Muhammadu Buhari s’est fait élire en 2015 en promettant aux Nigérians de vaincre la secte terroriste, Boko Haram, et d’éradiquer la corruption sur l’ensemble du territoire. Trois ans, plus tard, alors qu’il est candidat à sa propre succession à la présidentielle de 2019, il n’en est rien. Comme en 2014 quand elle a fait le rapt des 276 lycéennes de Chibok, cette secte a récidivé, le mois dernier, cette fois, à Dapchi, toujours dans le Nord-Est, en faisant un autre rapt de collégiens, à la barbe de l’armée et de la police nigérianes. Après avoir nié pendant six jours, Muhammadu Buhari, lui-même, a pris la parole pour demander « Pardon » aux parents des 110 collégiennes enlevées et conduites vers une destination inconnue. L’échec de Buhari dans sa lutte contre Boko Haram ne se commente plus. Il se constate. D’où sa hargne en s’attaquant, maintenant, à la pieuvre, cette corruption qui n’a ni queue ni tête, espérant obtenir des résultats probants de ce côté. Il a fait comparaître, ce lundi, 5 mars, les compagnies pétrolières Eni et Shell pour des faits de corruption patents. La semaine dernière, ce sont deux résidences de Diezani Alison-Madueka, ancienne ministre du Pétrole du président, Goodluck Jonathan, qui ont été saisies pour le compte de l’Etat. Mais, à cause d’une surcharge de travail des juges, le procès a été reporté au 14 mai prochain.
En effet, les compagnies pétrolières, Eni et Shell, ont comparu ce lundi, 5 mars, devant le tribunal de Milan, dans le Nord de l’Italie, pour des soupçons de corruption lors de l’attribution d’un contrat concernant un bloc offshore au Nigeria.
Parmi les prévenus figurent l’actuel patron d’Eni, Claudio Descalzi, son prédécesseur, Paolo Scaroni, d’autres dirigeants et cadres des groupes italien et anglo-néerlandais, ainsi que, l’ex-ministre nigérian du Pétrole, Dan Etete.
La justice soupçonne le versement de pots-de-vins, lors de l’attribution en 2011, pour 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros), d’une licence pour l’exploration du bloc pétrolier OPL-245.
Eni, jugé aussi à Milan dans un autre procès pour corruption en Algérie, et Shell contestent, fermement, toute corruption.
Le groupe italien a exprimé « sa pleine confiance » dans le fait que le procès « confirmera la justesse et l’intégrité de sa conduite ».
« Eni et Shell ont conclu la transaction avec le gouvernement sans l’implication d’intermédiaire. L’argent (…) a été déposé sur un compte possédé par le gouvernement nigérian », a indiqué le groupe, qui a, régulièrement, réaffirmé sa confiance à M. Descalzi. Mais, la question embarrassante se pose : si l’argent avait été, effectivement, déposé sur un compte du gouvernement, pourquoi l’Etat porterait-il plainte s’il n’y a pas anguille sous roche ?
Claudio Descalzi, directeur général opérationnel à l’époque des faits, avait précisé, l’an passé, que Shell et Eni n’avaient pas été « impliqués dans la décision du gouvernement sur la manière d’utiliser cet argent ».
Shell, qui dit, également, « croire que les magistrats concluront à l’absence » de culpabilité de sa part, a indiqué « attacher la plus grande importance à l’intégrité », soulignant : « il n’y a pas de place pour les pots-de-vin et la corruption dans notre entreprise ».
L’accord passé avec le gouvernement nigérian visait à mettre fin à des années de contentieux autour du bloc OPL-245 entre Shell et la compagnie Malabu, appartenant à Dan Etete.
Ancien ministre du Pétrole sous le régime du dictateur, Sani Abacha, celui-ci s’était attribué ce bloc en 1998, en la vendant à Malabu, une société qu’il détenait secrètement. La licence avait été, ensuite, révoquée par le gouvernement, puis, cédé à Shell, puis, de nouveau, à Malabu, donnant lieu à un important litige.
Après son arrivée au pouvoir en 2010, le président, Goodluck Jonathan (sur notre photo avec son successeur Muhammadu Buhari), avait repris les négociations autour ce bloc, extrêmement, convoité en raison de ses réserves de plus de 9 milliards de barils.
Selon l’ONG britannique, Global Witness et Finance Uncovered, un réseau de journalistes d’investigation, l’accord s’est traduit par le versement de 1,1 milliard de dollars sur un compte à Londres ouvert par les responsables gouvernementaux –et allant, directement, à Etete– et de 210 millions de dollars au gouvernement.
D’après Global Witness, Shell, contrairement, à ses dires, Shell savait, parfaitement, que l’argent n’irait pas dans les caisses de l’Etat, « mais à Malabu et Dan Etete », puis probablement « à certaines des personnes les plus puissantes du pays ».
Soulignant l’amitié liant MM. Etete et Jonathan, l’ONG avance comme élément de preuves des échanges d’emails entre des responsables de Shell.
« Etete sent l’argent venir », écrit l’un d’eux en 2010, tandis qu’un autre note que « le président (Jonathan) veut conclure rapidement (le bloc) 245, compte tenu des attentes au sujet des liquidités que Malabu va recevoir et des contributions politiques qui s’en suivront ».
Au Nigeria, la Commission sur les crimes économiques et financiers (EFCC) mène une enquête parallèle. Elle a mis en accusation, en mars 2017, onze hommes d’affaires et politiques nigérians, dont Dan Etete.
L’actuel président, Muhammadu Buhari, a promis de mener un combat, sans répit, contre le « cancer de la corruption » qui gangrène le principal producteur de pétrole africain.