La rentrée politique du Parti démocratique gabonais (PDG) a eu lieu le 21 février. Pour la deuxième fois en l’espace de sept mois, le parti demande à El Hadj Omar Bongo Ondimba de défendre ses couleurs lors de la présidentielle de décembre 2005.
» Considérant les actions engagées par le président fondateur du Parti démocratique gabonais (PDG) en matière de développement économique et social de notre pays ; considérant les efforts inlassables déployés par le président fondateur à l’émancipation de la femme et à l’épanouissement de la jeunesse gabonaise ; conscient du rôle prééminent joué par le président fondateur dans la résolution des conflits tant au plan sous-régional qu’international, les militantes et les militants du Parti démocratique gabonais, réunis à Libreville le 21 février 2004 , à la Cité de la démocratie dans le cadre de la rentrée politique du Parti démocratique gabonais, réitèrent, très respectueusement, l’invitation faite au président fondateur lors du Congrès de la re-fondation, à se mettre une fois encore, à la disposition des Gabonaises et des Gabonais, en se présentant comme candidat naturel du Parti démocratique gabonais à l’élection présidentielle de 2005 « .
C’est donc la deuxième fois, en l’espace de sept mois, que le PDG en appelle à son fondateur afin qu’il ne prenne pas une retraite politique anticipée. Car ses militants savent pertinemment que le président de la République a souvent affirmé qu’il comptait abandonner le pouvoir pour profiter aussi de la vie, comme tout Gabonais, en homme libre, avec son épouse et ses enfants. Il a souvent ajouté aussi qu’il n’entendait pas quitter le pouvoir étant déjà grabataire.
C’est d’autant plus vrai qu’en homme cultivé, El Hadj Omar Bongo Ondimba aime lire. Si ses lourdes fonctions à la tête de l’Etat ne lui permettent pas d’être un rat des bibliothèques, il dévore volontiers tout ce qui lui passe par la main : romans, essais politiques sur le Gabon, sur l’Afrique, sur les méandres de la politique française, sur les puissants de ce monde, font partie de ses domaines de prédilection. Si vous voulez (vraiment) faire plaisir au patriarche, apportez-lui une bonne lecture et il en sera très content. Il adore aussi regarder une bonne pièce de théâtre, un joli film aux côtés de la première dame, Docteur Edith Lucie, visiter des expositions d’art, se rincer l’œil lors d’un défilé de mannequins. La danse fait aussi partie de ses distractions préférées : il aime particulièrement la musique africaine (les rythmes bantou tels qu’on les aime dans les cabarets de Kinshasa ou de Douala). Il suit, à ses rares moments perdus, l’évolution du hit parade d’Africa n° 1, sa radio préférée. El Hadj Omar Bongo Ondimba est également un fin ambianceur : lors des dernières fêtes tournantes en août 2003, à Lambaréné, fief électoral de Georges Rawiri, le président du Sénat, le chef de l’Etat restait facilement une heure de temps sur la piste de danse sans accuser la moindre fatigue. Alors que certains ministres, plus jeunes que lui, ne résistaient pas au bout d’un gros quart d’heure. Bref, le président voudrait se donner du temps pour bien vivre à fond ses derniers jours.
Au PDG, on n’ignore donc pas qu’après avoir tant donné au pays, il veuille se consacrer pleinement à sa famille. Voilà pourquoi les appels du pied pour qu’il accepte d’être à nouveau le candidat du PDG ont commencé suffisamment tôt pour le convaincre grâce à l’usure du temps. Le tocsin a ainsi été sonné pour la première fois les 19 et 20 juillet 2003, avant d’être renouvelé, avec beaucoup plus d’insistance et de solennité, le 21 février dernier. De son côté, le patriarche continue de faire la sourde oreille. Mais nul doute que dans les semaines à venir, de tels appels (de plus en plus pressants) vont considérablement se multiplier jusqu’à ce qu’il lâche le fameux » Oui, je vous ai compris, j’y vais « . Dans tous les cas, il risque de ne pas avoir le choix, sachant comment les militants de son parti savent être encombrants et envahissants quand ils veulent emporter une décision.
Dans son discours d’ouverture prononcé le 21 février à l’occasion de cette rentrée politique du PDG, le président fondateur a préféré mettre l’accent sur la discipline au sein du parti à qui il demande d’être une réelle force de proposition dont l’un des rôles devra être d’impulser l’action du gouvernement. Au gouvernement dont le chef se trouve être l’un des vice-présidents du parti, il demande de se mettre au travail et d’arrêter de prononcer des discours pompeux sans lendemain : » Le PDG, parce que majoritaire, doit inspirer et impulser l’action du gouvernement. Ce gouvernement doit être au service des Gabonais et attentif aux besoins des populations. Il est donc important de mettre fin aux discours ronflants, aux formules toutes faites qui ne veulent rien dire, alors que les défis du moment nous imposent la mise en place des mesures concrètes, dans tous les domaines de la vie nationale, pour apaiser les craintes et les peurs suscitées par la pauvreté grandissante et la fracture sociale de plus en plus prononcée « .
De qui veut parler le président quand il fait malicieusement allusion aux » discours ronflants » ? Une question à mille dollars à laquelle les militants répondent en chœur » Jean François « , le très grandiloquent premier ministre dont la phraséologie n’est pas pour faciliter la compréhension de son action chez le commun des Makaya. Seulement, on pourra gagner un pari de mille autres dollars que l’intéressé ne s’est pas senti visé. Après tout, le gouvernement ne compte-t-il pas de professeurs agrégés, de docteurs d’universités plus pédants les uns que les autres sans oublier les prêtres qui aiment parfois user du latin et du grec devant des auditoires où on parle à peine correctement la langue de Molière. C’est cela aussi le Gabon. Un pays où on aime épater, un peu comme le » m’as-tu vu des Congolais » à la différence que les compatriotes de Sassou se limitent à la sape alors qu’à Libreville, on scrute le Larousse pour y dénicher les dernières créations de l’Académie française. Mais les propos du président n’étant pas tombés dans les oreilles des sourds, le gouvernement a illico presto organisé un séminaire de deux jours les 4 et 5 mars justement sur le thème du » plein emploi » comme pour atténuer la colère du président. On attend de voir les résolutions mises en actes concrets, sinon l’opposition, à l’affût, n’hésitera pas de parler de » gadget « , de » temps perdus où les ministres se rencontrent pour se raconter leurs dernières conquêtes féminines » alors que la jeunesse gueule : » emploi, emploi !!! « .
Pour joindre la parole à l’acte, le président a immédiatement énoncé des actions qui se mettent actuellement en place et qui vont dans le sens du plein emploi : » C’est ainsi qu’a été décidé la construction de 2.000 logements sur deux ans. Cette opération à impact positif sur l’habitat va parallèlement créer de nombreux emplois. De même, l’activité intense dans le secteur minier, au-delà du secteur pétrolier, donne de raisonnables espoirs de création d’emplois. Par ailleurs, tous les efforts déployés (journées économiques, nouvelles fiscalités en matière de forêts et d’habitat social) pour attirer les investisseurs et conforter le secteur privé, ont pour objet de favoriser la création d’emplois « . Et d’ajouter : » Il faudra également exploiter tous les gisements d’emplois, dans le secteur du tourisme, de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, de la forêt ainsi que des nouvelles technologies et des métiers de l’informatique « . Le président a déclaré se sentir » profondément affecté » lorsqu’il apprend que des jeunes Gabonais, pourtant formés pour beaucoup aux frais de l’Etat, ne trouvent pas d’emplois, n’arrivent pas à démarrer une activité.
» Certains perdent espoir et veulent à tout prix s’expatrier. Le Gabon ne peut se permettre l’évasion du capital intellectuel que constituent pour lui tous ces jeunes « , a-t-il affirmé même s’il reconnaît que » la création d’emplois nécessite que soient améliorées et perfectionnées l’éducation et la formation, redéfinir le contenu des enseignements dans le sens de leur meilleure adaptation aux perspectives d’emploi « .
Il n’a pas été tendre en prônant un » véritable changement de mentalité chez les Gabonais et les Gabonaises : » Ce changement passe par une rupture avec l’esprit de facilité et exige en revanche le goût de l’effort, l’esprit d’initiative et d’entreprise « . Le parti a un rôle à jouer » en éduquant ses militants et, au-delà, l’ensemble des citoyens, dans l’idée qu’il n’y a pas de sots métiers, et que la création d’emplois n’est pas du seul ressort de l’Etat mais qu’il requiert également les efforts individuels et collectifs de tous « .
Le qualificatif de » jeunesse sacrée » concerne avant tous les jeunes, soucieux de leur avenir et de celui du pays. Mais cela peut-il être encore possible quand certains éléments rétrogrades et pervers tentent de désorienter la jeunesse en cherchant à l’amener vers le désordre, la violence et la débauche ? » Dans le même temps, dénonce le président, des forces obscures entreprennent de manipuler et de récupérer les divers mouvements d’humeur de la jeunesse dans le dessein d’atteindre des buts politiques inavoués « . Et de conclure : » Les jeunes du PDG doivent non seulement se démarquer de ces agissements mais, bien plus, les dénoncer et les combattre énergiquement. Ce travail de civisme et de patriotisme est celui des vrais militants, pas ceux de la 25e heure ou ceux gagnés par l’opportunisme pour lesquels le parti n’est qu’une simple passerelle pour atteindre des » objectifs partisans et personnels « . Et le président de citer des comportements néfastes qui continuent de polluer l’atmosphère au sein du parti : » l’indiscipline et l’individualisme (qui) conduisent de nombreux membres du parti à se déclarer candidats indépendants ou à rechercher l’investiture d’autres partis dès lors que leur candidature n’a pas été retenue par les instances compétentes du PDG ; l’utilisation presque exclusive des compatriotes de la même ethnie comme collaborateurs au détriment des compétences des autres ; le retour au tribalisme et à l’ethnisme. Prenant prétexte de ce que le mandat qu’ils détiennent ne proviendrait, selon eux, que des populations, ils estiment qu’ils n’auraient de compte à rendre qu’à ces populations et oublient au passage ou font semblant d’oublier le parti qui leur a accordé l’investiture, donné une caution morale, financé, organisé, soutenu et animé leurs campagnes. Pour cette catégorie de militants à laquelle voudrait appartenir l’ancien instituteur de Mounana, la notion de fidélité, valeur de base de toute éducation et aussi l’une des valeurs fondamentales du PDG, n’a plus de sens. Car selon le patriarche, » la fidélité, c’est l’attachement constant aux idéaux du parti dont le président fondateur est l’inspirateur. La fidélité, c’est le respect des institutions du pays. C’est le respect de ceux qui les incarnent et en sont les garants. La fidélité pour les élus du parti, c’est la défense des orientations et options fondamentales du parti et du gouvernement qui en est issu. Le mandat que détient chaque parlementaire ou élu du parti est, en effet, comme une parcelle de pouvoir confiée, certes, par le peuple mais aussi par le parti grâce à son investiture et à son soutien multiforme « .
Le PDG est donc au pied du mur. Car aux appels répétés à l’endroit de son fondateur pour qu’il défende ses couleurs lors de la présidentielle de décembre 2005, ce dernier botte en touche et lui prescrit au contraire des règles de bonne gouvernance et de bonne tenue. En revanche, le président demande que le parti devienne une véritable force de mobilisation dans le pays et d’impulsion de l’action gouvernementale qui en aurait besoin. Finalement ira-t-il ? N’ira-t-il pas ? Mystère ! Un jeu de cache-cache auquel il excelle et dont il est capable, s’il le souhaite, de tirer toutes les ficelles, question de mettre au pas, et chacun à leur place, les (petits) grognards et apparatchiks ambitieux qui caressent secrètement l’espoir de devenir calife à la place du calife.
Jean-Paul Tédga