SOMMET DE LA CEDEAO : L’inévitable rétropédalage

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Les dirigeants de la CEDEAO réunis à Accra en sommet extraordinaire se sont séparés, samedi, 4 juin, sans s’entendre sur les sanctions à l’encontre des juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, et se retrouveront le 3 juillet, toujours, dans la capitale ghanéenne. Si aucun résultat n’a été trouvé, c’est à cause de l’intransigeance du président du Niger, Mohamed Bazoum, mais aussi, de celle du président gambien, Barrow, qui ont tenu tête, tous les deux, aux autres pays qui sont partisans de normaliser la situation, notamment, des Maliens dont la souffrance est très grande à cause non seulement de l’embargo décrété par la CEDEAO, mais aussi, du fait des effets de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Mais, dans tous les cas, la CEDEAO sera obligée de faire un rétropédalage, son radicalisme imprimé par la France, jouant, maintenant, contre elle.

Les décisions de la CEDEAO « sont reportées à un sommet ici à Accra le 3 juillet », a dit à un participant au sommet, qui a expliqué, également sous le couvert de l’anonymat, que les chefs d’Etat n’avaient pas réussi à s’entendre, « surtout sur le Mali » (sur notre photo le président du Ghana et président en exercice de la CEDEAO Nana Akufo-Addo : officiellement, c’est lui qui est à la tête de la CEDEAO mais, dans la réalité, les décisions de son organisation lui échappent).

Les dirigeants devaient notamment dire s’ils maintenaient, allégeaient, voire, levaient les sévères mesures de rétorsion infligées au Mali le 9 janvier pour stopper le projet des militaires de gouverner cinq années de plus.

Le Burkina, autre pays sahélien pris dans la tourmente djihadiste, et la Guinée ne sont pour l’heure que suspendus des organes de la CEDEAO. Mais, les juntes au pouvoir entendent y rester trois ans et exposent leur pays aux foudres de l’organisation sous-régionale.

L’Afrique de l’Ouest a vu se succéder les coups de force des colonels en moins de deux ans : putsch le 18 août 2020 à Bamako, putsch le 5 septembre 2021 à Conakry, putsch le 24 janvier 2022 à Ouagadougou. Les trois putschs, il faut le signaler, ont, tous, été bien accueillis, voire, applaudis par les populations des pays concernés. C’est une première en Afrique.

Rien ne se cachant plus, les populations, informées parfois dans les réseaux sociaux, savent à quel jeu jouent certaines puissances coloniales comme la France. Elles n’hésitent donc pas à condamner leurs dirigeants quand il le faut car elles savent ce qui se passe.

Depuis 2020, la CEDEAO, alarmée du risque de contagion dans une région vulnérable, multiplie les sommets, les médiations et les pressions pour abréger les périodes dites de transition avant un retour des civils à la direction de leur pays.

Elle se heurte aux résistances des nouveaux hommes forts, qu’il s’agisse du colonel, Assimi Goïta, au Mali, du colonel, Mamady Doumbouya, en Guinée ou du colonel, Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui se sont tous fait investir présidents entre-temps. Avec l’onction des conseils constitutionnels des pays concernés. Ils sont donc régulièrement installés à leurs postes.

Les nouveaux gouvernants en uniforme invoquent, pour rester au pouvoir, la gravité des crises auxquels ils sont confrontés, sécuritaire au Mali et au Burkina, sociale et politique dans les trois pays. Ils veulent avoir le temps nécessaire pour ce qu’ils présentent comme leur entreprise de « refondation » de leur Etat, et pour l’organisation d’élections crédibles.

Face à la CEDEAO accusée d’être inféodée à la France qui, en sous-main, dicte ses injonctions à un président ghanéen et président en exercice de la CEDEAO, lui-même, sous influence du président de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, grand ami de la France, les trois présidents-colonels se drapent dans la prééminence de la souveraineté nationale sur les règles de gouvernance ouest-africaines. Cette situation d’ingérence occidentale et de soumission de la CEDEAO au diktat étranger fait que les trois putschistes sont populaires dans la rue. Et ailleurs en Afrique, on leur trouve de sérieuses circonstances atténuantes.

Au Mali, la junte s’est dédite de son engagement initial, prise sous la pression de la CEDEAO, à céder la place au bout de 18 mois après des élections promises en février 2022. Quand elle est allée jusqu’à envisager cinq années supplémentaires, la CEDEAO a sévi vigoureusement le 9 janvier, fermant les frontières et suspendant les échanges commerciaux et financiers, hors produits de première nécessité. Pour prendre cette décision radicale, Alassane Ouattara était à la manœuvre aidé en cela par son nouvel homologue, le président du Niger, Mohamed Bazoum, devenu depuis lors, le plus grand pourfendeur du régime des colonels maliens.

Un rapport de l’ONU publié la semaine écoulée indique que, dans un contexte de crise déjà aiguë, les sanctions ouest-africaines ont « sévèrement affecté » certains secteurs et « empiré les conditions de vie, en particulier, celles des pauvres ».

Passé les protestations, les autorités ont ramené leurs prétentions à 24 mois. Jusqu’alors, la CEDEAO a consenti au maximum à un délai de 16 mois, voire, 18, et indiqué que les sanctions ne seraient levées progressivement que quand le Mali présenterait un calendrier acceptable. La question est de savoir si en 16 ou 18 mois, le pouvoir malien aura rendu possible la tenue des élections sur l’ensemble du vaste territoire malien, sachant qu’à l’heure actuelle, le centre et le nord-malien sont sous le contrôle des djihadistes. Dès lors, on se demande si la CEDEAO poussée par la France est consciente de la vraie réalité sur le terrain malien où huit ans de présence de l’armée française, n’ont pas permis de changer la donne. Celle-ci le sera-t-elle en 16 ou 18 mois bien que les colonels maliens soient, aujourd’hui, épaulés par les mercenaires russes de la société Wagner ?

« Pour la Guinée, la CEDEAO va devoir prendre des mesures », soutient le président du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall. Il qualifie d' »impensable » le délai de 39 mois, depuis ramené à 36, que s’impartit le colonel Doumbouya.

Lors d’un précédent sommet le 25 mars, la CEDEAO avait donné à la junte jusqu’au 25 avril pour présenter un échéancier « acceptable ». A défaut, « des sanctions économiques et financières entreront immédiatement en vigueur », avait-elle prévenu. Cela dit, on est début juin sans que rien ne se soit passé, ce qui montre qu’il ne sert à rien que la CEDEAO donne des injonctions impossibles à tenir. Car la situation est loin d’être simple et les colonels de Conakry font tout pour améliorer progressivement la situation qui les a poussés à prendre le pouvoir au président-dictateur, Alpha Condé.

La CEDEAO a déjà annoncé le gel des avoirs financiers des membres de la junte et de leurs familles. Ils ont l’interdiction de voyager au sein de la CEDEAO.

Le Burkina, lui, « semble plus raisonnable » aux yeux du président de l’Union africaine.

Le sommet de mars avait fixé au Burkina le même ultimatum qu’à la Guinée. Mais, à la demande de la junte, la CEDEAO a dépêché fin mai une mission de trois jours pour évaluer la situation au Burkina, où les attaques djihadistes sanglantes se succèdent.

Le rapport de la mission, soumis samedi au Sommet d’Accra, constate que « la situation humanitaire et sécuritaire reste difficile » et « il faut évidemment prendre la mesure de cette situation », a déclaré le président de la commission de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou.

L’ancien président du Niger, Ingénieur, Mahamadou Issoufou, devient, officiellement, le médiateur entre la CEDEAO et le Burkina Faso. On peut, dès lors, penser que la modération va primer maintenant que le Togo a réussi à rallier à sa ligne de sagesse, le très puissant Nigeria mais aussi l’ancien président du Niger, qui ne se montrera pas radical ni jusqu’au boutiste comme Alassane Ouattara. Conséquence : un rétropédalage inévitable de la CEDEAO est à envisager dès le prochain sommet du 4 juillet sur les trois dossiers.

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