Il veut la réconciliation mais considère toujours le 19 septembre 2002 comme la naissance d’un nouvel espoir. Un Forum de réconciliation nationale, où la parole ne fut jamais autant libérée, fut organisé pendant 2 mois (du 9 octobre au 18 décembre 2001). Il s’agissait, pour la Côte d’Ivoire, de “porter, sans complaisance, un regard critique sur son passé pour se projeter dans l’avenir” (discours de Laurent Gbagbo à l’ouverture du Forum).
Le 13 avril 2007, une loi fut promulguée par Laurent Gbagbo pour amnistier les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par eux. Le 21 avril 2007, au terme de la caravane de la paix initiée par Blé Goudé, Simone Gbagbo dansa avec Sidiki Konaté sur un podium du complexe sportif de Yopougon ; Wattao fut chaleureusement accueilli dans un village bhété ; tout cela fut fait au nom de la paix et en toute sincérité. Les rebelles, eux, étaient-ils sincères ? On le croyait jusqu’à ce qu’ils récidivent en avril 2011, pillant, tuant, égorgeant, emprisonnant et jetant des milliers d’Ivoiriens sur les routes de l’exil. Avec la complicité de l’ONU et de la France, patrie des droits de l’homme, et dans l’indifférence des bien pensants et autres prétendues autorités morales du monde. Nous comprîmes alors qu’on avait affaire à des voyous, que ces gens-là étaient fourbes et peu fiables, que les mots sincérité, regret, repentance et respect des engagements pris ne faisaient pas partie de leur vocabulaire. Chacun jura sur la tombe de ses ancêtres qu’on ne l’y prendrait plus, qu’il ne se ferait plus avoir et qu’il ne se ferait plus berner. On en était là quand Guillaume Soro fit part de son intention de se rendre à la Haye. Certains compatriotes, se souvenant de tous les traitements inhumains subis par l’ancien président malgré les efforts et sacrifices faits par ce dernier pour le retour de la paix, conseillèrent la prudence. Pour eux, il était trop tôt pour faire droit à ce genre de requête. Malheureusement, ils furent traités d’ennemis de la paix, de rancuniers et de revanchards. 16 ans après l’attaque et la division de notre pays, Soro Kigbafori ne s’est point gêné pour voir la rébellion, que Konan Bédié et Dramane Ouattara auraient financée en partie, comme la “naissance d’un nouvel espoir”. Un de ses lieutenants aura même l’outrecuidance et l’indécence d’affirmer que les Ivoiriens devraient les remercier de les avoir sauvés de l’extermination des Nordistes et des Burkinabè. Cela signifie ni plus ni moins que ceux qui ont attaqué et endeuillé la Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002 ne regrettent pas et ne regretteront jamais le mal qu’ils ont fait et que la réconciliation dont ils sont devenus les chantres depuis quelques mois n’est qu’une escroquerie.
Ceux qui prônent le pardon sans condition, ceux qui invitent les Ivoiriens à abandonner tout esprit de vengeance et à ne pas “élever les murs de leur propre enfermement”, les pacifistes à tout crin, que disent-ils à présent ? Comment réagissent-ils à cette falsification de notre histoire récente par Soro dont le mépris et la désinvolture semblent ne pas avoir de limites ? Vous qu’il a fait emprisonner ou transférer à la Haye, vous qu’il n’hésita pas à qualifier de “finished” au lendemain du 11 avril 2011, êtes-vous toujours partants pour la paix et la réconciliation avec ce Soro qui se vante d’avoir remis notre pays sur les rails de la démocratie ? Vous êtes libres de tendre la joue droite après avoir été giflés sur la joue gauche. Pour ma part, je sais que même Jésus ne donna à personne l’occasion de le gifler deux fois. Si l’entrée au Ciel commande d’embrasser ce Soro et de faire route avec lui dans une Côte d’Ivoire qui a perdu 16 ans à cause de lui, allez-y sans moi. Je ne crois pas que le respect de la mémoire de nos frères prématurément fauchés par sa barbarie et sa haine nous demande pareilles ignominie et légèreté. Je crois plutôt à la justesse du mot de Nelson Mandela, prix Nobel de la paix 1993, et ce mot, que je trouve lucide et honnête, le voici : « Quand tu t’es battu si dur pour te remettre debout, ne retourne jamais auprès de ceux qui t’ont mis à terre. »
Jean-Claude DJEREKE
Professeur de littérature à Temple University (Etats-Unis)