On peut se demander pourquoi cinq chefs d’Etat et le premier ministre du Gabon, se sont retrouvés, ce vendredi, 22 novembre, matin, à Yaoundé, en Sommet extraordinaire, après que le pendant de l’Afrique de l’Ouest, l’UEMOA et la CEDEAO, aient avancé sur des dossiers, qui continuent de piétiner en Afrique centrale ? Le Sommet de Yaoundé s’est terminé comme il a débuté : absolument rien à se mettre sous la dent. Alors que les chefs d’Etat sont pressés par leurs concitoyens à faire des réformes audacieuses comme leurs homologues de l’Afrique de l’Ouest. Notamment en abandonnant le F CFA.
Doit-on justifier un tel immobilisme par des soucis d’ordre politique que rencontrent certains chefs d’Etat de cette zone ? D’abord, l’hôte du Sommet dont le pays compte pour près de 60% de la richesse de toute la CEMAC, à savoir, le président, Paul Biya, a d’autres soucis plus préoccupants et plus urgents, avec les conflits de l’Extrême-Nord (Boko Haram) et du NOSO (sécession réclamée par les Ambazoniens), sujets d’importance capitale pour lesquels il venait d’obtenir le soutien plein et entier de Paris, au moment où les Américains, demandent la tenue d’un deuxième dialogue beaucoup plus direct avec les sécessionnistes. Dans ce contexte, engager les pays de la zone dans une voie de sortie de la zone franc, est non seulement, suicidaire pour le président camerounais, mais, c’est aussi de nature à irriter l’allié français, même s’il peut se targuer d’avoir l’appui de Moscou et de Pékin, au niveau du Conseil de sécurité.
Paul Biya n’est pas seul à porter les gants. Le président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, que ses homologues avaient chargé de s’occuper des réformes à mettre en œuvre, n’est pas mieux loti. Il prépare une périlleuse élection présidentielle en mars 2021 à laquelle il est candidat alors qu’il garde, toujours, en prison deux anciens candidats de la présidentielle de 2016 (Okombi Salissa et Mokoko), qui sont, ainsi, empêchés de contester sa victoire. Pour sortir de l’impasse politique, le président congolais rêve d’organiser un dialogue politique à Brazzaville à laquelle l’opposition refuse d’adhérer tant que les prisonniers politiques ne seront pas libérés et tant que ce dialogue ne sera pas préparé de commun accord avec une vue générale sur les objectifs recherchés. Dans de telles circonstances, il n’est pas très sage pour Sassou de provoquer Paris avec la question de la sortie du F CFA.
Quant à Ali Bongo Ondimba, le président du Gabon, il a été fragilisé par un AVC en octobre 2018. Bien qu’il soit en train de recouvrer la plénitude de ses moyens, il semble se dire qu’à chaque jour suffit sa peine. Autrement dit, quand il retrouvera tous ses sens, il mènera le combat contre le F CFA qui, tôt ou tard, devra être mené.
Il reste le Tchadien Idriss Déby Itno et l’Equato-Guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Ce dernier, en n’arrivant à Yaoundé, que ce matin (et non hier comme ses homologues) a montré que son intérêt pour les travaux n’était que très limité. Il faut préciser que les présidents du Tchad et de la Guinée équatoriale sont les seuls à demander ouvertement la sortie du F CFA depuis plusieurs années, sans être entendus.
On appréciera comme on veut la sortie de Paul Biya dans son discours de clôture sur la question du F CFA. Il a dit ceci : « S’agissant de notre politique monétaire, elle a permis jusqu’à présent, d’assurer la stabilité financière dans notre sous-région. Il y a toutefois lieu de rester flexible à toute proposition de réforme visant à consolider son action et à assurer les meilleures conditions pour une contribution efficace de la politique monétaire à un développement de la sous-région ».
Quant au communiqué final lu par le président en exercice de la CEMAC, Daniel Ona Ondo, il dit ceci : « Examinant spécifiquement la question monétaire, les chefs d’Etat et de gouvernement ont réaffirmé leur volonté de disposer d’une monnaie commune stable et forte. Concernant particulièrement la coopération monétaire avec la France, portant sur le F CFA, ils ont décidé d’engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération. A cet effet, ils ont chargé la Commission de la CEMAC et la BEAC de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune ».
On aura tout compris : les chefs d’Etat de la CEMAC ont besoin d’une très forte pression pour avancer dans la question du remplacement du F CFA. Sinon, cette sous-région continuera de tourner en rond dans deux siècles.