Le leader de l’opposition au Soudan, l’increvable, Sadek al-Mahdi, prêche la sagesse et la modération. Puisant dans son expérience sur les pratiques du régime qui vient d’écarter son ennemi, Omar el-Béchir, du pouvoir, il a mis en garde, mercredi, 1er mai, les meneurs de la contestation contre toute tentative de leur part de provoquer les militaires, affirmant que ceux-ci n’allaient pas tarder à transférer –comme promis– le pouvoir aux civils. L’Union africaine (UA) leur a donné deux mois pour le faire.
« Nous ne devrions pas provoquer le Conseil militaire (de transition) en essayant de priver (les militaires) de leur légitimité et du rôle positif qu’ils ont joué dans la révolution », pense Sadek al-Mahdi.
Il faisait allusion au renversement par l’armée du président Omar el-Béchir, le 11 avril, après près de quatre mois d’un mouvement de contestation populaire inédit.
« Il ne faudrait pas en arriver à un point où il deviendrait nécessaire à leurs yeux d’affirmer (leur autorité) autrement », a ajouté ce vétéran de la politique soudanaise faisant référence aux militaires, qui tiennent le pouvoir depuis la destitution de M. Béchir.
Dernier premier ministre démocratiquement élu, Sadek al-Mahdi avait été renversé, en 1989, par un coup d’état d’Omar el-Béchir, soutenu par les islamistes.
En trente ans, M. Mahdi, plusieurs fois, forcé à l’exil, n’a cessé de s’opposer politiquement au président, désormais, emprisonné à Khartoum.
En janvier, l’opposant historique au chef de l’Etat déchu avait apporté son soutien au mouvement de contestation antigouvernementale déclenché par le triplement du prix du pain le 19 décembre.
Son parti, al-Oumma, avait, ainsi, rejoint l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), qui regroupe partis d’opposition et formations de la société civile et mène la contestation.
L’appel au calme de M. Mahdi intervient au moment où les relations entre le Conseil militaire de transition et les protestataires se sont tendues, notamment, en raison des désaccords sur la composition du Conseil conjoint qui doit remplacer l’instance militaire au pouvoir.
Les représentants de la contestation proposent un conseil de 15 membres, dont huit civils, et l’armée veut un conseil de 10 membres, dont sept militaires, avec à sa tête, le général, Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil militaire de transition.
L’Association des professionnels soudanais (SPA, membre de l’ALC) a accusé, mardi, 30 avril, les militaires de vouloir « accroître leurs pouvoirs quotidiennement » et de ne pas envisager « sérieusement de céder le pouvoir au peuple ».
Des milliers de Soudanais campent depuis le 6 avril devant le QG de l’armée à Khartoum. Pour accroître la pression sur les militaires afin qu’ils transfèrent le pouvoir aux civils, les meneurs de la contestation ont appelé à une « marche d’un million » de personnes jeudi.
« Il y a des signes qui indiquent que (l’armée) a été exaspérée par des déclarations de l’opposition qui semblent minimiser son rôle », a expliqué M. Mahdi, vêtu d’une tunique traditionnelle et coiffé d’un turban blanc.
« Si nous provoquons (…) les forces armées qui ont contribué au changement, cela revient à chercher les ennuis », a-t-il ajouté.
A 83 ans, ce politique chevronné au regard perçant reste optimiste. Selon lui, les militaires rendront le pouvoir aux civils si les meneurs de la contestation leur présentent « une forme de gouvernement civil crédible et viable » sur le long terme.
Assis bien droit à son domicile d’Omdourman, ville voisine de la capitale, il explique la raison de cet optimisme : « à terme, l’armée sait que si elle s’installe au pouvoir et instaure une dictature militaire, elle sera alors dans la même position que Béchir ».