Nommé premier ministre du Sénégal lundi 4 novembre, Idrissa Seck a rendu publique son équipe gouvernementale mercredi 6 avec comme objectif, « donner corps » à la « vision » de Maître Abdoulaye Wade. Tout un chantier.
« Vous avez fait montre de qualités exceptionnelles, d’une parfaite maîtrise de votre fonction. C’est pourquoi, en décidant de mettre fin à vos fonctions, j’ai conscience de me priver momentanément d’un grand serviteur de la République ». Sans rire, tel est l’éloge que Maître Abdoulaye Wade a fait à Mame Madior Boye, au moment où il prenait congé d’elle en tant que premier ministre du Sénégal.
A dire vrai, les Sénégalais ne regretteront pas cette magistrate que le président avait propulsé contre toute attente, à la primature en mars 2001, pour remplacer Moustapha Niasse qui, après onze mois de bons et loyaux services, avait fini par claquer la porte de la primature. En effet, il avait vite conclu, et à juste titre, à l’impossibilité de concilier socialisme et libéralisme dans un pays comme le Sénégal, avec comme chef d’Etat, le très libéral Abdoulaye Wade.
En dix-huit mois de primature, Mame Madior Boye a, néanamois, laissé une bonne image : celle d’un haut fonctionnaire de l’administration indifférente à la politique politicienne, sans ambition démesurée, beaucoup plus coordinatrice de l’action gouvernementale qu’inspiratrice de celle-ci. Voilà peut-être pourquoi elle a assisté, impuissante, à la désintégration de la filière arachide, à l’échec de la privatisation de la Société nationale d’électricité, à l’augmentation du chômage des jeunes, à l’accroissement de la pauvreté. Elle n’a pas non plus su lutter efficacement contre la corruption, et la terrible catastrophe du Joola n’a été que le coup de grâce qui peut donner une idée de l’ampleur de la tâche à tous les niveaux de l’Etat, qui attend Idrissa Seck, troisième premier ministre du président Wade en moins de trois années passées à la tête de l’Etat. Un petit record en somme !
Si l’objectif du nouveau venu est de « donner corps » à la « vision » du président, il devra conduire sa nouvelle charge en étant attentif à tous les signes, à toutes les potentialités, à tous les talents du Sénégal qui ont pu produire le triomphe et la joie de ces derniers mois. Mais il devra rester aussi attentif à guérir les Sénégalais de tous les maux et de toutes les faiblesses dont ils souffrent actuellement. Vaste chantier à un peu plus de quatre ans d’une échéance présidentielle à laquelle Abdoulaye Wade, d’ores et déjà virtuellement candidat, compte affronter Moustapha Niasse et Djibo Kâ, et pourquoi pas Abdou Diouf s’il décidait, au bout de quatre ans, de décrocher de la francophonie pour souhaiter un nouveau mandat de ses compatriotes ?
Agé seulement de 43 ans, Idrissa Seck est un jeune loup qui a gravi tous les échelons du pouvoir dans l’ombre de son maître, le président libéral Abdoulaye Wade. N’est-il pas considéré depuis plusieurs années comme son éminence grise ?
Sous les gouvernements Niasse et Boye, Seck était directeur de cabinet du chef de l’Etat avec rang de ministre d’Etat. Pour certains observateurs Avisés de la scène politique sénégalaise, il était le premier ministre-bis du Sénégal. La doublure de Mama Madior Boye qui ne voulait pas afficher publiquement ses couleurs. Pour d’autres, il était carrément le vrai maître du pays dans la mesure où les hautes charges de l’Etat reposaient pratiquement sur ses épaules pendant les longues et régulières absences du pays du chef de l’Etat. Mais du moment où il a toujours vibré au même diapason que Maître Abdoulaye Wade, son maître à penser, rien de grave ne s’est passé et c’est en toute quiétude que le président parcourait la terre pour expliquer le NEPAD à des Occidentaux qui n’ont que faire de l’Afrique et de ses problèmes.
Né le 9 août 1959 à Thiès, à 70 kilomètres à l’Est de Dakar, ville dont il est d’ailleurs le maire, Idrissa Seck a fréquenté l’Ecole des hautes études commerciales (HEC) et l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, avant de parfaire son cursus, comme il se devait, à l’Université de Princeton aux Etats-Unis. A la fois produit des universités françaises et américaine, il a opté pour l’entreprise en devenant homme d’affaires et consultant en management spécialisé en finance et stratégies de développement.
Depuis l’âge de 15 ans, il émarge dans les rangs du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Maître Abdoulaye Wade. Lors de la présidentielle de 1988, alors qu’il n’est âgé que de 29 ans, Wade le propulse directeur de sa campagne. Quand le président Abdou Diouf décide d’élargir son gouvernement à l’opposition, il se retrouve ministre du Commerce, de l’Artisanat et de l’Industrialisation tandis que Wade est ministre d’Etat sans portefeuille précis. Quand ce dernier finit par accéder à la magistrature suprême après 26 ans de combat politique, il confie naturellement le poste clé de directeur de cabinet à Idrissa Seck.
Bouillant jeune premier ministre, assez petit de taille, Idrissa Seck devra changer radicalement le style de Mame Madior Boye pour donner de la « vision » à l’action du président Wade. En attendant qu’il s’en explique, il a proposé un gouvernement dit « libéral » mais sans grands changements par rapport à l’équipe de Mame Madior Boye : Cheikh Tidiane Gadio qui avait su mouiller sa chemise à Bouaké chez les mutins, conserve logiquement son portefeuille des Affaires étrangères. Mamadou Niang reste à l’Intérieur tandis que Abdoulaye Diop, Landing Savané et Awa Marie Coll Seck, conservent respectivement les ministères de l’Economie et des Finances, de l’Artisanat et l’Industrie, et la Santé publique. Ancien ministre de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle, de l’Alphabétisation et des Langues nationales, Bécaye Diop va désormais se frotter aux militaires au département de la Défense nationale.
Parmi les nouveaux arrivants de poids, on compte Youssoupha Ndiaye au poste de ministre d’Etat des Sports. Proche de Wade, l’avocat Madické Niang est le nouveau ministre de l’Habitat du Sénégal. Alors que deux Casamançais font leur entrée dans le gouvernement (Christian Sina Diatta à la Recherche et Georges Tendeng à la Formation professionnelle comme ministre délégué), rejoignant ainsi Landing Savané et Bécaye Diop, on note aussi la nomination de Serigne Diop à la Justice, après avoir été à plusieurs reprises, ministre de l’ancien président Abdou Diouf, qu’il avait rejoint après avoir eu des divergences idéologiques profondes au sein du PDS avec Me Wade. On se souvient même que le professeur Serigne Diop, agrégé des facultés de droit de son état, était allé jusqu’à créer sa propre officine politique, le PDS-Rénovation, qui fut long feu.
Le nouveau gouvernement est nettement dominé par le parti du président même si sa coloration politique est la même que celle de la précédente équipe, avec une représentation de la société civile et de deux partis ex-communistes, la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) et And-Jef/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS), qui avaient activement soutenu Wade à la présidentielle de 2000.
Au total, le nouveau gouvernement compte 31 membres : 4 ministres d’Etat, 23 ministres et 4 ministres délégués. 8 femmes font partie de l’équipe. Ce qui fait dire aux observateurs de la classe politique sénégalaise que l’arrivée d’Idrissa Seck à la primature pourrait donner à l’exécutif la cohérence politique qui lui faisait jusque-là défaut. Cela dit, c’est au pied du mur qu’on appréciera les qualités du maçon.