C’est la loi de l’Omerta dans les majors politiques que sont principalement le Parti démocratique sénégalais (Pds) de Me Abdoulaye Wade et l’Alliance Pour la République (Apr) du président de la République, en prévision du prochain dialogue politique qui devrait débuter à la mi-mai : dans l’entourage de Me Wade, à Paris, on essaie d’éviter et de faire éviter toute intervention publique sur le champ social sénégalais : le secrétaire général national du parti s’emmure ainsi dans un silence significatif, lui qui, il n’y a guère (référendum), multipliait les déclarations ; en plus, en l’absence de l’intérimaire sur le sol sénégalais, Oumar Sarr, actuellement en France pour des raisons de santé après un départ mouvementé à l’aéroport de Yoff, c’est aussi le silence radio au Pds ; Decroix le voisin maîtrisé lui-même s’est fait fort discret ces temps-ci, cependant que Babacar Gaye excelle dans ce qu’il sait faire, entretenir la galerie.
Le retour du coordinateur adjoint du Pds, en milieu de semaine ou en début de week-end, relancera les supputations sur le dialogue politique : la visite de condoléances programmée par le chef de l’État avec la disparition du frère aîné de Oumar Sarr devrait être une tribune à suivre, un moment de grande écoute et d’étude sémantique des propos qui seront échangés.
Il faut reconnaitre cette constance au président de la République d’inviter tout le monde au travail et au dialogue politique, et cela depuis octobre 2013 au moins. Au point que cela a souvent donné l’impression de tourner à l’obsession, au dada : par trois fois en près d’un mois (20 septembre-16 octobre 2013), le président Macky Sall a lancé un appel à la classe politique du Sénégal, l’invitant à se retrouver avec lui pour discuter des grandes questions du pays. Sans refaire l’histoire puisque Diouf son mentor avait appelé à se rattacher à son panache avec ses clins d’œil à l’opposition. Cette invite se fait en général lors de grands rassemblements d’ordre social, comme la cérémonie de lancement du projet de couverture médicale universelle ou, plus récemment, avec le réchauffement de l’ardeur des chefs de famille avec l’émission symbolique des premiers chèques pour l’opération « Bourses de famille » et après la prière de la Tabaski.
L’appel n’est pas réductible à la seule concertation sur l’acte III de la Décentralisation (« Le Soleil no 13010 des 5 et 6 octobre 2013, page 4) à laquelle elle est antérieure ; « J’appelle toute la classe politique à se mobiliser autour de l’essentiel pour bâtir notre pays », avait dit le président de la République le 20 septembre, avant d’insister, le 4 octobre, sur les réformes a priori déterminantes qu’il envisage dans le cadre de la décentralisation. A la pratique et sans dialoguer, la perfection ne s’est pas vérifiée avec un État qui se localise de plus en plus, au point de discuter le veau gras avec les chefs de quartier et les maires.
L’appel de Macky Sall (notre photo) à la classe politique tourne aussi à la hantise : entre les déclarations et autres déclamations, le président de la République se livre à un populisme de gauche en rendant publiques des actions ordinaires, d’abord, et d’ordre strictement privé, ensuite : les populations ont ainsi la difficulté de séparer la bonne graine de l’ivraie entre déclarations politico-politiciennes et celles de la solennité de l’État et de la République. Comprenne qui pourra.
Le nouveau tournant pris par la nécessité du dialogue politique signifie-t-il pour autant un aveu d’échec du président sénégalais dans la politique suivie à date, et révèle-t-il le malaise maintes fois évoqué dans ses relations avec une coalition qui va cahin-caha et que Macky Sall lui-même ne sent pas à certaines occasions cruciales ?
Inviter toute la classe politique autour de « l’essentiel » revient à reconnaître que le chef de l’État est à la recherche d’un programme de développement (à trouver, de préférence par consensus) pour le Sénégal, quatre ans après son accession à la magistrature suprême malgré la présence, à ses côtés, de l’essentiel des partis significatifs qui lui ont permis son score de 65% en mars 2012, en particulier le Parti socialiste de Ousmane Tanor Dieng et l’Alliance des Forces de Progrès de Moustapha Niasse ; il est vrai que ces deux formations sont secouées à l’interne par une transition générationnelle qui les affaiblit d’autant dans leurs relations à l’interne et avec les autres alliés et la société sénégalaise. Même Idrissa Seck de Rewmi n’est pas épargné par ces velléités, d’où la question essentielle : le dialogue serait-il plus social que politique ? Autrement dit, la société n’aurait-elle pas imposé au chef la nécessité de vérifier son aversion pour l’exclusion et l’étendant aussi aux formations non participantes à la gestion du pouvoir ?
Verni par des populations qui voulaient renvoyer à la retraite des fossiles politiques, Macky Sall a cru pouvoir passer outre et imposer des dinosaures perclus de rhumatismes à la société qu’ils ont essayé de duper dans une impossible entente du groupe Benno Siggil Senegaal, entre 2010 et 2011. Perçu alors à tort ou à raison comme plus dynastique que dynamique, Macky Sall a privilégié le pouvoir au devoir : invité à débarrasser le Sénégal d’une certaine classe d’hommes politiques, il s’est empressé, sous prétexte de soutien au candidat de l’opposition le mieux placé, à appliquer une décision de partage du gâteau d’autant plus curieuse que personne ne songeait à lui avant le premier tour de la présidentielle de février 2012.
Cela n’a pas été sa principale faute qui a corrompu en les entravant toutes ses actions futures : la pluralité des idées, à date, ne permet aucun développement avec cette sorte de tour de Babel politique où chacun tire à hue et à dia.
Sorties des onze travaux d’Hercule avec Wade, les populations sénégalaises lui réservaient les Écuries d’Augias qu’il fallait récurer à grandes eaux autres que celles des inondations et du lac de Guiers. Choisi entre tous, Macky Sall, aux dires de ses pairs africains, est «venu avec un couteau entre les dents». Alors, tel Ramses poursuivant Moïse, Macky Sall s’impatiente : la restructuration du gouvernement six mois à peine après sa formation (octobre 2012) n’empêche pas le remaniement du premier septembre 2013 ; la coalition au pouvoir valse et tangue, les populations boivent la tasse et Macky Sall prêche dans le désert un impossible dialogue politique qui ramène le Sénégal au Vent d’Est de 1989, à tout le moins à de nouvelles assises nationales.
Moïse n’atteindra jamais la Terre promise.
Pathé Mbodje