la banane, la viande bovine, la pêche, les fruits, les légumes, le cacao, et une série de minerais et produits forestiers, représentent plus de 79 milliards d’euros dans ces échanges commerciaux, créant ainsi des emplois pour les jeunes citoyens des pays ACP d’une part, et permettant l’accumulation de devises étrangères par ces pays, d’autre part. En matière d’éducation supérieure, de recherche et de formation, des bourses académiques ont vu le jour, de nouvelles compétences et un nouveau savoir-faire portant sur une variété de thèmes tels que l’agriculture, la nutrition et la culture, sont désormais accessibles. Cette contribution à l’identité et aux valeurs culturelles de la justice, de la dignité humaine et du respect de soi-même est d’ores et déjà encouragée par plusieurs projets financés par le Fonds européen de développement, qui est un des instruments de la Convention ACP-UE.
Afrique Education : Quels aspects de cette coopération devraient-ils être revus pour améliorer l’efficacité générale du partenariat ?
Dr Patrick I. Gomes : L’efficience ou encore mieux l’effectivité de cette coopération peut être améliorée de 4 manières : a) L’acceptation par tous du cadre d’orientation globale…c’est-à-dire que les Objectifs de développement durables (UN SDGs) doivent être appliqués par tous les pays. b) Les priorités nationales doivent être prises en considération et doivent justifier les différences entre les besoins et les ressources des pays. c) Les rencontres relatives à des prises de décision doivent être préparées en avance selon les agendas communs aux pays représentés. d) Les délais d’application des projets ne doivent pas être rallongés par de longues et inutiles procédures bureaucratiques.
Afrique Education : La Convention ACP-UE a été signée il y a une quarantaine d’années. Mais, il n’existe pas à proprement parler de mécanisme de son évaluation digne de ce nom. Peut-on le prévoir dans la prochaine Convention en préparation ?
Dr Patrick I. Gomes : Il est incorrect de penser qu’aucune évaluation n’est faite. De façon globale, cet accord fait l’objet d’une évaluation tous les 5 ans, les deux dernières évaluations ayant été réalisées en 2005 et en 2010. Les pays ACP tout comme l’UE, n’ont jamais ressenti le besoin de solliciter une évaluation. Chaque projet du Fonds européen de développement fait l’objet d’une évaluation à mi-parcours et d’une évaluation finale. Si besoin est, les résultats de ces évaluations peuvent donner lieu à des ajustements.
Afrique Education : Pouvez-vous énumérer les priorités des pays ACP dans la prochaine Convention ?
Dr Patrick I. Gomes : Les priorités portent sur le commerce en valeur ajoutée des matières premières, sur le développement industriel, les services, les investissements générant des dividendes, lesquels doivent être distribués de façon équitable et le respect des droits des travailleurs. Autres priorités importantes : la mise en place d’un système de financement du développement permettant de réaliser des prévisions co-supervisées par des représentants des pays ACP et de l’UE.
Afrique Education : Une des conditions de l’Union européenne pour bénéficier de son aide est la transparence dans la pratique démocratique et la bonne gouvernance. N’est-ce pas le retour à la colonisation des pays ACP ?
Dr Patrick I. Gomes : Il est absurde de voir en cette pratique démocratique transparente une pratique coloniale. En réalité, le colonialisme avait pour vocation de supprimer les droits démocratiques des peuples. Mais nous n’accepterons aucune condition qui viole notre souveraineté.
Afrique Education : Le négociateur en chef, le professeur, Robert Dussey, et son équipe, négocient pour le compte de 79 pays. Qu’attendez-vous d’eux ?
Dr Patrick I. Gomes : L’équipe est compétente et très expérimentée. Je pense que nous pouvons espérer obtenir un accord qui préserve les intérêts des pays ACP et qui prévoit les ressources nécessaires pour la réalisation des objectifs ambitieux d’amélioration du bien-être des citoyens des pays ACP et de l’Union européenne (sur notre photo Patrick I. Gomes avec Robert Dussey).
Propos recueillis par l’un
de nos envoyés spéciaux à Bruxelles